Par Jean-Pierre Mbelu
Trente juin, ô doux soleil
Trente juin, du trente juin
Jour sacré, soit le témoin,
Jour sacré, de l’immortel
Serment de liberté
Que nous léguons
Le trente juin 1960 fut un grand jour pour les pères et les mères des luttes pour notre indépendance. Ils pensaient avoir atteint l’un des objectifs majeurs de leurs efforts pour s’émanciper du joug colonial. C’étaient peut-être sans compter avec les forces corruptrices opérant dans les coulisses de l’histoire et la versatilité des assoiffés du « pouvoir-os » kongolais.
Plusieurs compatriotes ne le savent peut-être pas. A la Table Ronde politique de Bruxelles de 1960, Lumumba a posé une question à laquelle ses interlocuteurs n’ont pas pu répondre. La voici : « Quel sera le contenu de l’indépendance ? » Cette question traîne à avoir sa réponse collective jusqu’à ce jour.
Le contenu du mot « Indépendance »
Toutes les Kongolaises et tous les Kongolais, à quelques exceptions près, soutiennent que le pays est devenu indépendant le 30 juin sans se donner la peine de définir le contenu du mot tout en refusant et/ou en ignorant le contenu que Lumumba lui avait donné et qui est et demeure encore exact. « « Pour moi, avait-il dit, ce mot signifie que les Congolais sont devenus maîtres de leur pays. » Lorsque les Belges présents à la Table Ronde estiment que puisque le manque d’intellectuels kongolais est criant et qu’il serait possible de garder le roi (belge) comme chef de deux Etats séparés, avec deux gouvernements, Lumumba a apporté une précision : « Dès le 30 juin, jour de l’indépendance, c’est un Congolais qui sera chef de l’Etat, les Congolais seront maîtres de leur pays.»
Toutes les Kongolaises et tous les Kongolais, à quelques exceptions près, soutiennent que le pays est devenu indépendant le 30 juin sans se donner la peine de définir le contenu du mot tout en refusant et/ou en ignorant le contenu que Lumumba lui avait donné et qui est et demeure encore exact. « « Pour moi, avait-il dit, ce mot signifie que les Congolais sont devenus maîtres de leur pays. »
Depuis cette Table Ronde jusqu’à ce jour, le débat sur le contenu du mot indépendance n’a pas eu collectivement lieu au Kongo-Kinshasa de façon qu’ayant une compréhension partagée par le plus grand nombre des vérifications soient aussi faites collectivement pour savoir si elle est mise en pratique ou pas. Et que les luttes collectives l’aient dans leur ligne de mire. Malheureusement, ce n’est pas cela qui se fait.
D’ailleurs, quelques onze jours après la proclamation de cette fameuse indépendance du pays, Tshombe proclame la sécession du Katanga avec l’appui des artisans et des partisans de la politique du « diviser pour régner ». Il sera, quelque temps après, suivi par Kalonji dans cette oeuvre macabre de fouler au pied un « don sacré des aïeux » et « le jour sacré » pouvant être pris comme « témoin » de la brisure des chaînes liant le Kongo-Kinshasa aux multi et transnationales néocolonisatrices.
Donc, quelques jours seulement après le jour voulu sacré, des Kongolais avaient déjà trahi, avec le concours du fait économique dominant, « le serment de liberté » à transmettre aux générations futures.
La zaïroise
Le deuxième hymne du pays adopté en 1971 et dénommé « la zaïroise » sera une acceptation du fait accompli. C’est-à-dire du rôle d’homme lige de l’Occident collectif. Les Kongolais devenus zaïrois et chantant « zaïrois dans la paix retrouvée, peuple uni, nous sommes zaïrois, en avant fiers et pleins de dignité, peuple grand, peuple libre à jamais » seront des dindons de la farce en train de se mentir à eux-mêmes.
Les Kongolais devenus zaïrois et chantant « zaïrois dans la paix retrouvée, peuple uni, nous sommes zaïrois, en avant fiers et pleins de dignité, peuple grand, peuple libre à jamais » seront des dindons de la farce en train de se mentir à eux-mêmes.
