Par Jean-Pierre Mbelu
Le monde bouge. Le monde change. Il devient de plus en plus pluricentré. Si les acteurs sociopolitiques congolais vivent en permanence dans le déni du réel, ils risquent de condamner leur pays à un esclavage perpétuel. Ils devraient devenir davantage lucides et courageux. Pour cela, la rupture avec ‘’l’effet-chanvre-préso’’ s’impose. Le Congo-Kinshasa a urgemment besoin d’un grand mouvement de masses populaires lucides, critiques et courageuses.
Fumer du chanvre peut conduire au déni de la réalité. Tout au long de cette deuxième partie de notre article, nous entendrons par ‘’effet-chanvre’’ le fait de vivre en permanence dans le déni de la réalité congolaise. Cela tout en sachant que déni de la réalité peut aussi être le fruit d’un manque de débat réel sur les questions impliquant le véritable devenir collectif du Congo-Kinshasa. Au fur et à mesure que l’année 2016 approche, les proxies de la guerre de basse intensité menée contre le Congo-Kinshasa prennent de plus en plus de place dans l’imaginaire des plusieurs politiciens congolais de l’opposition, de la majorité mécanique et même de la résistance.
Les visées de cette guerre semble désormais avoir perdu de leur d’importance. ‘’L’effet-chanvre’’ semble avoir atteint plusieurs d’entre nous. Des rivalités personnalisées donnent l’impression de l’emporter sur une réflexion sereine au sujet du proche avenir du Congo-Kinshasa. Au vu de tout ceci, quelques questions méritent d’être posées : « Les acteurs sociopolitiques congolais ont-ils réellement réussi à identifier les véritables adversaires de leur pays ? Ont-ils maîtrisé leur mode opératoire ? Savent-ils sur combien de temps ils peuvent se battre en recourant à plusieurs proxies tout en restant fixés sur les objectifs qu’ils se sont assignés ? »
La RD Congo, un repère de « Préso » (présidents)
‘’L’effet-chanvre’’ a réussi, à l’intérieur du pays, a surdimensionné certains ‘’ egos’’ au point faire du Congo-Kinshasa un repère de ‘’Préso’’ (présidents). Ce pays totalise plus de 400 partis politiques et plus de 600 organisations de la société civile ayant chacun son ‘’Préso’’. De l’intérieur, le pays est sérieusement atomisé. La divergence des intérêts entre tous ces ‘’Préso’’ en fait une proie facile entre les mains de ceux ayant fait de ‘’la division pour régner’’ l’un de leurs principes de lutte pour la conquête des peuples et de leurs terres. Cette ennemie interne, ‘’la division’’ est facilement instrumentalisée par les pays ayant réussi, depuis plusieurs années ou plusieurs siècles, a créé une ‘’ sainte alliance’’[1]. Il s’agit des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France. (Un président français a avoué, sans ambages, qu’une grosse partie de l’argent qui se retrouve dans le porte-monnaie français vient précisément de l’exploitation de l’Afrique[2].)
De l’intérieur, le pays est sérieusement atomisé. La divergence des intérêts entre tous ces ‘’Préso’’ en fait une proie facile entre les mains de ceux ayant fait de ‘’la division pour régner’’ l’un de leurs principes de lutte pour la conquête des peuples et de leurs terres. Cette ennemie interne, ‘’la division’’ est facilement instrumentalisée par les pays ayant réussi, depuis plusieurs années ou plusieurs siècles, a créé une ‘’ sainte alliance’’
Dans la lutte que mène cette ‘’sainte alliance’’ pour s’accaparer les terres et les mers, pour avoir accès aux richesses du sol et du sous-sol des pays dont elle tient à détricoter la souveraineté afin de mieux les dominer, l’atomisation des forces est une arme redoutable. Cette lutte dure depuis plusieurs siècles. Les efforts conjugués par les résistants congolais d’avant l’indépendance et les Pères fondateurs de celle-ci ont été suffisamment anéantis par l’assassinat de Lumumba, la neutralisation de ses compagnons de lutte, le coup d’Etat de Mobutu, les programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale et la guerre des anglo-saxons des années 90.
Comment reprendre cette lutte interrompue avec plus de 400 partis politiques et 600 associations de la société civile noyautées pour la plupart par les agences et instruments de sédition made in USA ? Ceci n’est pas possible sans un minimum de rupture avec ‘’l’ennemi interne’’ : la division ou l’atomisation des forces vives en vue de recréer un grand mouvement de masses populaires et surtout paysannes.
