Par Jean-Pierre Mbelu
Le 1% constituant le réseau transnational de prédation qui nous mène la guerre de basse intensité depuis les années 90 souffle le chaud et le froid à travers les médias qu’il contrôle. Ces derniers émettent la thèse selon laquelle ce qui fait défaut à notre pays est une armée forte et républicaine. Mais ces mêmes médias ne nous ont pas présenté, depuis quelque temps, des analyses historiques des guerres contemporaines gagnées par des pays ayant des « armées fortes et républicaines ».
A quoi sert cette propagande ? Peut-être à cacher la nature de ces guerres et la véritable identité de leurs commanditaires. Ils nous poussent à répéter une pensée devenue obsolète : « Qui veut la paix prépare la guerre ». Nous nous croyons que « qui veut la paix se prépare soi-même. »
Il semble que si nous avions une armée forte et républicaine, nous aurions pu renverser les rapports de force en gagnant la guerre de basse intensité qui nous est imposée depuis les années 90. Il y aurait donc une urgence chez nous : nos jeunes doivent s’enrôler dans l’armée.
Cette double hypothèse donne l’impression d’être cohérente et pertinente. D’ailleurs, ce qui se dit pour notre pays se dit aussi pour les autres pays africains : leur misère est de ne pas avoir des armées fortes et républicaines ayant des patriotes prêts au sacrifice suprême pour leurs pays. Cette double hypothèse peut avoir sa part de vérité. Nous voudrions la discuter pour voir ce pourraient être ses soubassements.
Discuter cette double hypothèse exige que nous puissions, au préalable, poser quelques questions élémentaires. Qui fait la guerre au Congo (et en Afrique) ? Pourquoi ? Quel est le coût d’une guerre ? A quoi sert-elle ? Quels sont les exemples actuels des armées fortes et républicaines ayant résisté aux « faiseurs de guerre » contemporains ?
La guerre menée au Congo est une guerre de basse intensité orchestrée par les grandes puissances (sur le déclin) par procuration. Ce sont ces grandes puissances qui entraînent, équipent et accompagnent leurs sous-traitants (Rwandais et Ougandais). Elles coopèrent avec leurs multinationales pour qu’elles aient accès aux matières premières stratégiques à moindre coût dans les zones où cette guerre de prédation est permanente. Cette dernière sert aussi à faire du chantage aux gouvernants fantoches en place pour qu’ils ne puissent pas s’écarter de la politique économique néolibérale édictée par ce 1% d’élites dominantes occidentales, sous peine d’être renversés et remplacés par des marionnettes plus dociles. Ce 1% réussit à constituer un réseau transnational de prédation avec la petite bourgeoisie compradore de notre pays et des pays voisins pour mener à bien sa mission. Ce 1% est une partie de l’Etat profond[1] occidental au cœur duquel opèrent les services secrets de ces grandes puissances et de leurs alliés.
C’est ce 1% qui nous mène la guerre avec des moyens matériels et économiques énormes. Cette guerre comme toutes les autres menées par ce 1% coûtent très cher. Prenons un exemple. La guerre contre l’Irak et l’Afghanistan a coûté plus de 3000 milliards de dollars[2]. La prise en charge des vétérans et autres malades revenus de l’Irak et de l’Afghanistan va augmenter ce chiffre. Les coûts humains et sociaux ne sont pas comptabilisés.
Toutes ces guerres participent de « la destruction créatrice [3]». Elles détruisent les Etats et les économies existants pour les recréer à l’image et à la ressemblance du 1%. (Ces guerres ont une dimension « religieuse » importante. Elles révèlent la propension permanente du 1% du réseau transnational de prédation à se déifier. D’où son recours à la violence brute et structurelle pour annihiler les « intellectuels subversifs » et les « Etats résistants et récalcitrants ». Il tient au triomphe de la pensée unique.) Ce sont des « guerres auto-génératrices » ; elles se reproduisent en créant de « faux ennemis » qui leur servent de prétexte.
Toutes ces guerres naissent d’abord dans les cœurs et les esprits « mangés » par l’injustice, l’égoïsme et la cupidité. C’est sur la base de ces antivaleurs que se constitue le réseau transnational de prédation. C’est ainsi qu’elles n’enrichissent pas les pays qui les supportent. Contrairement aux apparences. L’Etat profond qui s’empare des dividendes de toutes ces guerres est une institution officieuse et parallèle. Il n’est pas au service des populations et des nations. Ces guerres enrichissent les individus (et les entreprises privées) aux dépens de leurs pays. Souvent, elles servent de moyen de détournement de l’argent public pour l’enrichissement des individus. Les USA impliqués dans la plupart de ces guerres est l’un des pays les plus endettés du monde, un pays où la cupidité et les inégalités ont triomphé[4].
Voilà ce que nous ne nous disons pas quand nous traitons de la guerre. Souvent, nous oublions ses fondements anti-éthiques et surtout le mensonge sur lequel il prend son envol (en évoquant la démocratie et le respect des droits de l’homme.)
