Par Jean-Pierre Mbelu
L’ Etat failli et/ou manqué congolais n’assure pas les droits socio-économiques, politiques et culturels des citoyennes et des citoyens. Les frais scolaires, les soins de santé, l’accès au boulot ou à un poste politique, les mariages et les deuils, etc. tout ou presque est financé par la famille, le clan, l’ethnie ou la communauté religieuse à laquelle on appartient. La justice sociale est inexistante.Les routes et les autoroutes reliant les villes et les provinces les unes aux autres n’existent pas. Les échanges interculturels sont rares ou se rarefient. Tel est le contexte dans lequel le repli sur la famille, le clan, l’ethnie et la religion devient le vivier des identités meurtrières. Les siens sont vantés et soutenus aux dépens des autres dans la mesure où ils constituent des »caisses de solidarité » et des »employeurs sûrs ».
L’être humain est un animal tribal. Il vit de ses relations sociales. Il appartient, de gré ou de force, à une tribu. Celle-ci peut être composée des membres de sa parenté, de ses amis ou de ses complices.
Tribu, clan, ethnie & « ismes »
La tribu n’est donc pas que parentale. Polysémique, ce mot peut signifier un groupe au sein duquel un individu se socialise et se réalise. Son acception péjorative, communautariste ou »meurtrière » en fait un groupe de proches recroquevillés sur lui-même et excluant les autres. De ce point de vue, elle adopte la logique meurtrière opposant ses membres aux autres. De ce point de vue, elle adopte comme principe hégémonique le »celui qui n’est pas avec nous est contre nous ». La théorie du »choc des civilisations » de Samuel Huntington est une théorie »tribaliste »1.
Nous apprenons à nous définir en nous socialisant. Etre mal éduqué ou n’avoir pas eu des orientations éthiques et humanistes fiables faisant la place à l’autre, au différent, cela peut conduire au repli sur soi, sur sa tribu, sur son clan, sur son ethnie.
La tribu, le clan et l’ethnie participent du processus de socialisation et d’identification de l’individu. Ils lui confèrent une bonne partie de ses appartenances. Les »ismes »’ où ils peuvent être entraînés par les élites organiques et structurantes ayant opté pour la logique du repli sur soi, du rejet ou de déni de l’autre sont des constructions à la fois mythologiques, idéologiques et voire même patriomonialistes. Passer de l’affirmation raisonnable de son identité et de ses appartenances plurielles au tribalisme, au clanisme ou à l’ethnicisme est prioritairement une question de l’éducation. C’est une question d’apprentissage.
Nous apprenons à nous définir en nous socialisant. Etre mal éduqué ou n’avoir pas eu des orientations éthiques et humanistes fiables faisant la place à l’autre, au différent, cela peut conduire au repli sur soi, sur sa tribu, sur son clan, sur son ethnie. Vivre dans une société où la discrimination à l’éducation, à l’embauche et à l’argent est très prononcée peut conduire au même résultat. Elle peut transformer des identités fièrement affirmées en des identités meurtrières2. Celles-ci ne sont pas une génération spontanée. Dans ce contexte, il est possible de comprendre pourquoi, dans des pays accordant une importance capitale à l’éducation citoyenne et à la justice sociale, les identités meurtrières sont un phénomène marginal.
Politiques et identités meurtrières
Dans plusieurs pays du monde, l’affirmation meurtrière de son identité tribal, clanique, ethnique ou religieuse est en train de devenir une question sociale sérieuse au point de créer un malaise. La définition moderne de l’homme en tant que liberté autonome (autosuffisante) y est pour quelque chose. L’approche néolibérale de l’homme comme »consommateur compulsif » séparé des autres contribue à rendre ce malaise profond. Sa quête permanente de profit atomise les individus.
Le fanatisme exclut tout esprit de discernement et contribue à la fabrication des identités faibles et soumises. En politique, le conflit non-meurtrier est au cœur du débat argumenté. Même quand le consensus est trouvé, il subsiste toujours »un désaccord fondateur » du débat permanent.
« Pourtant, « nous nous définissons toujours dans un dialogue, parfois, par opposition, avec les identités que « les autres qui comptent » veulent reconnaître en nous. Et même quand nous survivons à certains d’entre eux, comme nos parents par exemple, et qu’ils disparaissent de nos vies, la conversation que nous entretenons avec eux se poursuit en nous aussi longtemps que nous survivons. »3 Malheureusement, là où triomphe le paradigme néolibéral du »consommateur compulsif », la constitution identitaire fondamentalement dialogique de l’être humain tend à disparaître au profit de l’autonomie.