En fait, « les zaïrois » ont chanté la paix des cimetières, la fierté, la dignité et la liberté illusoires comme étant des marqueurs de l’humain kongolais au cours du règne dictatoriale, néocoloniale et néolibérale de Mobutu. Ils ont été, moi y compris, fiers de ces illusions réconfortantes sans prendre le temps de produire, collectivement, une intelligence sur le système ayant fabriqué Tshombe, Kalonji et Mobutu.
La méconnaissance collective de ce système et de son mode opératoire ont finalement poussé majoritairement « les zaïrois dans la paix retrouvée illusoirement » à haïr « le dernier maréchal », trois décennies après, et à désirer que « même un chien » soit commis à la tête de leur pays. Tel est, brossé à grands traits, le contexte dans lequel ils vont accueillir une guerre raciste de prédation et de basse intensité comme étant « une guerre de libération ».
La méconnaissance collective du système de leur néocolonisation collective et de son mode opératoire poussent encore aujourd’hui plusieurs Zaïrois redevenus Kongolais en 1997 sous le règne de l’AFDL à croire qu’ils sont en guerre contre Paul Kagame et ses escadrons de la mort et non contre « l’impérialisme intelligent », acteur majeur des guerres par procuration. Ce mensonge supplémentaire est lié au mensonge originaire datant de la trahison du serment de liberté fait le 30 juin 1960.
Que signifie un serment ? Un « ndayi », « un tshieleka », un engagement pris fermement devant le Créateur, les aïeux et les vivants avec la promesse d’y rester fidèle à n’importe quel prix. Cet engagement est pris par ceux et celles qui jurent d’y rester fidèles même au prix de leur vie. En principe, il devient l’un de leurs raisons de vivre et de mourir. Or, en acceptant de chanter sous le règne de l’homme lige de l’Occident collectif que le pays était libre à jamais, « les zaïrois » se mentaient à eux-mêmes. Ils ne comprenaient pas que « la seule chose durable au Congo est la colonisation »(R. Custers).
Un devoir citoyen
Après avoir trahi la sacralité de notre solidarité très tôt, nous sommes constamment menacés par les démons de l’implosion et de la balkanisation de notre pays. Pour avoir refusé de donner collectivement un contenu à notre indépendance, nous peinons à trouver la voie de la souveraineté. Après avoir foulé au pied « le jour sacré » pouvant être « le témoin » de l’immortalité à donner au principe de la liberté, nous naviguons à vue sans boussole souverainiste. Pourtant, nous avons pris l’engagement de transmettre à notre prospérité le serment de liberté. Comment allons transférer ce que nous n’avons pas pu défendre collectivement 63 ans durant ?
Depuis les années 1960, nous avons un devoir citoyen, celui de définir collectivement les mots et les concepts que nous utilisons pour nous dire et tenter de gérer notre cité kongolaise. Souvent, nous copions sans les interroger des mots d’autrui et nous les plaquons sur nos réalités sans aucun examen préalable.
Depuis les années 1960, nous avons un devoir citoyen, celui de définir collectivement les mots et les concepts que nous utilisons pour nous dire et tenter de gérer notre cité kongolaise. Souvent, nous copions sans les interroger des mots d’autrui et nous les plaquons sur nos réalités sans aucun examen préalable. Nous parlons de « démocratie », de « droits de l’homme », de « libertés fondamentales », de « libéralisme », de « capitalisme », du « climat des affaires », de « souveraineté », de « partenaires traditionnels » en recourant à un pscittacisme honteux. Au lieu copier, il serait possible de partir de nos réalités et de nos langues pour utiliser nos propres mots et concepts.
Rappelons qu’à Bruxelles, Lumumba demandait : « Quel est le contenu de l’indépendance ? » Pouvons-nous , à partir de ce 30 juin 2023, nous poser collectivement cette question et tenter d’y répondre afin que désormais ce jour redevienne « un jour sacré de l’immortel serment de liberté » à léguer aux générations futures ? Oui, nous serons nombreux à chanter notre « hymne sacré de notre solidarité » en menaçant de partition et en manipulant les identités tribales. Où est la logique dans tout ça ?
Muntu udi udilowa.
Heureusement que les veilleurs et les éveilleurs, les minorités organisées et les gardiens de la transmission responsable de la tradition ne dorment ni ne sommeillent. Chantons notre hymne national tout en prenant le temps de la méditer. Il peut nous booster pour des luttes indispensables à la production et au partage du bonheur collectif .
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961