Par Jean-Pierre Mbelu
Comment, une poignée de mercenaires a-t-elle pu s’emparer de tous les rouages du pouvoir économique dans »notre jeune démocratie » sans que »notre assemblée nationale » ait pu l’en empêcher en la contrôlant ? Comment cela a-t-il pu être possible ? Cette double question peut être posée à une bonne partie de la classe politique congolaise. Cet article voudrait, sans être exhaustif, examiner quelques croyances ayant conduit au refus du contrôle social et à la démission d’une partie importante de compatriotes dans la lutte pour notre commune émancipation politique.
Il y a eu une approche »officielle » de notre histoire collective non questionnée. Une approche selon laquelle »la guerre de l’AFDL » de 1996 fut »une guerre de libération ». Si les intellectuels critiques congolais ont réussi à battre en brèche cette approche édulcorée de notre histoire de deux dernières décennies, cela n’a pas été le cas pour »le conglomérat d’aventuriers » congolais ayant joué, avec le Rwanda et l’Ouganda, le rôle de »proxys » dans la guerre raciste de basse intensité orchestrée par les anglo-saxons. Cette approche s’est transformée en »une croyance partagée » et par »ce conglomérat d’aventuriers » et part une bonne partie de la classe politique congolaise ayant signé les accords de Sun City (ou les ayant avalisés).
« La croyance partagée » par une bonne partie de la classe politique congolaise
Cette partie de la classe politique congolaise n’a pas renoncé à »cette croyance partagée » même quand elle a appris, de la bouche d’un politicien présent à ces assises, Valentin Mubake, qu’il a été imposé à Thabo Mbeki d’imposer »Joseph Kabila » aux Congolais(es). Un député européen est venu donné raison à Valentin Mubake en soutenant à peu près la même thèse. Rien n’y est fait. Avant ce témoignage du député européen, plusieurs intellectuels congolais ont écrit et produit des témoignages allant dans le même sens. Mais ils n’ont pas réussi à changer »la croyance partagée » par une bonne partie de la classe politique congolaise. Pourquoi ?
Pour plusieurs raisons. Relevons quelques-unes. Il n’est généralement pas facile de changer de »croyance ». Quand ce changement intervient, il a de l’emprise sur l’identité de la personne. Il peut réorienter son approche du monde et des choses. Il peut bouleverser les habitudes. Or, changer en profondeur est une entreprise difficile et de longue haleine. Souvent, les habitudes se transforment en instincts dominants. Et le besoin de les changer disparaît. Plusieurs politicards congolais refusent de se former et de s’informer. Ils ne lisent pas ce qui est écrit sur leur pays. Un exemple. Je rencontre un député congolais à Bruxelles et lui pose amicalement cette question : « Monsieur le député, combien de livres lisez-vous au cours d’une année ? » Il me répond amicalement : « Sans te tromper, un. »
Une partie de la classe politique congolaise n’a pas renoncé à « cette croyance partagée » même quand elle a appris, de la bouche d’un politicien présent à ces assises, Valentin Mubake, qu’il a été imposé à Thabo Mbeki d’imposer « Joseph Kabila » aux Congolais(es).
Un deuxième exemple. Un responsable politique kinois appelle chez lui l’un de nos écrivains et lui montre ses derniers livres. Il lui dit : «Oyo nini lisusu ? (C’est encore quoi ça?) Oza na bana, luka mbongo ! (Tu as des enfants, cherche de l’argent!). Le manque de bibliothèques au Congo-Kinshasa et la valorisation de l’ignorance et de la fausseté peuvent être ajoutés à ces deux exemples. Il semble donc difficile que cette »croyance partagée » puisse être revue et corrigée dans un milieu où les politicards ont rompu avec le côté cognitif de la politique et de l’histoire. Une croyance partagée peut être revue et corrigée si elle est soumise au crible de la critique ; d’une critique fondée sur les faits. Ou si elle est soumise à un débat contradictoire permettant une remise en question conduisant à son remplacement par une autre. La rupture existant entre les milieux intellectuels critiques congolais et un certain milieu politique est un des raisons expliquant la persévérance diabolique dans cette »fausse croyance partagée ».