Et comment se mènent les guerres actuelles ? Des pays déjà listés à cause des richesses dont ils regorgent sont infiltrés par « les armés de libération » et des oppositions préfabriquées et entretenues par le réseau transnational de prédation. Ces dernières se plaignent de la violation des droits de l’homme et du non-respect de « la bonne gouvernance » par les gouvernants « ennemis » aux affaires. Les parrains (partisans de l’Etat profond) s’activent pour avoir le feu vert du Conseil de Sécurité où ils sont « maîtres » afin de mener une intervention « humanitaire » dans lesdits pays. Dès que ce feu vert est donné, ils attaquent ensemble en recourant à l’OTAN ou en soutenant le premier à prendre « le risque ».. Souvent, ils interviennent quand « les armées de libération » et les opposants de pacotille n’ont pas réussi en en venir à bout des pays ou des « gouvernants ennemis ».
Dans ce contexte, que peut faire « une armée forte et républicaine » d’un seul petit pays ? Pas grand-chose, dans l’immédiat. L’Irak, l’Afghanistan, la Libye sont des exemples éloquents sur ces questions. Si la Syrie résiste encore contre le réseau transnational de prédation qui l’attaque, c’est en grande partie grâce au patriotisme de ses dignes filles et fils et au contre-réseau transnational auquel il appartient. Mais ce pays a subi une destruction énorme !
A quel contre-réseau transnational le Congo (RD) appartient-il ? A aucun.
Dans ce contexte, croire qu’une « armée forte et républicaine » aurait gagné la guerre de basse intensité qui nous est menée, c’est se mentir à soi-même (entre autres) par ignorance. Il est important d’étudier et de connaître la nature des guerres actuelles, l’identité de leurs commanditaires, des stratégies mises en œuvre et le budget qu’elles exigent. Le réseau transnational qui les orchestre débourse souvent des millions et des milliards de dollars. Ce travail d’étude doit être fait avec les masses populaires pour éveiller notre conscience collective.
Comme les commanditaires de ces guerres sont aussi les vendeurs d’armes, ils nous poussent à croire ad vitam aeternam que « qui veut la paix prépare la guerre ». Voilà une pensée que nous sommes plusieurs à ne pas remettre en question. Certes, qui veut la paix peut préparer la guerre. Mais une autre guerre, la difficile, celle du désensorcellement des cœurs et des esprits mangés par l’injustice, la cupidité et l’égoïsme. « S’il n’y a pas de paix intérieure, il ne saurait y avoir de paix extérieure. L’absence de paix intérieure alimente les guerres froides de tout genre et donne lieu à des compétitions qui s’achèvent en défaites, lesquelles déchaînent toutes sortes de revanches, déclarées ou non.[5] » D’où l’importance de cette autre pensée : « Qui veut la paix se prépare soi-même. » Ce « soi » est à la fois individuel et collectif. Les éléments indispensables de cette préparation du soi individuel et collectif sont le pardon, la réconciliation et le dialogue continu[6]. Mais la paix née de l’éthique du dialogue et de la réconciliation peut être fragile dans un environnement humain et écologique gagné par la violence structurelle.
Il y a un préalable à la mise en pratique de cette éthique : le désarmement culturel de la pensée dominante. « Il s’agit de se rendre compte que la culture dominante n’a pas d’avenir et élimine toute espérance. La désarmer, cependant, n’équivaut pas à lui déclarer la guerre et à vouloir la détruire par la violence. La désarmer signifie la rendre consciente de ses principes les plus sains et traditionnels afin qu’elle recouvre la confiance en soi (et non dans les machines). [7]» La difficulté que pourrait présenter la lutte pour ce désarmement culturel de la pensée dominante est qu’elle est devenue hégémonique et transnationale (pour le 1% de l’humanité). La désarmer dans sa dimension transnationale pourrait passer par le désarmement des lieux qui l’ont répandue : l’école, l’université et les églises. Cela pourrait aussi passer par la prise de conscience du fait que notre monde devient de plus en plus polycentré et que la re-création d’une instance internationale d’interdépendance forte de la participation de tous ses membres s’impose : l’ONU pourrait passer de la domination des vainqueurs de la deuxième guerre mondiale en son sein à une ouverture participative de tous ses Etats membres. Elle s’enrichirait d’une « Déclaration universelle d’interdépendance[8] »
Pour tout prendre, disons qu’une lecture à court terme de la guerre peut nous induire en erreur sur ses motivations cachées ou inavouées, sur ses objectifs et ses stratégies, sur l’Etat profond qui la conduit et le réseau transnational qu’il induit, sur ses coûts économiques, financiers et humains. Les faiseurs de guerre se sont enfermés dans le courtermisme et ils le paient cher éthiquement et socialement. Et la bombe de la colère populaire peut leur éclater au visage à tout moment. Travailler au désarmement culturel de nos égoïsmes et à celui de la pensée dominante prend du temps et même beaucoup de temps. Pourtant, c’est l’un des sacrifices qui vaut la peine d’être consenti. Nous mentir à nous-mêmes en refusant d’étudier en profondeur les guerres contemporaines peut être compromettant pour nous-mêmes et pour les générations futures. Mobiliser nos masses populaires pour cette étude peut, à terme, porter des fruits de paix.
Mbelu Babanya Kabudi
[…] sont article très complets ici Share this:TwitterFacebookLike this:LikeBe the first to like […]