Par Jean-Pierre Mbelu
La guerre de prédation et de basse intensité menée contre les Grands Lacs Africains, en général, et le Congo-Kinshasa, en particulier est l’une des plus commentées et documentées. Depuis ses débuts, vers les années 1990, elle est alimentée par un nombre importants de transnationales finançant « leurs sous-traitants » tout en demeurant inconnues pour des pans entiers des populations congolaises. Surtout, celles se trouvant loin et/ou éloignés des lieux où les terres sont dévastées et dépeuplées pour permettre l’exploitation éhontée du sous-sol.
« De plus en plus, note Joseph Ki-Zerbo, les organisations internationales et les transnationales agissent en lieu et place des Etats. A ce propos, ajoute-t-il, je voudrais faire allusion à une carte publiée, en juin 2001, par la revue française Caracane, qui montre jusqu’à quel point l’argent extérieur envahit le secteur des mines du Congo. Sur cette carte, autour des noms des multinationales -Redgepointe, De Beers, Banro, Darney, Cluff, et-sont indiqués les produits miniers qui sont visés. »
Joseph Ki-Zerbo continue : »On voit à travers cette carte qu’il s’agit d’un nish, d’un véritable assaut comme à l’aube de la colonisation. Je me rappelle que, quand Laurent-Désiré Kabila avançait vers Kinshasa, la capitale de ce qui devait devenir la RDC, il était accompagné par de véritables meutes, par des groupes qui chacun flairait sa concession minière. Au cours de la progression, on négociait en même temps les droits concernant les différents secteurs miniers du pays. Aujourd’hui donc, il y a une autre sorte de nouveau partage de l’Afrique qui ne dit pas son nom, mais qui se fait à travers l’invasion capitaliste, financière surtout, dans les différents zones du continent. » ( J. KI-ZERBO, A quand l’Afrique ? Entretien avec René Holenstein, Paris, L’aube, 2003, p. 48)
Le Congo et les nouveaux cercles de pouvoir
Ce extrait du livre de Joseph Ki-Zerbo est d’une très grande clarté et d’une grande lucidité. Il mentionne l’entrée des entreprises transnationales dans « les nouveaux cercles de pouvoir ». Elles deviennent « les nouveaux cercles de pouvoirs » sur lesquels les Etats n’ont presque plus de contrôle.(Sur cette problématique, il serait intéressant de lire N. CHOMSKY, Deux heures de lucidité. Entretiens avec Denis Robert et Weronika Zarachowicz, Paris Les arènes, 2001).
Elles participent de la colonisation de la politique par l’économie capitaliste financiarisée. En Afrique, elles prennent une part active aux »nouveaux partages » cartographiés des terres comme à l’aube de la colonisation et même de la traite négrière. Et les peuples dans tout ceci ? »(…) Les peuples n’intéressent pas du tout ces gens. Il y a des guerres qui sont soutenues, appuyées, trafics d’armes y compris, par ces organisations et ces compagnies minières transnationales. Et parfois, elles n’hésitent pas à susciter des rébellions pour affaiblir le pays avec lequel elles négocient. » (Ibidem)
Les transnationales participent de la colonisation de la politique par l’économie capitaliste financiarisée. En Afrique, elles prennent une part active aux »nouveaux partages » cartographiés des terres comme à l’aube de la colonisation et même de la traite négrière.
Au Congo-Kinshasa, les liens entre le RCD-Goma et un sujet Suisse pourraient être situés dans ce contexte. « Selon les informations de TRIAL international et de l’Open Society Justice initiative, Christoph Huber aurait commercé avec le RCD-Goma, un puissant groupe armé accusé de crimes de guerre. L’entreprise dirigée par l’homme d’affaires suisse aurait obtenu des concessions minières sur le territoire contrôlée par la milice. Elle lui aurait également fourni un service de protection. Des informations confirmées également par un rapport de l’ONU, qui dès 2009, affirmait que Huber était impliqué dans le trafic de coltan. Mais depuis, plus rien. »
Il est vrai que cette plainte devrait être analysée en profondeur afin d’en connaître les tenants et les aboutissants. Néanmoins, elle a l’avantage d’exister. Elle aide à relativiser l’instrumentalisation ethnique ayant rhétoriquement « justifiée » l’implication du RCD-Goma dans la guerre de basse intensité et de prédation contre le Congo-Kinshasa.
