Par Jean-Pierre Mbelu
« Ils nous dominent plus par l’ignorance que par la force. » – S. BOLIVAR
André Wameso, directeur de cabinet adjoint du président Felix Tshisekedi Tshilombo, donne l’impression que la guerre raciste de prédation commencée vers les années 1990 serait déjà terminée et que le moment d' »avoir la latitude de pouvoir faire les choses autrement » avec « les forces dominantes du capital » est venu. C’est possible. Mais une bonne connaissance du fonctionnement des Institutions de Bretton Woods pourrait l’aider à ne pas rêver.
La sortie médiatique d’Albert Yuma au micro d’Alain Foka a suscité beaucoup de commentaires dans les milieux kongolais. Plusieurs sont pertinents. Néanmoins, ils peinent à établir le lien entre la confiscation des ressources minières kongolaises par les entreprises multi et transnationales et la guerre raciste de prédation et de basse intensité menée contre le pays. Celui d’André Wameso au micro de Top Congo m’a paru être plus proche de la marche historique du pays. Pourquoi?
La question des rapports de force
André Wameso, directeur de cabinet adjoint du président Felix Tshisekedi Tshilombo, s’explique plus ou moins en ces termes : « Quand les Institutions de Bretton Woods nous demandent de mettre à disposition les actifs de la Gécamines ; soit dit en passant, c’est la raison fondamentale pour laquelle il y a eu la guerre contre le Maréchal Mobutu et la déstabilisation du pays. A la Conférence Nationale Souveraine, le Kongo réuni en conférence avait refusé de privatiser ses entreprises. Ça, il faut le dire. C’est historique. Quand nous étions obligés de le faire, puisque poussés par des puissances plus fortes que nous. Nous avions la latitude de pouvoir faire les choses autrement (…). Dire pas eux contre nous mais nous ensemble. »
« Nous étions obligés de le faire », affirme André Wameso. Au nom de quel principe du droit international cela a-t-il été fait ? D’où ces Institutions tirent-elles leur légitimité ? Elles n’ont pas le mandat d’un quelconque peuple. Au nom de quoi agissent-elles ? Au nom de la loi de la force et des orientations auxquelles obéissent « les huissiers du capital » que sont le FMI et la Banque mondiale.
Les propos d’André Wameso posent clairement la question des rapports de force (entre « eux » et « nous ») et du recours à la guerre pour torpiller des décisions prises souverainement par un pays voulant avoir la mainmise sur ses ressources du sol et du sous-sol.
« Nous étions obligés de le faire », affirme André Wameso. Au nom de quel principe du droit international cela a-t-il été fait ? D’où ces Institutions tirent-elles leur légitimité ? Elles n’ont pas le mandat d’un quelconque peuple. Au nom de quoi agissent-elles ? Au nom de la loi de la force et des orientations auxquelles obéissent « les huissiers du capital » que sont le FMI et la Banque mondiale. (Elles posent un problème sérieux du point de vue de la sémantique. Qualifiées d’international et de mondial, elles font facilement croire qu’elles sont au service des peuples et non des forces du marché capitaliste. Lire « La grande désillusion » de Joseph Stiglitz (Paris, Fayard, 2002) peut constituer un bon début d’une cure sémantique!)
Est-ce possible « d’être obligés » et en même temps « d’avoir la latitude de pouvoir faire les choses autrement »? De « dire pas eux contre nous mais nous ensemble » ? « Nous qui » ? Les vassaux ? Qui est ce « nous » face aux forces dominantes du capital que servent « leurs huissiers » et « leurs petites mains » dans un contexte où la boussole éthique est inexistante et où l’assujettissement néocolonialisant est une option préférentielle ?
Les réalistes Kongolais et le choix du défaitisme
Dans ce contexte, le choix des compradores s’expliquent dans la mesure où ils doivent jouer le rôle de « sous-fifres » ou « négriers des temps modernes » en « coopérant ». « La kabilie » a joué ce rôle à fond. Certains membres de ce « sous-système » néolibéral et néocolonial sont devenus scandaleusement riches pour avoir assumé ce rôle au sein du réseau transnational de prédation. Les rapports des experts de l’ONU en témoignent. A titre illustratif, la lecture des rapports Kassem et Mapping édifie sur ce sujet.
