Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu/ Source: Le Potentiel.
Analyste des questions sociopolitiques, sécuritaires et militaires du Congo, auteur de l’ouvrage « Les Armées au Congo-Kinshasa – Radioscopie de la Force Publique aux FARDC /Monde Nouveau », Jean-Jacques Wondo Omanyundu décrypte l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RD Congo et la région (CIRGL, SADC, CEEAC) signé par 11 pays le 24 février 2013 à Addis-Abeba.
L’Accord-cadre est un accord générique conclu entre plusieurs parties engagées dans un conflit ou une affaire donnée dont les termes sont assez généraux pour servir de cadre à des résolutions d’application, à des actions à mener et à des résultats à obtenir par les parties signataires en termes d’engagement sur le terrain.
Il s’agit plus d’un instrument de planification des actions que d’un document détaillant point par point les différentes procédures à suivre pour atteindre le but escompté.
Un réquisitoire sévère
Malgré le caractère générique de l’Accord, son analyse minutieuse fait transparaître un réquisitoire sévère contre le gouvernemental congolais dont l’ensemble des domaines d’action est sérieusement mis en cause pour ne pas dire recalé.
L’Accord exige ni plus ni moins au gouvernement congolais de s’engager à «consolider l’autorité de l’Etat, en particulier à l’Est de la RDC, y compris en empêchant les groupes armés de déstabiliser les pays voisins » et à « continuer et approfondir la réforme du secteur de la sécurité… »
Ces deux dispositions constituent un constat d’échec et admettent implicitement que tout ce qui a été entrepris jusqu’à présent, dans le cadre de la réforme du secteur de la sécurité censée restaurer l’autorité de l’Etat, n’a pas été efficace.
L’Accord exige également à l’Etat congolais d’ « effectuer des progrès en ce qui concerne la décentralisation ». Cette question de la décentralisation suscite déjà une levée de boucliers ici et là, et risque de devenir une bombe à retardement si elle est mal gérée. Ça sent déjà le roussi dans la province du Katanga, notamment avec la milice « Kata Katanga » et la jeunesse de l’Unafec de Kyungu qui véhicule un discours séditieux.
Cette décentralisation prônée par l’Accord-cadre pourrait aboutir à terme à revoir le découpage territorial de certains territoires actuellement au Nord-Kivu (Masisi, Kitchanga ou Rutshuru) où le M23 envisage s’implanter durablement, militairement et ethniquement. Ce, dans le but de consolider son ancrage ethno-sociopolitique et militaire de sorte à passer vers une phase ultime visant à exiger l’autonomie administrative.
Mobiles latents de l’Accord du 23 mars 2009
L’Accord du 23 mars 2009 signé entre le gouvernement congolais et le CNDP prévoit notamment en son article 8 les dispositions suivantes :
– 8.1. Les parties conviennent que le rapprochement de l’administration des administrés est une exigence de bonne gouvernance.
– 8.2. Se fondant sur la nécessité d’une meilleure prise en compte possible des réalités sociologiques du pays, le CNDP a proposé une modèle de découpage du territoire national.
Donc, si l’on n’y prend pas suffisamment garde, la pression diplomatique exercée sur le Gouvernement congolais risque d’aboutir à l’effectivité de cette situation sur le modèle du Sud-Soudan.
L’objectif final du M23 n’est ni plus ni moins de créer un « Tutsiland » au Congo inféodé à Kigali. C’est peut-être le revers de la médaille de l’accord du 23 mars 2009 conclu après une série de contacts bilatéraux secrets entrepris entre les présidents Kabila et Kagame entre octobre 2008 et janvier 2009. Un accord conclu après le lancement de l’opération militaire conjointe des armées rwandaise (RDF) et congolaise (FARDC).
Un succès politique certes mais aux résultats militaires mitigés :153 FDLR tués, 13 blessés, 37 capturés, 103 rendus et rapatriés au Rwanda par le biais de la DDRRR de la MONUC.
L’autre mobile latent de l’accord du 23 mars 2009 est de permettre au Rwanda, via le CNDP interposé qui a maintenu sa chaîne de commandement parallèle intacte et autonome du commandement national des FARDC, de pouvoir bénéficier de la rente minière tirée par l’exploitation illicite des ressources naturelles du Kivu, directement exportée vers le Rwanda qui devient par miracle grand producteur du coltan alors que les experts et géologues n’ont pas su démontrer l’existence de ce minerai en quantité « commerçable » suffisante au Rwanda.
