Par Jean-Pierre Mbelu
« La politique existe (…) là où il y a des espaces de dialogue, d’initiative, d’action concertée ; espace où chacun peut participer parmi ses pairs, avoir la joie d’apparaître en public et de pouvoir réaliser avec d’autres ce qu’on ne pourrait assurément pas faire tout seul. »– C. VALLEE
Ailleurs, « au pays des hommes intègres », le président intérimaire soutient qu’il n’y aura pas d’élections tant que la question de la sécurité n’aura pas trouvé de réponse définitive. Ses compatriotes seraient majoritairement de son avis. Ils ont, ensemble, organisé des assises de la refondation de leur pays afin de lui donner une direction plus ou moins consensuelle et souveraine.
Au Kongo-Kinshasa, malgré la guerre de prédation et de basse intensité et l’insécurité qu’elle génère, « la classe politique » et les masses populaires fanatisées veulent aller aux « élections limpides, claires, démocratiques, transparentes ». « Le petit reste » a un avis différent sans être indifférent. Il analyse. Il fait des propositions et écoute. Il vient d’écouter les jeunes kongolais débattre avant ces fameuses élections.
Une alternative et »un contrat social »
Des jeunes réunis au sein d' »Alternative pour un Congo Nouveau » se sont organisés pour mener un débat sur le projet qu’ils ont pour le pays. Bien que « les élections » dans un pays en guerre soient un non-sens à mes yeux, il me semble néanmoins souhaitable que ce contexte permette aux compatriotes de pouvoir penser notre devenir collectif.
Il y a au Kongo comme un désir ardent de rompre avec un système de prédation . Lui trouver une alternative est indispensable. Il aurait peut-être été intéressant de nommer davantage ce système : il est un système de prédation néocoloniale.
L’organisation des « primaires » avant « les élections » semble avoir un avantage sur les monologues des candidats ayant déjà déposés leurs candidatures à la présidentielle. L’ « Alternative pour un Congo Nouveau » s’essaie au débat et au débat contradictoire sur fond d’un »contrat social » assumé ; c’est-à-dire un ensemble d’engagements auxquels le candidat président souscrit et dont dépendra l’exercice de sa fonction.
Parler enfin d’ alternative est important pour le pays. Il y a au Kongo comme un désir ardent de rompre avec un système de prédation . Lui trouver une alternative est indispensable. Il aurait peut-être été intéressant de nommer davantage ce système : il est un système de prédation néocoloniale.
Donc, l’alternative consisterait à mettre fin à la néocolonisation. Elle est mentale, spirituelle, culturelle et matérielle. Elle suppose des complicités externes et internes. Un Etat souverain digne de ce nom pourrait mettre fin à ces complicités.
« Alternative pour un Congo Nouveau » soutient qu’elle porte un projet collectif après avoir consulté, pendant deux ans, les compatriotes de tout le pays. Un exercice louable. Un exercice à encourager et à faire régulièrement. Aller vers les populations kongolaises, les écouter, échanger avec eux de façon qu’il y ait une « relation répondante » entre les uns et les autres, c’est affirmer la pluralité de la politique indispensable au fonctionnement de la démocratie souveraine d’un pays. Prévoir, comme elle le suggère, des espaces de participation citoyenne permanente entre « les gouvernants » et les gouvernés est une façon de préserver cette pluralité et de prévenir des dérives despotiques ou tyranniques.
Attention à la primauté de l’être sur l’avoir
Les deux débatteurs aux « primaires » du 05 octobre 2023 ont eu, à mon avis, un débat suffisamment franc et sincère.
L’un a mis l’accent sur les secteurs minier et énergétique pour relancer les autres secteurs. L’autre, avant d’affirmer que son projet est multi-sectoriel avec un accent particulier sur l’ éducation, la formation et l’agriculture, a posé la question prioritaire de l’identité kongolaise : « Qui sommes-nous ? Combien sommes-nous ? » Il aurait pu ajouter : « D’où venons-nous ? Où en sommes-nous ? Où allons-nous ? » Dès que ces questions sont escamotées, la tendance est d’aller vite vers les chiffres, la production, la croissance, etc. La production pour qui ? La croissance pourquoi ? Qu’est-ce qui doit croître ? L’humain en l’homme pour une consommation rationnelle ou les biens matériels pour satisfaire les passions hédonistes ? Souvent, la tendance est de ne pas faire attention à la primauté de l’être sur l’avoir. Ce qui est très dangereux pour le devenir collectif du pays.
Trouver une « alternative » à la marche du pays ne peut s’inscrire dans le cadre d’une quelconque continuité. Qui dit continuité dit poursuite du néocolonialisme. D’où l’importance de la rupture.
Parlant de la guerre, l’un a soutenu que celle-ci avait comme soubassement les richesses du pays. Cette approche économiciste m’a toujours paru être une demie-vérité. La guerre vise prioritairement la destruction de l’identité kongolaise, la déstructuration de la culture, le déracinement des Kongolais(es), leur dépaysement, la fuite des cerveaux et la dépopulation du pays afin qu’il devienne « une terre promise » pour les prédateurs apatrides et leurs alliés compradores. Donc, l’approche économiciste a tendance à privilégier la primauté de l’avoir sur l’être.
L’autre a trouvé insignifiant le nombre de jeunes kongolais en formation militaire aujourd’hui. A son avis, il en faudrait plus pour faire face à cette guerre.
Entre la continuité et la rupture, quelle voie faudrait-il emprunter ?