Recréer un grand mouvement de masses porté par des masses critiques reste, à ce niveau, une solution plus ou moins incontournable. Qui dit masses critiques dit masses info-formées, lucides et courageuses, ayant une bonne maîtrise historique des enjeux face auxquels le pays est placé et capables d’apprendre des expériences ayant réussi chez les autres (et/ou dans leur passé collectif).
Gagnés par ‘’l’effet-Préso’’, plusieurs acteurs sociopolitiques congolais incapables de lutter sur le temps long avouent être disposés à nouer des alliances avec ‘’le diable’’ (diviseur) pourvu qu’ils arrivent à leur fin ; c’est-à-dire gouverner le Congo-Kinshasa. Pourtant, les alliances passées nouées avec ce ‘’diviseur’’ n’ont pas encore réussi en en faire des Congolais(es) les véritables gouvernants de leur pays. L’amnésie a tout emporté dans leurs cœurs et dans leurs esprits. Et évitant d’examiner en profondeur ce passé collectif, ils préfèrent opter pour ‘’l’effet-chanvre’’ et le déni du réel. Ainsi en viennent-ils, après avoir lutté au cours de deux ou trois processus électoraux viciés et vicieux, à se jeter dans les bras du ‘’ diviseur’’ pour être à son service comme ‘’nègres de service’’, à se laisser prendre à son piège. Ils oublient leur état réel de ‘’marionnettes’’ en affirmant qu’ils sont enfin aux affaires.
Les membres de la ‘’sainte alliance’’ travaillent sur le temps long
Contrairement à ces ‘’nègres de service’’ pressés, les membres de la ‘’sainte alliance’’ travaillent sur le temps long. Ils archivent. Ils transmettent le débat d’idées sur leurs visées à leurs jeunes générations. Certaines universités et centres de recherche se chargent de mettre ces archives au service de leur progéniture. Fondés sur le capitalisme ensauvageant, ils recourent, pour divertir, à la rhétorique de la démocratie, des droits de l’homme et de ‘’la nécessité de protéger’’ pour atteindre leurs visées : dominer le monde en le dépossédant de ses ressources et de son humanité au profit du 1% des oligarques d’argent et de quelques familles opérant au cœur des transnationales et des autres entreprises mortifères. Hélas ! La ‘’sainte alliance’’ ne réussit pas toujours.
Quelques pays ayant étudié et compris ces visées et les modes opératoires auxquels la ‘’sainte alliance’’ recourt pour les atteindre ont décidé de créer des grands ensembles soudés dans le respect du droit internationale, la recherche de la paix et de la prospérité. Ils réussissent tant bien que mal.
Plusieurs présidents des pays latino-américains ont créé de grands mouvements de masses et rompus leurs liens avec les tueurs à gage économiques que sont les Institutions Financières Internationales. Plusieurs pays asiatiques sont en train de mettre debout une ‘’Eurasie’’ efficiente et efficace. Il est curieux que toutes ces luttes plus ou moins réussies semblent passer inaperçues au Congo-Kinshasa.
Plusieurs présidents des pays latino-américains ont créé de grands mouvements de masses et rompus leurs liens avec les tueurs à gage économiques que sont les Institutions Financières Internationales. Ils les ont fondés sur la solidarité, la coopération et l’égalité et ils ont impulsé une intégration économico-politique courageuse. Plusieurs pays asiatiques sont en train de mettre debout une ‘’Eurasie’’ efficiente et efficace. Contre vents et marées. Ils créent leurs banques et leurs monnaies pour sauvegarder leur indépendance et leur souveraineté dans le respect mutuel. Plusieurs amis des USA sont en train de les rejoindre pour être membres de la Banque Asiatique de l’investissement des les infrastructures[3]. Les BRICS travaillent dans le même sens.
Il est curieux que toutes ces luttes plus ou moins réussies semblent passer inaperçues au Congo-Kinshasa. Plusieurs acteurs sociopolitiques recourent aux schémas et pratiques géopolitiques et géostratégiques éculés. Ils ne semblent pas comprendre que le monde bouge ; que la multipolarité est en train de devenir une réalité. La géopolitique, la géoéconomie et la géostratégie classiques marquent leurs limites. Terrible !
Les ‘’effets-chanvre-préso’’ peuvent avoir leur influence sur ces approches. Il y a aussi les effets nocifs de l’hégémonie culturelle occidentale, la profanation de l’espace sociopolitique congolais par l’ignorance et l’inculture, etc. dont il faut tenir compte. A ce point nommé, l’invention d’un imaginaire alternatif demeure une urgence.
Dialoguer en permanence avec les pères et les mères de la résistance congolaise, avec les initiateurs des mouvements de lutte anti-esclavagistes et anticolonialistes peut sérieusement y contribuer. Ce dialogue peut redonner l’âme aux luttes congolaises d’émancipation politique et de souveraineté.