Sur cette question de plainte, les USA ne sont pas en reste. Les géants du numérique Apple, Google, Microsoft, Tesla et Dell sont cités dans une plainte collective. Ils ne sont pas seuls. « Le géant minier suisse Glencore fait partie des entreprises citées dans une plainte collective aux Etats-Unis sur les conditions de travail dans les mines de cobalt. L’ONG International Rights Advocates (IRA) a dénoncé des « centaines, voire des milliers d’enfants » mutilés ou tués en République du Congo (RDC), selon un communiqué relayé mercredi par le journal ‘Le Temps’. La procédure vise les multinationales américaines Apple, Google, Microsoft, Tesla et Dell, soupçonnées d’avoir « aidé et encouragé » le développement d’une chaîne d’approvisionnement en cobalt en RDC. Le matériau bleu entre dans la composition des batteries des smartphones, tablettes ou ordinateurs. »
Pas de malédiction des ressources mais un problème sérieux de racisme
De quoi sont-ils accusés ? « L’organisation International Rights Advocates (IRA), basée à Washington, a déposé une plainte collective auprès de la Cour du district de Colombia, dans l’Etat de l’Ohio. Cette « class action » est lancée au nom de quatorze personnes, les tuteurs d’enfants tués ou mutilés à la suite d’accidents dans des mines congolaises. »
Depuis le début de la guerre dans les Grands Lacs Africains et au Congo-Kinshasa, les entreprises transnationales et « leurs petites mains » reconduisent les paradigmes de la néantisation et de l’indignité promus au cours de la traite négrière et de la colonisation. « Les nouveaux partages » et l’esclavage des enfants dans les mines en disent long. Tout ceci ne pourrait pas tout simplement avoir comme cause « la malédiction des ressources minières ». Non. Il y a là aussi un problème sérieux de racisme. La perpétuation de la guerre par la promotion des rébellions et du militarisme marche de pair avec le matérialisme idolâtrant l’argent et le racisme disqualifiant les populations appartenant à « la race inférieure ».
Depuis le début de la guerre dans les Grands Lacs Africains et au Congo-Kinshasa, les entreprises transnationales et « leurs petites mains » reconduisent les paradigmes de la néantisation et de l’indignité promus au cours de la traite négrière et de la colonisation. « Les nouveaux partages » et l’esclavage des enfants dans les mines en disent long.
Tout ceci ne pourrait pas tout simplement avoir comme cause « la malédiction des ressources minières ». Non. Il y a là aussi un problème sérieux de racisme. La perpétuation de la guerre par la promotion des rébellions et du militarisme marche de pair avec le matérialisme idolâtrant l’argent et le racisme disqualifiant les populations appartenant à « la race inférieure ». Bien que les théories racialistes ne soient pas toujours « officiellement » en vogue, l’extermination des Congolais sur la terre de leurs ancêtres dit (aussi) le mépris dont ils sont l’objet et le racisme dont ils souffrent au XXIe siècle.
Les plaintes déposées contre les transnationales susmentionnées pourront-elles aboutir à des procès équitables démentant la thèse de Florence Hartmann quand elle soutient que la guerre (perpétuelle) menée contre le Congo-Kinshasa fait partie des »guerres secrètes de la politique et de la justice internationales » ? C’est possible. Mais moi, je doute très fort. Pourquoi maintenant et pas un peu plus tôt ? Le doute est plus que fort. Soit !
« Nous ne sommes pas seuls »
A toutes les grandes étapes de la transformation de l’Occident, le Congo-Kinshasa a vu ses filles et fils assassinés, »génocidés ». Ils sont mort pour produire le caoutchouc. Ils sont morts pour l’uranium ayant détruit Hiroshima et Nagasaki. Ils meurent pour le coltan et le cobalt. Demain, ils risquent de mourir pour l’eau.
Mais pas seulement pour cela. On ne leur pardonne pas d’être aussi les sœurs et les frères de Kimpa Vita, de Kimbangu, de Lumumba, de Pierre Mulele, de Munzihirwa, de Chebeya, de Rossy Mukendi, de Thérèse Kapangala, d’Armand Tungulu, de Vincent Machozi, de Mamadou Ndala, etc. Leur capacité de résistance et de résilience est trop grande. (On dirait invincible?) Leur attachement à leur terre indéfectible. Malgré l’existence des »petites mains du capital » parmi leurs frères et leurs sœurs. Tuer, assassiner, « génocider » cette capacité de résilience et de résistance, cela ne sera pas une mince affaire. Ils sont les »nzete ya mbila »…
Les plaintes déposées contre les transnationales devraient nous permettre de comprendre que la guerre de basse intensité et de prédation menée contre le Congo-Kinshasa se poursuit. Elle tendra vers sa fin quand, un leadership collectif responsable prendra la direction du pays.
Le 19 décembre 2019 encore, un fait banal et/ou à banaliser, « la fête de l’alternance », a provoqué un tollé général dans les milieux congolais info-formés. Et il y a lieu de dire que le camp du refus de la falsification de l’histoire du Congo-Kinshasa s’enrichit de plus en plus. C’est comme si « à quelque chose malheur était bon » !
Au fur et à mesure que « les embourgeoisés » gagnés par « la négritude de service » commettent des bourdes, ce camp en prend bonne note et se consolide. Ses critiques internes sont, paradoxalement, le signe qu’une masse critique congolaise est en train de naître et de »grandir ». Il me semble que c’est une bonne nouvelle. Il me semble…
Les plaintes déposées contre les transnationales devraient nous permettre de comprendre que la guerre de basse intensité et de prédation menée contre le Congo-Kinshasa se poursuit. Elle tendra vers sa fin quand, un leadership collectif responsable prendra la direction du pays. Et fort d’une justice patriote, il pourra lui-même s’occuper du traitement équitable du « génocide congolais ». En attendant, la résistance participative et plurielle constitue l’un des recours collectifs. Elle aide à lutter contre la colonisation des cœurs et des esprits ; cette arme de destruction massive du patriotisme, de la dignité et de l’identité congolaise. De toutes les façons, comme le disait Lumumba : « Nous ne sommes pas seuls » !
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961