Pour l’un, le choix est celui de la continuité. Pour l’autre, celui de la rupture. A mon avis, la réponse à cette question dépend de la nomination du système dominant le pays. Et trouver une « alternative » à la marche du pays ne peut s’inscrire dans le cadre d’une quelconque continuité. Qui dit continuité dit poursuite du néocolonialisme. D’où l’importance de la rupture. Sur ce point, l’un des débatteurs, ayant fait allusion aux victimes de ce néocolonialisme et ayant rendu hommage aux Pères et Mères de l’indépendance aurait mieux fait d’en comprendre l’ urgence.
S’il y a une leçon a retenir de ce débat, c’est que les débatteurs alignés par « Alternative pour un Congo Nouveau » ont prouvé qu’il est possible de débattre au Kongo-Kinshasa sans agressivité et fraternellement. Il serait souhaitable que cet exemple soit suivi pour la suite.
Une approche biaisée de la politique et des questions
Néanmoins, leur approche de la politique me semble un peu biaisée. Tout comme leur approche de la société dite civile. La politique comme art de participer ensemble à l’édification de la cité n’est pas l’exclusivité des « partis politiques ». C’est un ensemble d’actes et des paroles portés et échangés par les membres d’une communauté dans le respect du principe de la réciprocité et de la différence.
Qui soutient les mouvements dits citoyens au Kongo-Kinshasa ? Sont-ils arrivés à un certain niveau d’autofinancement ou ils sont « le Cheval de Troie » des globalistes apatrides jouant dans les coulisses de l’histoire ? Est-ce possible de lutter contre le néocolonialisme sans penser à s’engager collectivement dans un processus de dé-néocolonisation en invitant les compatriotes à organiser des assises de refondation d’un « Congo Nouveau »?
Les différentes appartenances citoyennes au nom de la diversité des intérêts constituent une richesse pour le débat, la participation et les décisions collectives pouvant conduire à un minimum de consensus sur « les communs » à promouvoir collectivement. Les différences préservent « des désaccords constructeurs » d’autres débats. La société civile a le devoir de participer à la production de l’intelligence collective nécessaire à l’édification de la cité commune. Elle n’est pas en marge de la politique.
Après les échanges suivis sur Top Congo, il me semble qu’il y a encore des questions à poser et à approfondir. Avoir des secteurs de production efficaces dans tous les domaines, avoir une armée , une police, des services d’intelligence et une justice dignes de ce nom, tout cela exige une souveraineté monétaire. Comment y parvenir sans rompre avec le néocolonialisme ? Qui soutient les mouvements dits citoyens au Kongo-Kinshasa ? Sont-ils arrivés à un certain niveau d’autofinancement ou ils sont « le Cheval de Troie » des globalistes apatrides jouant dans les coulisses de l’histoire ? Est-ce possible de lutter contre le néocolonialisme sans penser à s’engager collectivement dans un processus de dé-néocolonisation en invitant les compatriotes à organiser des assises de refondation d’un « Congo Nouveau »? Est-ce possible de le faire sans des liens géoéconomiques, géopolitiques et géostratégiques dé-néocolonisants ? Comment intégrer dans tous ces débats l’appel à une bonne intégration africaine afin d’éviter que le Kongo-Kinshasa ne soit éternellement un ventre mou au coeur de l’Afrique ? Créer les Etats fédéraux de la SADC, n’est-ce pas un bon début pour cette intégration ? Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont signé des accords allant dans ce sens.
Une petite conclusion
Ecouter attentivement les débats citoyens organisés par la jeunesse kongolaise est d’une importance capitale pour une participation citoyenne au devenir collectif. Y apporter sa modeste contribution dans la production d’une « relation répondante » est aussi important. Qui sait ? Qui aurait cru que les mots et les concepts tels que « rupture », « alternative » et « système » feraient partie du vocabulaire de la jeunesse kongolaise en quête d’un nouveau paradigme politique en vue de bâtir un pays plus beau qu’avant ? Cette jeunesse présente dans l’espace public kongolais est une énorme chance. Elle se donne « un contrat social » et a le souci de faire les choses différemment.
Parler par exemple du système de prédation au Kongo-Kinshasa sans souligner qu’il est néocolonial peut avoir des incidences fâcheuses sur les stratégies à utiliser pour opérer la rupture et s’en sortir.
Peut-être qu’il lui faudrait encore un peu d’efforts pour mieux nommer les choses. Parler par exemple du système de prédation au Kongo-Kinshasa sans souligner qu’il est néocolonial peut avoir des incidences fâcheuses sur les stratégies à utiliser pour opérer la rupture et s’en sortir.
Il lui faudrait peut-être être attentive aux modèles suffisamment réussis du Sud global. La Bolivie et le Venezuela peuvent être cité comme exemples.
En effet, participer de près ou de loin aux débats citoyens que la jeunesse kongolaise propose peut produire une auto-efficacité ; c’est-à-dire toucher les jeunes coeurs et les transformer sur le chemin politique choisi ; en faire des coeurs sages et intelligents à l’écoute des masses populaires réduites au rang des thuriféraires, des tambourinaires et des applaudisseurs afin d’en faire une masse critique capable de renverser les rapports de force l’opposant aux élites compradores.
Cela étant, cette jeunesse devrait revoir de temps en temps son approche de la politique et rester vigilante face aux pièges tendus par les acteurs pléniers de la guerre qu’elle décrie. Ils cherchent à les transformer en leurs « Chevaux de Troie ». Ceux-ci, au lieu de s’engager sur la voie de la rupture feraient de la continuité.
Babanya Kabudi