Notons qu’il peut arriver que nous puissions nous définir »par opposition » avec »les identités que « les autres qui comptent » veulent reconnaître en nous ». C’est-à-dire que la constitution dialogique de notre identité n’exclut pas le conflit, le désaccord avec »ceux qui comptent pour nous ». Le fanatisme exclut tout esprit de discernement et contribue à la fabrication des identités faibles et soumises. En politique, le conflit non-meurtrier est au cœur du débat argumenté. Même quand le consensus est trouvé, il subsiste toujours »un désaccord fondateur » du débat permanent.
Cette approche du conflit non-meurtrier en politique s’apprend. Elle est le fruit de la lutte contre l’inculture et le repli identitaire. A ce point nommé, dans un pays comme le Congo-Kinshasa, le fanatisme fondé sur le tribalisme, le clanisme et l’ethnicisme a encore la peau dure. Pour cause. La reconstruction d’un Etat garantissant le civisme et/ou l’éducation à la citoyenneté peine à porter ses fruits. La tribu, le clan, l’ethnie et même la religion constituent des lieux de garantie économique, sociale et »politique ».
Pour un Etat social fondé sur la solidarité, la coopération et la réciprocité
L’ Etat failli et/ou manqué congolais n’assure pas les droits socio-économiques, politiques et culturels des citoyennes et des citoyens. Les frais scolaires, les soins de santé, l’accès au boulot ou à un poste politique, les mariages et les deuils, etc. tout ou presque est financé par la famille, le clan, l’ethnie ou la communauté religieuse à laquelle on appartient. La justice sociale est inexistante.
Les routes et les autoroutes reliant les villes et les provinces les unes aux autres n’existent pas. Tel est le contexte dans lequel le repli sur la famille, le clan, l’ethnie et la religion devient le vivier des identités meurtrières. Les siens sont vantés et soutenus aux dépens des autres dans la mesure où ils constituent des »caisses de solidarité » et des »employeurs sûrs ».
L’inculture doit être combattu dans la lutte pour un Etat social, de droit et participatif afin que la pluralité de nos appartenances ne constitue pas un obstacle à notre participation à l’édification d’un pays plus beau qu’avant. Il y a encore du chemin à faire. Le viol de l’imaginaire a causé des dégâts terribles. Il a fait croire à certains d’entre nous qu’un Muluba est plus nuisible qu’un serpent…
Dans ce contexte de la faillite de l’ Etat, les tribus, les clans, les ethnies et les religions attendent chacun ou chacune son tour pour s’adonner au patrimonialisme. Dire par exemple : « Maintenant, c’est notre tour ne gêne pas ». Dans ce contexte, les liens entre les clans »aux affaires » et les autres sont purement et simplement clientélisés. La tribu, l’ethnie et la religion deviennent »le médium » entre l’ Etat manqué et/ou failli et les masses populaires. Pour que les choses changent en profondeur, un Etat digne de ce nom doit pouvoir renaître au Congo-Kinshasa. Une tâche ardue mais pas impossible.
Mais quel Etat ? Un Etat social fondé sur la solidarité, la coopération et la réciprocité. Un Etat participatif associant les collectifs citoyens à la création du droit comme médium entre les citoyens, les citoyennes et leurs gouvernants. Un droit légitime dont les citoyennes et les citoyens sont les sujets. Sans un Etat social et un droit participatif, s’affirmer Mukongo, Muluba, Mumpende, Mukuba, Mungala, Karund, Mutetela, etc. au Congo-Kinshasa risque d’être toujours vu comme une insulte à la citoyenneté congolaise. Pourtant être un Muluba fier et un digne citoyen congolais,cela est possible.
L’inculture doit être combattu dans la lutte pour un Etat social, de droit et participatif afin que la pluralité de nos appartenances ne constitue pas un obstacle à notre participation à l’édification d’un pays plus beau qu’avant. Il y a encore du chemin à faire. Le viol de l’imaginaire a causé des dégâts terribles. Il a fait croire à certains d’entre nous qu’un Muluba est plus nuisible qu’un serpent…
Mbelu Babanya Kabudi