Par Jean-Pierre Mbelu
Le Congo-Kinshasa n’est pas une île. Les processus politiques et économiques dans lesquels il est engagé nous interpellent. Ils nous invitent à ouvrir les yeux sur ‘’le monde réel’’ et son fonctionnement. Cela pourrait pousser à se poser cette question apparemment bête : « Comment ceux qui cassent l’orientation du gouvernement aux élans progressistes en Grèce peuvent-il prétendre soutenir le processus électoral démocratique au Congo-Kinshasa et dans d’autres pays de la région des Grands Lacs ? » Et cette autre : « Qu’est-ce qui fait que certains peuples acceptent de s’engager dans des processus électoraux piégés et au service du système dominant du 1% d’oligarques d’argent ? » En restant attentif au ‘’monde réel’’, il est possible d’apprendre des autres ou de désapprendre.
Un gouvernement de gauche grec est en train d’être malmené par la Troïka composée du Fonds monétaire international, de la Commission européenne et de la Banque Centrale Européenne. Son premier Ministre, Alexis Tsipras est pratiquement sommé de renoncer au programme de gouvernement pour lequel son parti a remporté les élections. Pour cette Troïka, la Grèce doit à tout prix payer ‘’sa dette odieuse’’ et accepté les programmes d’austérité qu’elle lui impose.
Il y a, dans ce pays, ‘’berceau de la démocratie occidentale’’, quelque chose de grave qui est en train de se passer : « Un coup d’Etat silencieux’’[1] Cela serait-il surprenant ? Peut-être pas du tout ! Il y a longtemps que ‘’le cirque politique’’ a asséné un grand coup aux velléités démocratiques liées aux élections au point de les assimiler aux ‘’pièges-à-cons’’ tendus aux citoyens dans plusieurs pays occidentaux.
Coup d’Etat silencieux et monde réel…
« De plus en plus, écrivent Christophe Deloire et Chrisophe Dubois, ces amoureux de la politique ont le sentiment que voter ne sert plus à rien. Le divertissement ambiant nous a fait oublier que le monde ne se réduit pas à l’enceinte d’un chapiteau. Notre obsession du cirque politique français, de ses clowns, ses fauves et ses dompteurs, nous a fait négliger le monde réel. Comme des enfants, nous nous laissons fasciner par le spectacle électoral, au point d’oublier que ce n’est pas, ce n’est plus, le monde réel. Induits en erreur par les magiciens et leurs trucages, nous voyons de la puissance là où il y a simulation. »[2]
Dans ‘’le monde réel’’, le suffrage universel est neutralisé par ‘’les usurpateurs’’ et ‘’leurs tueurs à gage’’. Le cas de la Grèce est symptomatique de ce qui se passe dans ‘’le monde réel’’ dominé par « une superclasse invisible qui dispose de réseaux souterrains pour orienter la décision publique en contournant le suffrage universel. »[3] Le cas de la Grèce rend visible certains réseaux de cet « Etat profond occidental ». En marge de la Troïka susmentionnée, Goldman Sachs est en train de demander que ce pays ait un autre gouvernement en remplacement de celui d’Alexis Tsipras[4]. (Rappelons que Mario Draghi, président de la BCE fut fonctionnaire de la Banque Goldman Sachs entre 2002 et 2005)
Dans ‘’le monde réel’’, le suffrage universel est neutralisé par ‘’les usurpateurs’’ et ‘’leurs tueurs à gage’’. Le cas de la Grèce est symptomatique de ce qui se passe dans ‘’le monde réel’’ dominé par « une superclasse invisible qui dispose de réseaux souterrains pour orienter la décision publique en contournant le suffrage universel.
Pendant ce temps, la sous-région des Grands Lacs est en ébullition. Le Burundi se porte très mal. La rue s’oppose au troisième mandat du président sortant. Elle jouit de l’appui des médias dominants et de plusieurs gouvernements des pays occidentaux. Cette rue bien intentionnée se fait piéger en croyant dans les discours lénifiants sur ‘’l’alternance démocratique’’ dans un pays appartenant au ‘’marché de l’Afrique de l’Est’’ et au ‘’Grand Rift’’. Cette rue semble vivre en marge du ‘’monde réel’’.