D’autres experts, dont l’ex-ambassadeur français au Congo, Pierre Jacquemot (Cfr ouvrage « Les armées au Congo-Kinshasa, pp. 253-254 »), estiment que « l’enjeu des opérations « Umoja wetu » dans le Nord-Kivu et « Kimya II » dans le Sud-Kivu était la reconquête des sites perdus, un retour à la situation qui prévalait dans la région entre 1996 et 2002, avec la mise sous tutelle du « Petit Nord » (territoires de Rutshuru et du Masisi) ».
Cela a entraîné une nouvelle redistribution de la carte économique. Le choix des sites des opérations (terroirs riches en minerais, en terres de pâturage et forêts) a conduit sans doute à conforter la thèse selon laquelle le Rwanda était effectivement venu consolider ses positions économiques dans l’est de la RDC.
Il semblait qu’au milieu de l’année 2009, la cartographie des territoires « libérés » à la suite de l’intégration du CNDP, comme des zones sous influence du FDLR qu’il fallait reconquérir par la force ou la dissuasion, ressemblait en transparence à celle des sites miniers.
Ce n’est pas anodin de constater que le Rwanda, par le M23 interposé, poursuit actuellement le même objectif économique que le CNDP dont il se fait chantre en brandissant les accords du 23 mars 2009 comme l’essentiel de ses revendications à Kampala.
Les engagements de l’Accord-cadre peuvent piéger la RDC
L’Accord-cadre prévoit également de :
– « Promouvoir les objectifs de réconciliation nationale, de tolérance, et de démocratisation ». Il s’agit d’un aveu du Gouvernement congolais que les efforts qu’il pense avoir consentis sur cette voie sont loin d’avoir portés des résultats satisfaisants.- « Promouvoir la réforme structurelle des institutions de l’Etat, y compris la réforme des finances ».
Cet engagement dénote également, dans un langage diplomatique, qu’il y a un problème de bonne gouvernance démocratique et économique, en plus de pointer fonctionnement défaillant des institutions de l’Etat.
– « Promouvoir le développement économique, y compris au sujet de l’expansion des infrastructures et de la fourniture de services sociaux de base ». Cet engagement renvoie au constat d’échec de la politique socioéconomique menée jusqu’à présent par le Gouvernement Congolais qui ne répond pas encore suffisamment aux besoins sociaux des congolais. Lesquels besoins sociaux correspondent à s’y méprendre aux programmes dits de « cinq chantiers » ou de « révolution de la modernité.
Pour la région, même si l’accord défend les principes de non ingérence dans les affaires intérieures et de souveraineté et intégrité territoriale des Etats ainsi que la lutte contre l’impunité, il soutient subtilement le renforcement de la coopération régionale, y compris à travers l’approfondissement de l’intégration économique avec une attention particulière accordée à la question de l’exploitation des ressources naturelles.
Cette résolution soutient implicitement la transnationalisation de l’exploitation commune des ressources du Congo qui doit s’ouvrir aux autres Etats de la région. Une résolution qui, a fortiori, pourrait se buter à celle relative au respect de la souveraineté du Congo que le même accord cadre défend.
D’autre part, ces engagements peuvent piéger la RDC dans la mesure où le Rwanda n’a à ce jour manifesté aucune volonté de régler définitivement l’épine FDLR par un dialogue politique interne inclusif en vue de leur rapatriement en sécurité au Rwanda. Comment peut-on exiger au Congo de combattre les FDLR et de ne pas les abriter dès lors que le Rwanda s’oppose à leur réintégration dans sa société ?
Pour la communauté internationale, on exige notamment « un engagement renouvelé des partenaires bilatéraux à demeurer mobilisés dans leur soutien à la RDC et la région, y compris avec les moyens appropriés pour assurer la durabilité de ces actions sur le long terme; et d’appuyer la mise en oeuvre des protocoles et des projets prioritaires du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs. »
Il est suspicieux de s’apercevoir que cet Accord défend l’idée d’un engagement des partenaires bilatéraux alors que la solution à la crise que traversent la RDC et sa région requiert une solution dans un cadre multilatéral intégral et intégré pour maintenir une certaine cohérence, transparence dans la coordination des actions
L’accord-cadre prévoit également « une revue stratégique de la Mission de stabilisation de la MONUSCO afin de renforcer son appui au gouvernement pour faire face aux enjeux d’ordre sécuritaire et favoriser l’expansion de l’autorité de l’Etat ».
