Par Jean-Pierre Mbelu
Le peuple gagne toujours
R. TSHIMANGAQui dicte les sujets des débats congolais ? L’urgence actuelle serait-elle d’avoir un pays souverain ou d’organiser des dialogues de sourds sur des mots et des expressions dévoyés ?Bon ! Du moment que l’espace public donne l’impression de se libérer petit à petit, ne boudons pas notre plaisir ! Apportons notre modeste contribution à ce qui se fait déjà. En attendant. Même si nous sommes convaincus, les miens et moi-même, que les véritables sujets de débat au Congo-Kinshasa ne sont pas encore abordés sérieusement. L’exil d’Ekofo est un signe.
De plus en plus, les télévisions congolaises organisent des débats politiques. Les représentants de plusieurs partis politiques (ou de ce qui en reste) débattent. De temps en temps, le niveau de ces débats est convenable. Il arrive aussi que leur orientation démagogique soit très marquée et que la qualité puisse en pâtir. Il arrive enfin que l’usage de certains mots et de certaines expressions soit approximatif.
Les mots tels que »politique », »démocratie », »pouvoir »,etc. et les expressions telles que »démocratie dialogique », »démocratie consensuelle », »démocratie libérale », »amélioration du climat des affaires », etc. font souvent l’objet des usages dévoyés.
Un problème sérieux d’approche des mots et des expressions
La semaine dernière, à une télévision congolaise, j’ai entendu »un conseiller juridique » d’un parti politique congolais soutenir que parler de »démocratie » et de »dialogue », cela n’a pas de sens. Les formes dialogales de la politique, selon lui, étaient pratiquées par nos ancêtres. Il n’en est plus question aujourd’hui. Actuellement, c’est »la démocratie libérale » qui doit être mise en œuvre. Il semble que ce »conseiller juridique » est aussi assistant dans une université congolaise (à Kinshasa).
Ici, il y a un problème sérieux d’approche des mots et des expressions. Ce »conseiller juridique » débattant recourt à l’usage de la parole en l’échangeant. Il dialogue avec ses partenaires en face. Même si, à un certain moment, ils sont tombés dans »un dialogue des sourds ». Comment peut-il oser croire qu’il y aurait de la démocratie sans dialogue ? C’est-à-dire sans participation citoyenne (par la parole) aux débats, aux délibérations et aux décisions ? L’homme est animal politique parce qu’il est, de tous les animaux, celui qui est doté de la parole. Et les valeurs de participation, de délibération et de décisions collectives sont (ou devraient être) liées à toute forme du »pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple » (démocratie).
Le regroupement des »partis politiques congolais » en cartels électoralistes qui ne soient ni de gauche ni de droit pourrait se justifier par leur choix collectif de »l’amélioration du climat des affaires » en ouvrant les frontières du Congo-Kinshasa aux »partenaires-investisseurs-privés » ; c’est-à-dire en vendant le Congo-Kinshasa aux cupides et aux avides de superprofits par le canal de leurs sous-traitants tout en leur accordant »le bénéfice du doute ». Tous sont en train de berner nos populations en lui disant que ses misères seront combattues par l’argent venant d’ailleurs et non par »une économie solidaire » dont elles pourront être les actrices principales.
Soutenir que les formes dialogales de la démocratie sont dépassées, c’est ne rien comprendre ni à la pratique de la politique comme action collective, ni à celle de la démocratie comme »pouvoir du peuple », »pouvoir collectif ». (Pour aller plus loin, notre compatriote, »conseiller juridique », peut lire : J.-KI-ZERBO, A quand l’Afrique ? Entretien avec René Holenstein, Paris, Ed.de l’aube, 2003 ; J.-P. MBELU, A quand le Congo ? Réflexions & propositions pour une renaissance africaine, Congo Lobi Lelo, 2016 ; A. SEN, La démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident, Paris, Payot, 2003 ; D. ROUSSEAU, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Seuil, 2013 ; P. ROSANVALLON, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Seuil, 2008 ; M. HANSOTTE, Les intelligences citoyennes. Comment se prend et s’invente la parole collective, Bruxelles, De Boeck, 2002)
»La démocratie libérale » vantée par notre compatriote semble être »la version congolaise de l’amélioration du climat des affaires », c’est le néolibéralisme, cette rationalisation de la cupidité et de l’avidité, comme dirait Naomi Klein (dans Dire non ne suffit plus, Actes Sud, 2017). (La véritable »démocratie libérale » est promotrice des libertés fondamentales dont la liberté d’expression au cours des débats.)