Au Rwanda, les choses ne vont pas mieux. ‘’L’homme fort de Kigali’’ tient à rester calife à la place du calife. Il semble jouir d’une bonne image auprès de ses ‘’parrains’’ pour avoir fait de son pays la plaque tournante de l’économie ultralibérale.
Au Congo-Kinshasa, ‘’le raïs’’ est engagé dans un processus de consultations pour un dialogue sur ‘’un processus électoral apaisé’’. Il le fait à quelques mois de la fin officielle du mandat politique qu’il a usurpé depuis 2001. Et il est curieux que ce ‘’mercenaire du FPR’’ soit applaudi pour son ‘’soudain grand esprit d’ouverture’’, lui que sa police politique a toujours défendu comme un ‘’taiseux’’ !
Au sujet dudit dialogue, plusieurs personnalités du monde politique ou associatif congolais n’en voient aucune opportunité. D’autres s’accordent à soutenir qu’il ne doit pas remettre en cause l’ordre institutionnel et excéder les délais constitutionnels prévus pour les élections ‘’transparentes, libres, apaisées et démocratiques’’. D’autres encore se posent la question de savoir comment va s’opérer ‘’cette magie’’ dans un pays où le corps électoral est inconnu et où le fichier électoral est laissé à la merci de quelques compatriotes manducrates ? Soit !
L’Oncle Sam vient, lui aussi, de donner son point de vue sur le fameux dialogue. Il souhaite qu’il ne remette pas en cause ‘’la transition démocratique’’ devant atteindre son sommet en 2016. Pour le secrétaire d’Etat adjoint à la Démocratie et aux droits de l’homme, M. Malinowski, suivi ce vendredi 04 juin 2015 sur La Voix de l’Amérique, « le dialogue devrait uniquement être concentré sur les problèmes électoraux et ne pas servir de prétexte pour retarder les élections. »[5] Soit !
Pourquoi un tel engouement des Congolais pour les élections?
Pourquoi tout ce beau monde tient-il au processus électoral dans un ‘’Etat raté’’ ayant participé depuis plus de vingt à l’extermination des Congolais(es) et ayant hypothéqué une bonne partie des terres congolaises ? Si les élections servaient à quelque chose de bien pour les peuples, pourquoi, en Occident, Alexis Tsipras et son gouvernement sont-ils menacés d’être chassés par ‘’les usurpateurs’’ ? Arrêtons-nous un peu sur cet Occident donneur de leçons de démocratie et des droits de l’homme. Que fait-elle de ‘’sa démocratie’’ ?
La ‘’démocratie’’ occidentale n’est autorisée que dans la mesure où elle sert l’intérêt de la classe dirigeante. Les citoyens y jouissent du droit de vote, mais seulement s’ils prennent le processus au sérieux en se rendant au bureau de scrutin et en déposant leur bulletin dans l’urne, et s’ils appuient les candidats qui défendent le système. Dès qu’ils refusent de participer ou qu’ils rejettent la conception de la démocratie défendue par le régime, le mécanisme de la violence et de l’oppression se met en branle.
Dans un livre intitulé, ‘’L’Occident terroriste. D’Hiroshima à la guerre des drones’’, André Vltchek évoque un roman de José Saramango, intitué ‘’La lucidité’’. Ce roman fait allusion à un processus électoral dans un pays occidental « dont la majorité des électeurs ont décidé de voter blanc. En réaction, l’Etat décrète la loi martiale et entreprend de tuer ses propres citoyens. » Et commentant le point de vue de l’auteur, il rejoint plus ou moins le point de vue des auteurs du ‘’Circus politique’’.
Il écrit : « Du point de vue de l’auteur, la ‘’démocratie’’ occidentale n’est autorisée que dans la mesure où elle sert l’intérêt de la classe dirigeante. Les citoyens y jouissent du droit de vote, mais seulement s’ils prennent le processus au sérieux en se rendant au bureau de scrutin et en déposant leur bulletin dans l’urne, et s’ils appuient les candidats qui défendent le système. Dès qu’ils refusent de participer ou qu’ils rejettent la conception de la démocratie défendue par le régime, le mécanisme de la violence et de l’oppression se met en branle. »[6]
Désormais, ce ne sont plus ‘’les intérêts des peuples’’ qui sont défendus. Mais ceux du système ultralibéral entretenu par et pour le 1% d’oligarques d’argent, membres de ‘’l’Etat profond occidental et transcontinental’’.