La seule stratégie efficace
La seule stratégie efficace serait celle similaire à ce qui a été mis en oeuvre par la résolution 161 du 21 février de 1961 qui mettait ouvertement en application les prescrits de l’article 42 du chapitre 7 de la charte de l’ONU qui confie au Conseil de sécurité (le mandat et les règles d’engagement) le droit d’entreprendre, au moyen des actions armées, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales.
Cette action peut comprendre des initiatives militaires de combat à confier MONUSCO. Or l’engagement d’Addis-Abeba s’appesantit sur la stabilisation alors qu’on ne saurait stabiliser le Congo sans rétablir au préalable la paix ni sécuriser les zones sous tension.
Or, ces deux prémisses (pacification et sécurisation) sont laconiques dans l’Accord-cadre. Il est urgent, compte tenu de la politisation, des divergences d’intérêt et des rivalités qui naissent entre l’ONU, l’UE, l’UA et la SADC (davantage économiquement boulimique au Congo), de trancher clairement la question de leadership international de l’appui à la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS) pour une meilleure coordination et répartition des tâches.
Actuellement, seules les Nations Unies peuvent fournir un cadre politique approprié pour coordonner toutes les activités d’assistance techniques à la RSS et toutes les interventions militaires au Congo en redéfinissant drastiquement les missions d’une MONUSCO indolente et naviguant en vue.
Il faudra veiller à la cohésion et à l’harmonisation de différentes coopérations bilatérales actuelles existantes au sein d’un cadre global de coopération multilatérale afin que les efforts déjà déployés se conjuguent et convergent, non concurremment et avec efficacité, vers les mêmes objectifs et résultats.
Quant à « la nomination d’un Envoyé spécial des Nations Unies pour soutenir les efforts pour trouver des solutions durables…, ne sommes-nous pas en droit de nous interroger si cette disposition ne préfigure-t-elle pas la nomination future d’un représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU au Congo si la situation continue à se détériorer sur le terrain ? Un « William Swing bis » qui sera en quelque sorte le futur vrai président de fait de la RDC ?
Constats
En signant l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, le Gouvernement congolais, par la voie du chef de l’Etat, reconnait ses défaillances. Cela semble l’engluer dans une position schizophrénique du double langage paradoxal qui tend à le piéger à deux niveaux :
1°) Sur le plan intérieur : le Gouvernement, qui ne cesse de vanter des performances en termes de progrès sur les plan démocratique, de l’Etat de droit et socioéconomique, malgré que les rapports sérieux (Doing Business, PNUD…) le contredisent, accepte ici d’adopter un profil bas qui annihile tous ses faux exploits criés à coups de propagande médiatique.
Une attitude éhontée qui le décrédibilise davantage auprès de l’opinion publique congolaise qui, à son tour, se base sur l’Accord-cadre pour renforcer la pression sur le Gouvernement en le mettant face à ses (ir-) responsabilités dans son double langage politique paradoxal.
2°) Sur le plan extérieur, le goulot de son propre étranglement se situe au fait que l’Accord recommande à l’Etat congolais de procéder à une profonde RSS.
Pourtant dix ans après la mise en oeuvre des accords de Pretoria, la situation sécuritaire ne fait que s’empirer. Les FARDC sont plus que jamais une armée des milices échappant au contrôle de leur hiérarchie.
Les 2.500 hommes prévus ne viendront que dans le cadre de la brigade spéciale internationale d’intervention. Cette brigade d’intervention ne viendra pas pour réformer l’armée mais bien pour éradiquer – si elle y parvient ! – les groupes armés.
Et ce, sans toutefois que l’on sache à ce jour la nature exacte des forces qui vont la composer, son mandat et ses règles d’engagement concrets, le rayon géographique et opérationnel de son action, la durée de sa mission et son interaction avec les FARDC et le reste de la MONUSCO.
En l’absence d’une vraie armée qui sera difficile à (ré-)former par les seuls Congolais, comme l’exige l’Accord-cadre, le risque de voir les pays de la région revenir malignement opérer en RDC est élevé.
Ces Etats agresseurs vont arguer que les FARDC, censées assurer la sécurité conformément à l’Accord-cadre, n’ont pas été en mesure de le faire car inefficaces. Cela servira d’alibi ou de casus belli au Rwanda et à l’Ouganda.
