Par Jean-Pierre Mbelu
Face au « chaos ordonné » qu’ils ont créé ensemble pendant plus de deux décennies au Congo, certains membres du « clan Kabila » en appellent maintenant aux concertations nationales pour réaliser la cohésion nationale contre l’implosion du pays ; c’est-à-dire contre le chaos qu’ils ordonnent de l’intérieur sous l’instigation de leurs parrains et de l’ONU. Tel est le cercle vicieux dans lequel notre pays est en train de s’enfermer et que certains d’entre nous applaudissent comme « issue à la crise ». Tel est le piège.
Il est possible que Bosco Ntaganda soit transféré à la CPI pour ses crimes individuels. Cela ne devrait pas nous pousser à oublier que la CPI est « une Cour des vainqueurs » siégeant au Conseil de Sécurité de l’ONU et que la guerre de basse intensité imposée à notre pays participe du « chaos ordonné » par certains d’entre eux et leurs alliés. Donc, l’arrestation d’un individu par la Cour Pénale de ses créateurs peut-être lue comme un non-évènement. Elle ne s’attaque pas au mal à la racine ; c’est-à-dire au démantèlement du système, des structures et des institutions créateurs de la guerre et de la violence. Pour le dire en d’autres mots, s’en prendre à l’impunité individuelle ne signifie pas nécessairement chercher à mettre fin à l’impunité structurelle. Et puis, pour un Ntaganda mis à l’écart, combien de « Ntaganda » restent-ils encore tapis dans les institutions congolaises ou en attente du retour au Congo à partir des pays voisins dont le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi ? Aussi, l’itinéraire suivi par Bosco Nataganda, de l’Est du Congo en passant par Kigali jusqu’à l’ambassade des USA est-il symboliquement très éloquent. Pour tous « les Ntaganda », ces criminels contre l’humanité et ces criminels de guerre dont regorgent l’Afrique des Grands Lacs, « tout chemin mène à Rome », à « l’empire des temps modernes » sur le déclin. Pourquoi ? Ils obéissent au modus operandi de cet empire.
Rares sont ceux d’entre nous qui se rendent compte qu’au moment où la guerre de basse intensité s’installe chez nous vers les années 2000, l’empire étasunien est occupé à détruire certains pays dont l’Irak et l’Afghanistan. (Cette guerre a coûté plus de 3000 milliards de dollars.) En Irak, il est décidé à ramener les Irakiens à l’âge de la pierre en ordonnant à ses marines de tuer pour tuer ; sans discernement. Un ex-marine, Jimmy Massey, en témoigne dans un livre intitulé « Kill, kill, kill. Crimes de guerre en Irak ». (Ces crimes de guerre ont conduit les Irakiens à entrer en insurrection.)
Quand ce passage de l’Irak (et de l’Afghanistan) à l’Afrique des Grands Lacs n’est pas réalisé dans la plupart de nos esprits, il nous devient impossible de comprendre que le nombre de morts provoqué par la guerre de basse intensité qui sévit chez nous ne puisse aucunement émouvoir « les killers » de l’empire, leurs alliés et leurs nègres de service. (En Irak, ils ont fait usage de l’uranium appauvri dont les conséquences se font et se feront sentir dans les populations pendant très longtemps. La naissance des enfants avec malformations en est une.)
L’ignorance de ce modus operandi conduit plusieurs d’entre nous à croire au cinéma qui est en train de se jouer maintenant à l’Est de notre pays : la participation de l’empire étasunien au transfèrement de Bosco Ntaganda pour qu’il aille répondre de ses crimes. (Au moment où le même empire demande que l’immunité judiciaire soit garantie au proche parrain de Bosco, Paul Kagame, dans le procès qui l’oppose aux veuves des présidents rwandais et burundais ayant péri dans l’attentat du 06 avril 1994.) Non. Nous devrions rester très vigilants. L’empire ordonne le chaos pour mieux contrôler les cœurs et les esprits, les voies d’approvisionnement en matières premières stratégiques et en énergie, les terres et les mers, etc. « Notre tort à nous, Africains, disait Frantz Fanon, est d’avoir oublié que l’ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule, mais ne se convertit pas[1] », avant qu’il n’ait atteint ses objectifs en créant « le chaos ordonné ».
Le chaos ordonné est aussi l’œuvre des nègres au service de l’empire. Ils sont, entre ses mains, comme des pions interchangeables. Il en dispose à sa guise. Le cas de Mobutu, de Bosco Ntaganda, etc. en disent long.
Rappelons-nous que « le clan Kabila », dont Lambert Mende est le porte-parole, nous avait présenté Bosco Ntaganda comme un élément indispensable à la paix à l’Est de notre pays. Ce « clan » avait fait, de ce militaire du Front Patriotique Rwandais, un général de l’armée congolaise. Et il n’était pas le seul ; Nkunda, Joseph Kabila et beaucoup d’autres officiers de cette armée ont été membres du Front Patriotique Rwandais. Face au « chaos ordonné » qu’ils ont créé ensemble pendant plus de deux décennies au Congo, certains membres de ce « clan » en appellent, avec l’appui des élites compradores, aux concertations nationales pour réaliser la cohésion nationale contre l’implosion du pays ; c’est-à-dire contre le chaos qu’ils ordonnent de l’intérieur avec l’appui de leurs parrains et de l’ONU. Tel est le cercle vicieux dans lequel notre pays est en train de s’enfermer et que certains d’entre nous applaudissent comme « issue à la crise ». Tel est le piège.
Il y a un travail de l’intelligence à poursuivre au sein des think tanks des minorités organisées et agissantes sur un changement profond à opérer dans notre pays en impliquant nos masses paysannes et populaires dans la neutralisation des « chevaux de Troie » et autres nègres de service ; mais aussi dans la rupture de notre dépendance vis-à-vis de l’empire et de ses alliés. Ce chemin vers notre véritable souveraineté nous semble encore long. Même très long. Mais l’horizon s’éclaircit de plus en plus… Il y va du renversement du joug du viol de notre imaginaire collectif (et structurel) en renonçant à l’idolâtrie de l’argent et du clientélisme. Mais aussi de la lutte contre l’ignorance crasse.
Mbelu Babanya Kabudi