La Grèce, le Portugal, l’Espagne, la France, etc. en savent quelque chose.
En effet, là où le système ultralibéral organise la guerre de tous contre tous, ‘’la démocratie’’ en prend un sérieux coup. Des citoyens des pays frappés par ‘’cette peste ultralibérale’’ et jouissant encore de beaucoup de lucidité ne cessent de fustiger l’inefficacité des élections et de la démocratie made in Occident.
En Belgique, David Van Reybrouck a écrit un petit bon livre intitulé ‘’Contre les élections’’ (2013). En France, depuis 2008, Emmanuel Todd a écrit ‘’Après la démocratie’’.
Si jamais élections il y a…
En lisant ces auteurs (et bien d’autres) et en essayant de se situer dans ‘’le monde réel’’ actuel, il arrive que l’on interprète l’engouement des Congolais(es) pour les élections comme étant un produit du manque d’information et/ou de formation, du décervelage, de l’ignorance et/ou de la méconnaissance de ce ‘’monde réel’’. Surtout quand ces élections jouissent d’un grand soutien des ‘’chasseurs de matières premières[7]’’ dont les entreprises mortifères, par milliers, envahissent le pays de Lumumba!
Aux Congolais(es) tenant à ‘’l’alternance démocratique’’ par les élections, nous posons deux questions : « Quels sont les mécanismes de contrôle du pouvoir économique et politique que vous vous apprêtez à mettre en place pour éviter que vous soyez les jouets des ‘’chasseurs de matières premières’’ déjà en 2016 ? Etes-vous suffisamment capacités pour imposer à vos futurs gouvernants ou négocier avec eux un minimum de ‘’protectionnisme économique’’ dans une un Congo et une Afrique vendus au marché ultralibéral et d’y assurer un suivi ? ». Si jamais élections il y a…bien sûr.
Là où les peuples s’exercent à un minimum de lucidité, les élections sont soit disqualifiées, soit acceptées moyennant un recours à d’autres mécanismes de légitimation politique. L’un des mécanismes est la vérification de la mise en pratique du programme de gouvernement pour lequel les élus ont reçu leurs mandats. Le pluralisme médiatique y aide. Les médias alternatifs y aident sérieusement en remettant en cause le consentement populaire fabriqué par ‘’les petites mains du capital’’. En Amérique latine, le référendum révocatoire est l’un de ces mécanismes. Les citoyens ou l’opposition au pouvoir en place peut, à mi-mandat, recourir au référendum révocatoire pour sanctionner les mandants ayant mal exercé leurs responsabilités. Il est pratiqué en Bolivie, au Venezuela et en Equateur.
Par ailleurs, il nous semble que l’un des meilleurs antidotes contre ‘’les élections-pièges-à-cons’’, c’est la lutte solidaire et perpétuelle des peuples du Sud et du Nord pour la souveraineté économique, politique et culturelle de leurs pays respectifs. Une lutte très âpre !
Les réseaux souterrains des ‘’usurpateurs’’ doivent avoir en face d’eux des contre-réseaux des peuples mobilisés pour ‘’un collectif bien vivre’’ fondé sur ‘’une économie convivialiste’’. Les élites organiques et structurantes congolaises et africaines doivent travailler à l’avènement de ces contre-réseaux. Partout où ils sont.
Aux Congolais(es) tenant à ‘’l’alternance démocratique’’ par les élections, nous posons deux questions : « Quels sont les mécanismes de contrôle du pouvoir économique et politique que vous vous apprêtez à mettre en place pour éviter que vous soyez les jouets des ‘’chasseurs de matières premières’’ déjà en 2016 ? Etes-vous suffisamment capacités pour imposer à vos futurs gouvernants ou négocier avec eux un minimum de ‘’protectionnisme économique’’ dans une un Congo et une Afrique vendus au marché ultralibéral et d’y assurer un suivi ? ». Si jamais élections il y a…bien sûr.