Ainsi, de façon préventive, sur base de l’Accord-cadre, ces deux pays agresseurs du Congo depuis 1996 pourront juridiquement justifier leur retour militaire en RDC par d’autres nouveaux groupes armés qu’ils pourront créer et instrumentaliser, à l’instar du M23.
Donc, le risque que le Congo soit pris dans son propre piège par cet Accord-cadre qui au finish pourrait ressembler à un jeu de dupes reste réel et potentiellement élevé.
Surtout lorsque nous commençons à décoder le modus operandi du régime rwandais et alliés qui jonglent avec la stratégie de « fighting and talking » : Se battre pour étendre leur influence au delà du Rwanda et lorsque ils sont mis sous pression, on négocie (talk) afin de baisser la tension, faire diversion par une manoeuvre de retardement.
Et quand la situation sur le terrain leur sera à nouveau favorable, revenir manu militari à la charge en se justifiant que la RDC a failli à ses engagements.
Ainsi, le Congo va se retrouver dans une spirale sans fin de ruptures et continuités, marqués des moments de violences entrecoupés par de courtes périodes de trêve (et non de paix) et d’accords de paix à répétitions. Pour construire la paix il faut être au-moins à deux. Mais ici, on exige cyniquement au Congo d’être le seul vrai moteur de la construction d’une paix hypothétique.
Un des éléments positifs que l’on peut relever dans cet Accord-cadre est le fait que l’Accord apparaît comme le début d’une amorce globale et multilatérale de solution à cette crise régionale qui nécessite que des solutions soient prises dans un cadre systémique géopolitique régionale mais aussi ailleurs.
En ce, l’accord défend le principe d’intégrité et de souveraineté territoriales du Congo et interdit aux pays de la région de soutenir les rebelles sévissant au Congo à partir de l’extérieur. Ce qui est un mérite même s’il faille attendre comment tout cela va s’opérationnaliser concrètement sur le terrain.
Cependant, cet Accord qui propose une batterie de recommandations au Congo, ne fait aucune mention du Rwanda et de l’Ouganda, parties prenantes dans cette crise. Deux Etats qui doivent, aussi de leur côté, consentir des efforts internes en ouvrant un dialogue politique inclusif interne et leur espace démocratique. Un point qui hélas n’a pas figuré dans l’agenda de l’Accord-cadre.
Conclusion
Lorsque l’on analyse la situation sécuritaire depuis Pretoria 2002, l’on se rend compte que dans cet exercice, la RDC n’est pas à sa première expérience d’accords.
Des accords qui se présentent plus comme des effets d’annonce et qui n’apportent pas de réels changements de fond sur le terrain tant qu’il n’y aura pas de réels engagements et volonté des autorités congolaises, des pays de la Région et de la Communauté internationale.
Il revient en premier lieu au Congo de saisir la balle au bond pour mener des actions bien réfléchies et ciblées avec des moyens adéquats et des objectifs clairs à atteindre en termes diplomatiques, de RSS, de réformes institutionnelles à la suite des scrutins chahutés de 2011 ayant érodé la légitimité des institutions étatiques actuelles.
Il s’agit aussi de mener des actions en termes de concorde nationale par de réels progrès sur les plans socioéconomique et démocratique (notamment via un dialogue franc de réconciliation nationale) visant à juguler le mécontentement populaire croissant.
Ce, de sorte à entrainer une adhésion animique de la population aux actions de ses gouvernants pour créer un front national commun contre les prédateurs et les agresseurs du Congo et ne pas leur fournir de faux alibis.
Enfin, un communiqué officiel de l’UE, signé notamment par sa Haute représentante pour les affaires étrangères, Catherine Ashton, dit que « Cet accord représente une opportunité pour un nouveau départ dans la région et pour les populations qui ont trop souffert ».
Pour couper court à ceux qui avancent que l’Accord vise la poursuite des efforts déjà réalisés jusqu’à présent, l’UE, dans un langage diplomatique clair, vient d’admettre l’échec de TOUT ce qui a été entrepris auparavant. L’UE parle d’un nouveau départ pour tous, c’et-à-dire repartir de zéro.
Un réquisitoire sévère contre l’Etat congolais qui se trouve désormais pieds et poings liés par les engagements auxquels le chef de l’Etat a souscrit à Addis-Abeba et qui n’a plus d’autre choix que de s’engager, sans faux-fuyant, dans un dialogue ouvert et franc de cohésion nationale après tous ces mauvais départs qui risquent de compromettre l’avenir du Congo.