Le choix des compradores s’expliquent dans la mesure où ils doivent jouer le rôle de « sous-fifres » ou « négriers des temps modernes » en « coopérant ». « La kabilie » a joué ce rôle à fond. Certains membres de ce « sous-système » néolibéral et néocolonial sont devenus scandaleusement riches pour avoir assumé ce rôle au sein du réseau transnational de prédation. Les rapports des experts de l’ONU en témoignent.
Dans ce contexte, « les réalistes kongolais » soutiennent que, tant que les rapports de force nous sont défavorables, négocier avec « les huissiers du capital » et « les usurpateurs » comme le Botswana l’a fait, c’est déjà ça. Mais ce qu’ils n’avouent pas est que ce genre de négociations participe de la prise de pouvoir par ces « usurpateurs » dans les pays qu’ils convoitent, de la destruction de toute résistance politique, de la déstabilisation et de la déstructuration des Etats ; voir même de la mort des Etats et de la politique (avec l’appui de certaines instances onusiennes). Susan George, en écrivant « Les usurpateurs. Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir » (Paris, Seuil, 2014) est très claire sur cette question.
Dans un certain sens, « les réalistes kongolais » auraient fait le choix du défaitisme et/ou du fatalisme. Tous les pays faibles négocient comme nous, disent-ils. Mais, ajoutent-ils, « le Kongo ne sera pas toujours faible ». Ils peuvent avoir raison…Encore faudrait-il qu’ils soient attentifs au mode opératoire de ces « usurpateurs ». Plusieurs pays qui se sont risqués sur cette voie défaitiste et/ou fataliste ont de la peine à retrouver le chemin de leur émancipation politique, de leur autonomie et de leur souveraineté.
A plusieurs reprises, en France par exemple, il y a « des lanceurs d’alerte » qui sonnent le tocsin. Philippe de Villiers en est un. Il vient de publier, la peur au ventre, un livre abordant cette question et intitulé « Le jour d’après. Ce que je ne savais pas… et vous non plus » (Paris, Albin Michel, 2021).
Le coup d’Etat permament!
Pour revenir à André Wameso, il donne l’impression que la guerre raciste de prédation commencée vers les années 1990 serait déjà terminée et que le moment d' »avoir la latitude de pouvoir faire les choses autrement » avec « les forces dominantes du capital » est venu. C’est possible ! Mais une bonne connaissance du fonctionnement des Institutions de Bretton Woods pourrait l’aider à ne pas rêver. Au Kongo-Kinshasa comme dans plusieurs pays du monde, elles opèrent souvent « un coup d’Etat permanent ».
André Wameso posant clairement la question des rapports de force aurait pu aller plus loin en proposant un changement de partenariat stratégique. Ce n’est pas en faisant toujours la même chose avec les mêmes personnes et les mêmes institutions que le pays arrivera à des résultats différents. En plus de cela, il aurait pu soutenir qu’un minimum de justice transitionnelle serait indispensable à ce pays si elle arrivait à dire la vérité sur le rôle joué par ces « usurpateurs » et leurs sous-fifres dans sa descente aux enfers.
André Wameso posant clairement la question des rapports de force aurait pu aller plus loin en proposant un changement de partenariat stratégique. Ce n’est pas en faisant toujours la même chose avec les mêmes personnes et les mêmes institutions que le pays arrivera à des résultats différents. En plus de cela, il aurait pu soutenir qu’un minimum de justice transitionnelle serait indispensable à ce pays si elle arrivait à dire la vérité sur le rôle joué par ces « usurpateurs » et leurs sous-fifres dans sa descente aux enfers. Sa refondation sur une éthique reconstructive saine en dépend.
En marge du Botswana, André Wameso pourrait aussi étudier d’autres exemples des pays s’étant émancipés de la tutelle des IFI comme la petite Bolivie (sous Morales et après lui). Dans ce petit pays, un grand mouvement populaire animé par Morales (et ses amis) a réussi à renverser les rapports de force entretenus par les forces dominantes du capital pour préserver la souveraineté et un usage public des revenus récoltés après la vente des ressources naturelles.
Donc, renverser les rapports de force est possible. La Bolivie l’a fait. Au cours du règne de Morales, elle a su négocier raisonnablement sur le marche de ses ressources nationalisées avec les multinationales. Souveraine (et légitime) sur ses terres, la Bolivie gagnait 82% de l’exploitation de ses ressources par les multinationales et celles-ci 12%.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961