Par Jean-Pierre Mbelu
Une déclaration de l’Assemblée Episcopale Provinciale publiée le 23 mai 2015 et intitulée ‘’Notre cri pour le respect absolu de la vie humaine’’ semble être passée inaperçue pour plusieurs d’entre nous. Les questions liées au ‘’dialogue’’ et aux élections mobilisent le débat citoyen au point de conduire plusieurs d’entre nous à oublier qu’une partie du Congo-Kinshasa fait face à « une terreur d’épuration systématique des personnes, à une stratégie de déplacement forcé des populations en vue d’occuper progressivement leurs terres et à une installation des foyers d’intégrisme religieux et des bases d’entraînement terroriste », souligne cette déclaration. Et elle ajoute : « Tout cela se passe dans un contexte d’une mafia économique et d’un affairisme politico-militaire alimenté par les pillages à grande échelle d’abondantes ressources naturelles : minières, forestières, animales et pétrolières. »
Analysant les ‘’faits et réalités’’, cette déclaration atteste que « depuis plus de vingt ans, les populations de l’Est de la R.D. Congo, spécialement celles des Provinces du Nord et Sud-Kivu, sont victimes de guerres et d’insécurité. En 2010, le bilan des victimes étaient chiffré à 6 millions sur l’ensemble du territoire national. Et la série continue, spécialement dans les territoires de l’Est. »
La guerre raciste d’agression et de prédation se perpétue
Il est donc établi que la guerre raciste d’agression et de prédation se perpétue au Congo-Kinshasa depuis plus de vingt ans. Le génocide congolais s’y poursuit. En marge de quelques acteurs et témoins de terrain, ‘’le gouvernement fantoche’’ de Kinshasa et ‘’la communauté dite internationale’’ n’en parlent pas. Pourtant, après la Shoah, cette ‘’communauté dite internationale’’ avait dit : ‘’Plus jamais ça’’. Nous l’avons vu se mobiliser au moins de janvier et de juin 2015 en France pour s’indigner et protester contre les massacres perpétrés par les terroristes à Paris. Pourquoi le génocide congolais la laisse-t-elle indifférente ? La France terrorisée s’est mobilisée par-delà les différences idéologiques, politiques, religieuses et partisanes pour s’attaquer aux terroristes ; même si certains critiques internes estiment qu’elles passent à côté des causes matérielles du terrorisme[1].
Seuls des collectifs citoyens maîtrisant leur mode opératoire, leurs stratégies et méthodes de conquête ; des collectifs citoyens organisés en conscience et en connaissance de cause peuvent leur opposer une quelconque résistance et reproduire, petit à petit, un Etat au cœur de l’Afrique et y conjurer le ‘’silencieux génocide’’ en mettant les complices internes hors d’état d’agir.
Comment expliquer que le génocide congolais ne soit pas un sujet des débats et des délibérations au cœur de la classe politique congolaise dans son ensemble ? Pourquoi la mobilisation tarde-t-elle à se faire autour de cette question dans des collectifs citoyens avertis ?
La déclaration susmentionnée fait allusion à presque toutes ces préoccupations. Elle note ceci : « (…) curieusement, la sécurité, la paix et l’intégrité territoriale ne semblent pas avoir été prioritaires dans la stratégie des autorités politiques ; elles constituent pourtant des conditions préalables à tout effort de construction, de reconstruction et de modernisation.
En tout cas, de manière générale, l’Etat laisse pourrir la situation à l’Est du pays. Nous avons des difficultés à comprendre les ambiguïtés, les tergiversations et les paradoxes de notre gouvernement. Après chaque crise, les missions se succèdent en cascade et en vain car les autorités écoutent mais aucune action ne suit (…). » Et elle pose cette question : « Face à cette insécurité, le gouvernement serait-il incapable, démissionnaire ou complice ?»
Kinshasa, incapable, démissionnaire et complice
Les réponses données suggère que ‘’le gouvernement fantoche de Kinshasa’’ est à la fois incapable (ou s’incapacite), démissionnaire et complice. Essayons de les parcourir. « Incapable ? Peut-être ! En pourtant, il a démontré son savoir-faire dans d’autres cas. Par contre, il installe des officiers au passé chargé qui ont causé bien des torts à la population. Ceux-ci sont positionnés à des frontières sensibles, en face de leurs anciens complices. En outre, ils sont soutenus au centre du pouvoir congolais par leurs collègues bien connus, placés à des postes stratégiques. » Faut-il être vraiment un grand clerc pour comprendre que cette réponse insinue l’implication des officiers militaires dans la descente du pays aux enfers ?
