L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte l’arrêt des poursuites et la libération des activistes sénégalais et burkinabe suite aux événements du 15 mars 2015 à Kinshasa, analyse la paranoïa et le fonctionnement de la justice au Congo et explique pourquoi il est crucial qu’une nouvelle élite congolaise.
Sur l’arrêt des poursuites et la libération des activistes sénégalais et burkinabe suite aux événements du 15 mars 2015 à Kinshasa
Comment peut-on prétendre que le Congo est un pays démocratique pendant que certaines dispositions constitutionnelles ne sont pas respectées ? Comment peut-on garder des citoyens congolais dans des services de sécurité pendant plus de 10 jours sans qu’ils aient accès à leurs avocats ou qu’ils puissent être visités par leurs familles ? Et quand on sait que dans ce pays, tuer est monnaie courante et que les Chebeya et Bazana ont été tués dans des circonstances un peu semblables, on a peur que nos enfants puissent disparaître.
Il y a d’une part, un pays, le Sénégal, qui tant bien que mal accepte de suivre ses jeunes. Même si ses jeunes ne vont pas toujours dans le sens des autorités politiques, ils se sentent protégés. D’autre part, il y a les jeunes congolais, qui eux doivent se battre seuls et ne bénéficient d’aucune protection à l’intérieur du pays.
Quand vous suivez ceux qui sont rentrés dans la clandestinité. Leurs appels à l’ONU n’ont pas eu de suite. C’est le moment pour les congolais et les congolaises de pouvoir rester vigilants et de chercher à se mettre debout pour que ces jeunes ne puissent pas être trucidés sans que l’on sache ce qu’ils ont fait parce qu’ils n’ont pas encore été jugés.
Sur la paranoïa (des membres) du régime kabiliste
Et il y a une très grande méfiance entre ce groupe qui prétend être au pouvoir et les congolais. D’ailleurs, cela est resorti dans la fameuse lettre que ceux qu’on estime être les ‘frondeurs’ dans la majorité dite présidentielle ont rédigé. Il y a une rupture entre ce conglomérat d’aventuriers et le peuple congolais.
Ce conglomérat d’aventuriers serait en train de se venger contre le peuple congolais qui ne l’accepte pas et serait en train de s’en prendre à sa jeunesse pour casser tout esprit d’indépendance, toute pensée critique, tout effort de pouvoir participer à l’émancipation politique du pays. Quand on sait que les jeunes congolais ont été le fer de lance de la protestation qui a eu lieu à Kinshasa et dans d’autres coins du pays, les 19, 20 et 21 janvier 2015, on peut dans ce qui est en train de se passer maintenant une vengeance de la part de ce conglomérat d’aventuriers qui voudrait se faire passer pour des gouvernants.
Sur le système judiciaire au Congo
On ne peut pas aujourd’hui se permettre, après avoir été dans la rébellion qui a participé de l’extermination des congolais, d’affirmer qu’il y a une quelconque politique au pays. Tant que dans ce pays, on n’aura pas organisé une justice transitoire revenant sur les forfaits commis depuis la guerre de l’afdl, nous ne pouvons pas du tout croire dans le discours tenu par les Mende et autres membres de la majorité dite présidentielle qui, eux luttent pour leur survie politique.
Notre immense majorité doit pouvoir se mobiliser pour que ces jeunes puissent d’abord sortir de là où ils sont et que si ces gens qui sont aux affaires estiment qu’ils doivent être jugés, qu’ils soient jugés en bonne et due forme. Même si nous savons que c’est une justice corrompue…
Pour la plupart de ces congolais emprisonnés, il y a autre chose, en marge d’un procès en bonne et due forme. Il y a le fait que le peuple congolais a décidé de se mettre debout et de ne plus accepter d’être traîné dans la boue pendant plus de 20 ans. C’est cela qui ne plaît pas du tout à ceux qui ont du mépris pour le peuple congolais et qui ne l’aime que quand il est servile.
Sur les inquiétudes de la majorité dite présidentielle
Ils l’ont perdu aux yeux d’une certaine minorité qui leur avait accordé un certain bénéfice du doute. Essoufflés par leurs mensonges, ils savent qu’ils ne représentent plus rien pour la grande majorité du peuple congolais. Comment vont-ils faire pour leur survie politique ? Est-ce que la situation politique dans laquelle ils se retrouvent leur semble tenable ? Voilà leurs angoisses et inquiétudes même s’ils savent qu’ils peuvent frauder et tricher comme ils l’ont fait en 2006 et 2011, ils ont quand même quelques inquiétudes par rapport à l’audace dont a fait preuve le peuple congolais les 19, 20 et 21 janvier dernier.
Ces gens là n’ont jamais travaillé pour le bien des congolais. Où les a-t-on vu débattre avec les congolais ? On peut parler d’un projet de société, on peut parler d’un projet de gouvernement quand on prend ses idées, on les met sur la place publique et on en débat avec les populations auxquels on voudrait soumettre son vote. Ils ne l’ont jamais fait.
Sur la difficulté de s’exprimer au Congo
Ce sont des gens convaincus qu’aller à l’encontre de l’orientation de leurs chefs, c’est mériter la mort.
Voilà pourquoi si le Congo était un pays sérieux, tous ces gens là auraient été traduit en justice pour qu’ils disent ce qu’ils savent des assassinats de gens qui n’ont pas suivi l’orientation du chef.
Comme il est difficile de s’exprimer au Congo parce qu’il n’y a pas de place publique, pas de médias, on en arrive à la lobotomisation, au décervelage, à l’abrutissement. Et si demain et après demain, les congolais ne consentent pas d’efforts, pour créer des petites universités populaires, pour aller vers les populations, pour leur parler de leurs droits, de leurs devoirs, de leurs libertés fondamentales risquent de tomber dans le fatalisme. Or dans ce pays, tout peut changer.
Sur la nécessité d’une nouvelle élite
Mais, il y a encore de l’espoir, tout peut changer dans ce pays.
Un Etat raté est un Etat qui après avoir été déstructuré, militairement, politiquement, économiquement et socialement, n’arrive pas du tout à répondre aux attentes légitimes de son peuple. Nous n’allons pas attendre de ceux qui ont contribué à faire du Congo un Etat raté qu’ils puissent en faire un Etat digne de son nom.
Voilà pourquoi il est important qu’une nouvelle élite se lève pour opérer, petit à petit, une rupture avec ce conglomérat d’aventuriers. Au lieu de parler d’alternance, il faut réfléchir à une alternative, d’une autre façon de voir les choses, d’une autre façon de faire de la politique, d’une autre approche de l’économie et de la culture.
Il faudrait créer des structures qui aident nos populations à demander aux gouvernants de procéder régulièrement à des redditions de compte.