Par Jean-Pierre Mbelu
Depuis 1996, les charniers se multiplient au Congo-Kinshasa et dans presque toutes les provinces. Il n’est pas très sûr que nous, Congolais(es), avons sérieusement pris la véritable mesure de ce qui nous arrive depuis la guerre de l’AFDL.
Ils ont enterré 425 cadavres dans une fausse commune, ces ‘’nouveaux prédateurs’’ ! Ils disent que ce sont des ‘’fausses couches’’, des ‘’mendiants’’ et des ‘’indigents’’. Eux dont l’argent sent le sang !
Il n’est pas très sûr que nous, Congolais(es), avons sérieusement pris la véritable mesure de ce qui nous arrive depuis la guerre de l’AFDL. Nous avons davantage sombré dans l’inculture. Nous avons perdu nos repères. Le respect dû à la vie et à la mort est perdu. Nous avons perdu notre être au nom de l’avoir. ‘’Kolata bien’’, ‘’komela miliki’’, ‘’kozala na diplôme’’ et ‘’kokende de temps en temps na mikili’’, tels sont devenus ‘’les maîtres mots’’ pour un nombre assez important de compatriotes.
Les questions liées à la provenance des vêtements, du lait, du diplôme et des visas facilitant le voyage sont devenues secondaires. Tuer, voler, se prostituer, mentir, etc. peuvent être des voies d’accès aux biens de ce monde. Plusieurs d’entre nous préfèrent les emprunter pourvu qu’ils soient ‘’vus’’. Au nom du ‘’m’as-tu vu’’, nous avons sacrifié notre être, ‘’nos valeurs vitales’’, notre fierté et notre dignité.
Il est possible que ceux qui ont décidé de nous exterminer pour des raisons de discrimination raciale, par instinct de domination et par mépris pour nous profitent de la perte de notre être pour nous mener la vie dure.
Depuis 1996, les charniers se multiplient au Congo-Kinshasa et dans presque toutes les provinces. Nos morts se comptent par millions. Et plusieurs d’entre nous, en costume et cravate, louent au quotidien les exploits de nos bourreaux. Le larbinisme est devenu pour plusieurs d’entre nous un sport favori.
Depuis 1996 et même un peu avant, le loup s’est introduit dans la bergerie. Le ver est dans le fruit. Au fur et à mesure que se multiplient les constructions anarchiques de maisons, l’acquisition illicite des comptes en banque, l’explosion du nombre de diplômés d’université, la qualité de l’élite congolaise prend un coup mortel et le Congo-Kinshasa poursuit sa descente aux enfers.
Quand, jeunes, nous étudions Birago Diop et que nous apprenions que ‘’nos morts ne sont pas morts’’, qu’ils ne sont jamais partis, nous pensions au rôle que les vivants ont de soigner leurs relations avec eux. Quand nous étions jeunes, les Birago Diop, les Bimwenyi, les Museka, les Bilolo, les Biyogo et les Kalamba Nsapo, les Césaire, etc. nous enseignaient le sens de la vie en mettant un accent particulier sur les soins à apporter à nos morts, à ceux d’entre nous qui nous avaient précédés au ‘’Kala Kakomba ka Maweja, kudi bibote ne bikonde’’.
Ils nous disaient que l’humain, le Muntu appartenait à ‘’Autrui’’ ; c’était ‘’un humain-d’autrui-de Dieu’’ ; un Muntu wa Bende. Que l’humain appartenant à Autrui méritait d’être respecté dans sa dignité.
Depuis 1996, le ‘’Muntu wa Bende’’ est réduit à ‘’l’indigent’’, au ‘’mendiant’’, à ‘’un déchet jetable’’. Au nom de l’avoir, il peut être tué, dépossédé de ses biens et jeté dans une fosse commune. Il est chassé de ses villages par les marchands des ressources du sol et du sous-sol et les ‘’nouveaux prédateurs’’ pour être livré au dépaysement, à la faim, à la soif, à la maladie, à la mort. Il est réduit au rang de la bête de somme. Sa vie n’a pas de prix pour ‘’les nouveaux riches’’, ‘’les nègres de service ‘’ de l’ultralibéralisme.
Dieu merci ! Les minorités organisées et agissantes veillent. Elles luttent et lutteront jusqu’à leur dernier souffle pour que le ‘’Muntu wa Bende’’ soit respecté dans sa dignité. Pour elles, c’est une question de vie ou de mort. Elles savent que leurs compatriotes ont été détruits dans leur être-même. Et que cet être doit prioritairement être reconstruit.
Mbelu Babanya Kabudi