Faut-il une intelligence particulière pour comprendre qu’au Congo-Kinshasa, et surtout à l’Est du pays, l’Etat démissionnaire est complice de la situation chaotique créée ? Nous ne le pensons pas.
Passons à la deuxième question : « L’Etat serait-il démissionnaire et complice ? C’est possible ? Mais pour quelle raison et quel intérêt ? Toujours est-il qu’en situation de crise, on entend des délégués du pouvoir chercher à accuser des particuliers, notamment la population locale, les commerçants et certains politiciens qui sont aux affaires. A supposer que ces allégations soient avérées, que fait l’Etat de l’Armée, de la Police nationale, des Services Renseignement et de la Justice qui sont mis à sa disposition pour assurer sa souveraineté ? En laissant à des individus et des groupes perturber impunément la paix, l’ordre et la sécurité, cet Etat pourtant détenteur du monopole de la force, s’acquitte-t-il encore de ses obligations régaliennes ? Ne serait-il pas en train de démissionner tout en restant en place ? Cela ne risque-t-il pas d’être vu comme une complicité ?
Dans ce contexte, comment les élections transparentes, libres, démocratiques et apaisées pourront-elles avoir lieu dans cette partie de la République ? » Faut-il une intelligence particulière pour comprendre que toutes ces questions soutiennent, en filigrane, qu’au Congo-Kinshasa, et surtout à l’Est du pays, l’Etat démissionnaire est complice de la situation chaotique créée ? Nous ne le pensons pas. Le point 14 de cette déclaration corrobore notre lecture en indiquant que « la population de l’Est a la nette impression de n’être pas protégée par son Etat et d’être abandonnée par la communauté internationale malgré la présence renforcée mais nullement rassurante des troupes de la Monusco dans la Nord et le Sud-Kivu. Cette situation a facilité la création des camps d’entraînement djihadistes dénommés ‘’Medina’’, ‘’Canada’’ et ‘’Parking Kaza Rohko’’.
Pour la création de collectifs citoyens
A ce point nommé, les Congolais et les Congolaises sont averti(e)s. Les terroristes sont à la porte est de leur pays. Ils pourraient, à tout moment, passer à une vitesse supérieure pour que la balkanisation de ce pays devienne effective.
La déclaration de l’Assemblée Episcopale Provinciale de Bukavu a l’avantage de nous rappeler que la guerre raciste d’agression et de prédation commencée il y a plus de vingt ans se poursuit. Elle bénéficie des complicités internes et de la faillite de l’Etat. Pour dire les choses autrement, cette guerre avait pour objectif, entre autres, de produire un Etat raté au cœur de l’Afrique. Elle est en train de l’atteindre en utilisant les complicités internes pour soumettre le centre, le sud et l’ouest où existent encore quelques poches de résistance. Le prétexte du manque d’argent pour organiser les élections et l’appel des ‘’durs de la kabilie’’ à la modification de la constitution participent de cette guerre raciste. Elle pousse les populations villageoises en ville, à la cité, dans les bidons-villes pour en faire les indigents pouvant être enterrés dans les fosses communes. Dans ce contexte, comment aller aux élections avec les complices du génocide congolais en cours sans qu’ils aient répondu de leurs forfaits devant une justice juste ?
La déclaration de l’Assemblée Episcopale Provinciale de Bukavu nous aide à comprendre la capacité de mobilisation et de concentration des acteurs pléniers du chaos congolais sur le temps long. Ils peuvent, pour atteindre les objectifs qu’ils se sont assignés, travailler sur vingt, trente, quarante, cinquante ans.
Cette guerre avait pour objectif, entre autres, de produire un Etat raté au cœur de l’Afrique. Elle est en train de l’atteindre en utilisant les complicités internes pour soumettre le centre, le sud et l’ouest où existent encore quelques poches de résistance. Le prétexte du manque d’argent pour organiser les élections et l’appel des ‘’durs de la kabilie’’ à la modification de la constitution participent de cette guerre raciste. Elle pousse les populations villageoises en ville, à la cité, dans les bidons-villes pour en faire les indigents pouvant être enterrés dans les fosses communes. Dans ce contexte, comment aller aux élections avec les complices du génocide congolais en cours sans qu’ils aient répondu de leurs forfaits devant une justice juste ?
Seuls des collectifs citoyens maîtrisant leur mode opératoire, leurs stratégies et méthodes de conquête ; des collectifs citoyens organisés en conscience et en connaissance de cause peuvent leur opposer une quelconque résistance et reproduire, petit à petit, un Etat au cœur de l’Afrique et y conjurer le ‘’silencieux génocide’’ en mettant les complices internes hors d’état d’agir. La lutte est âpre. Mais, ‘’comprendre, c’est déjà agir’’.