Une deuxième raison est évoquée dans »luka mbongo ». Opposer le savoir livresque à partager à la recherche effrénée de l’argent est un signe qui ne ment pas. Cela renvoie à »une autre croyance partagée » dans plusieurs milieux (politiques) congolais : »L’argent (sans le savoir) peut tout ». C’est le signe du triomphe du paradigme de l’avoir sur celui de l’être. Et du moment que cela devient »une croyance forte », »indéboulonnable » dans les cœurs et les esprits, tous les coups sont permis ; même l’alliance avec »le diable ». A ce poins nommés, les intérêts pécuniers peuvent, dans un pays, prendre le dessus sur les intérêts sociaux, culturels et spirituels.
Concrètement, au Congo-Kinshasa, cette deuxième »croyance forte » a conduit au refus de la remise en question de Sun City et à l’acceptation de l’inacceptable : mettre le Congo-Kinshasa sous la tutelle d’un mercenaire imposé de l’extérieur.
Où a-t-on vu des mercenaires déposer les armes ?
La pression permanente de cet »extérieur » sur ladite partie de la classe politique congolaise a fini par la conduire à la soumission. Il lui est devenu impossible de produire un texte sans évoquer »les accords de Sun City ». Et elle prétend que ces accords ont conduit les belligérants à déposer les armes pour s’engager sur »la voie de la démocratie ». La première »croyance partagée » ayant conduit cette classe politique à la soumission l’a rendue pratiquement aveugle. Où a-t-elle vu ces mercenaires déposer les armes ? Où ? Ils tuent qui ils veulent et où ils veulent. Depuis Sun City jusqu’à ce jour. Le dernier exemple est celui de cet avocat criblé de balles (dans le faux procès de Katumbi à Lubumbashi) et transféré en Afrique du Sud.
Elle peut oser affirmer, sur la place publique, qu’elle a accordé un sursis au »chef des mercenaires » à la Saint Sylvestre pour éviter que le sang congolais ne puisse couler. Donc, elle ne voit pas le sang congolais coulant chaque jour et partout. Leur mainmise sur presque tous les rouages du pouvoir économique est mortifère pour des millions de compatriotes. Aveugle (envoûtée), elle ne refuse de se poser la question de connaître la nature du système où »cracher le sang » est indispensable au soutien du mode de vie du 1% des oligarques transnationaux de l’argent. Elle en appelle à la tutelle de ses »petites mains » pour la suite des événements. Quel cercle vicieux ?
L’espace public n’est pas une église. Il y a un problème. Ces compatriotes croyants oublient que l’espace public, avant de fabriquer »ses croyances », exige le débat, la délibération et la décision collective ; un débat où le consensus demeure souvent provisoire. L’espace public est pluriel. Il vit et se nourrit du pluralisme de pensées et d’idées. Et non du fétichisme religieux.
Sans pour autant minimiser sa lutte tâtonnante sur terrain, j’émets quand même des réserves sur son aboutissement raisonnable. Si cette partie de la classe politique congolaise veut que sa lutte contribue au bonheur collectif tant soit peu partagé, elle doit revoir certaines de ses croyances en restant ouverte au débat avec les nombreux intellectuels critiques congolais (et étrangers) afin de rendre ses propositions de solutions pragmatiques. (Le pragmatisme est pris ici dans le sens de cet art d’être attentifs aux conséquences). Elle doit avoir ses bureaux d’études historiques, sociales, économiques, culturelles et spirituelles). Sa foi dans les accords passer doit se laisser questionner par la raison. (Fides quaerens intellectum!). Ceci pourrait l’aider à rompre avec » ses maîtres extérieurs », ces pompiers-pyromanes, n’attendant d’elle que de la soumission aveuglante (envoûtante).
Dans un pays à plus de 80 % de croyants en Dieu, plusieurs compatriotes mettent »le mercenariat » ayant élu domicile au Congo-Kinshasa sur le dos de Dieu ou de Kimbangu. Ils rejettent le principe de la foi éclairée par la raison. Dès qu’ils évoquent »Dieu » ou Kimbangu, ils deviennent imperméables au débat d’idées contradictoires ; ils veulent que tout le monde dise : »Amen ». Non. L’espace public n’est pas une église. Il y a un problème. Ces compatriotes croyants oublient que l’espace public, avant de fabriquer »ses croyances », exige le débat, la délibération et la décision collective ; un débat où le consensus demeure souvent provisoire. L’espace public est pluriel. Il vit et se nourrit du pluralisme de pensées et d’idées. Et non du fétichisme religieux. Celui-ci peut conduit facilement aux »bitabataba ».
Babanya Kabudi
Génération Lumumba