Le choix de notre compatriote sonne comme un avertissement : le regroupement des »partis politiques congolais » en cartels électoralistes qui ne soient ni de gauche ni de droit pourrait se justifier par leur choix collectif de »l’amélioration du climat des affaires » en ouvrant les frontières du Congo-Kinshasa aux »partenaires-investisseurs-privés » ; c’est-à-dire en vendant le Congo-Kinshasa aux cupides et aux avides de superprofits par le canal de leurs sous-traitants tout en leur accordant »le bénéfice du doute ». Tous sont en train de berner nos populations en lui disant que ses misères seront combattues par l’argent venant d’ailleurs et non par »une économie solidaire » dont elles pourront être les actrices principales. Terrible !
Questionner et critiquer »le langage démagogique et dévoyé » des agents du statu quo congolais
Au cours de l’émission à laquelle je fais allusion, un autre compatriote recourait aux expressions telles que »le socialisme scientifique » et »la démocratie consensuelle ». Des ex-belligérants appartenant à plusieurs partis politiques congolais devraient trouver un »consensus » sur un certain nombre de questions pour remettre le pays sur les rails avant que son parti n’applique davantage son »socialisme scientifique ». Des sous-fifres du »nouveau désordre mondial » sont désignés par l’expression »ex-belligérants ». Inutilement ! Ou par souci de falsification de l’histoire en évoquant, en filigrane, une guerre raciste de prédation et de basse intensité au cours de laquelle ils ont joué le rôle de »négriers des temps modernes. Rôle qu’ils voudraient continuer à jouer en participant aux »élections-pièges-à-cons » entre copains et coquins. Et le consensus mensonger auquel ils arriveraient serait un témoignage de »démocratie consensuelle » et non d’un »affairisme-kleptocratique-consensuel » !
Questionner et critiquer »le langage démagogique et dévoyé » des agents du statu quo congolais devrait aider les minorités organisées, agissantes et consciencieuses à exorciser le discours politique congolais, à créer des solidarités résistances capables de travailler à la refondation du pays et de l’Etat au Congo-Kinshasa sur des bases saines et solides. Sur le temps long.
Des compatriotes devraient poursuivre le travail de déconstruction de ce »langage dévoyé » en se formant et en s’informant aux sources un peu plus crédibles et en ouvrant les archives. Des sources crédibles sont fondées sur la vérité des faits et une mémoire collective vivante. (Pour aller plus loin, notre compatriote »socialiste scientifique » peut lire : C. MOUFFE, L’illusion du consensus, Paris, Albin Michel, 2016) ; N. CHOMSKY, La fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Marseille, Agone, 2002 ; J.-P. MBELU, Ingeta. Dictionnaire pour une insurrection des consciences, Congo Lobi Lelo, 2017).
Questionner et critiquer »le langage démagogique et dévoyé » des agents du statu quo congolais devrait aider les minorités organisées, agissantes et consciencieuses à exorciser le discours politique congolais, à créer des solidarités résistances capables de travailler à la refondation du pays et de l’Etat au Congo-Kinshasa sur des bases saines et solides. Sur le temps long.
Un certain niveau de certains débats menés au pays vient rappeler aux minorités organisées que la guerre raciste de prédation et de basse intensité menée contre le Congo-Kinshasa a, dans une certaine mesure, atteint, dans le chef d’un nombre important de compatriotes, l’un de ses objectifs : la régression anthropologique. Et quand sans un esprit de créativité et d’inventivité du point de vue de la multiplication de nouveaux lieux de formation et d’information citoyenne, la mise du pays sur les rails risque de prendre beaucoup de temps. Les applaudisseurs, les fanatiques et les thuriféraires des »négriers des temps modernes » risquent de prendre toute la place. Des solidarités résistantes et des grands mouvements unifiés sur fond d’une bonne thérapie désenvoutante sont indispensables.
Elle pourrait nous désenvouter du discours dévoyé d’une démocrature dans un non-Etat et nous armer pour des luttes de longue haleine pour nos terres, notre identité collective et un pouvoir (citoyen) participatif à tous les niveaux de son organisation.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961