L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu expose l’enjeu de la légitimation de Kabila derrière ce nouveau dialogue initié par le régime kabiliste, dénonce les dangers de l’amnésie dont font preuve les congolais vis-à-vis de notre histoire, rappelle, à travers le cas de Martin Kobler comment le Congo est une néocolonie de la communauté occidentale, et explique pourquoi nous devons travailler à la résurgence d’acteurs politiques au Congo et en Afrique.
Sur le dialogue national initié par Kabila
Plusieurs partis politiques et organisations de la société civile au Congo doivent s’être rendus compte qu’il y a là un mécanisme de légitimation d’un pouvoir os qui n’est pas accepté par les populations congolaise.
Le raïs s’est engagé dans un processus pouvant lui conférer un tant soit peu de légitimité qu’il n’a pas. Ce qui reste de la classe politique congolaise s’en est rendu compte, mieux vaut tard que jamais, et est en train d’échapper à cette main tendue qui conduirait à une légitimation indue de Joseph Kabila à la tête du Congo.
Sur l’amnésie au Congo
Est-ce possible qu’après les concertations nationales de 2013, on puisse encore en organiser ? Il avait été dit que les consultations de 2013 avaient réussi à produire la cohésion sociale. Il y a eu même un gouvernement issu de ces concertations de 2013. Comment peut-il se faire, qu’après ces concertations qui avaient « réussi » à créer de la cohésion sociale, on puisse en initier d’autres ?
Ce que Amba Wetshi dit son éditorial est tellement vrai que plusieurs d’entre nous oublient que depuis les années 1960, nous passons d’un dialogue à un autre. Nous passons de concertations à d’autres sans que cela produise des résultats escomptés pour les populations congolaises. Le combe est que nous n’arrivons pas à nous arrêter pour nous dire qu’est-ce qui fait que nous puissions organiser tant de dialogues, tant que concertations, tant de conciliabules sans que le vécu quotidien du peuple congolais puisse s’améliorer. Malheureusement, ces questions ne se posent presque pas.
Malheureusement, ou heureusement, c’est un allemand qui organise, sous forme de fiction, un documentaire qui prend au dépourvu certains acteurs politiques congolais qui ont été en tournée dans l’Est du pays, pour les questionner sur ce qui se passe au pays depuis plus de 20 ans. C’est un étranger dont le pays est impliqué depuis 1885 dans la cannibalisation de l’Afrique qui vient poser les questions essentielles, que nous congolais avons essayé d’escamoter pendant 20 ans, en dressant ce qu’il appelle le tribunal pour le Congo.
Nous avons un problème très sérieux. C’est notre relation compliquée à notre histoire, qui ne nous permet pas de pouvoir résoudre les problèmes, les uns après les autres mais qui au contraire nous pousse à accumuler des problèmes sans solutions, les uns après les autres. Et ces problèmes finissent par nous rattraper et handicaper la bonne marche du pays.
Sur la cannibalisation de l’Afrique
Tout ce qui est en train de se passer aujourd’hui constitue une grave distraction. Tout tourne autour de la fin d’un régime, autour du dialogue organisé par ce régime, autour des élections que pourrait organiser ce régime, et les questions, liées à ce marché de l’Afrique australe et de l’Afrique orientale, sont mises entre parenthèses. C’est-à-dire que pendant plusieurs années, nous n’avons pas été très attentifs à la géographie telle qu’elle est entendue par les Etats dominants. En d’autres termes, nous n’avons pas été attentifs à la cannibalisation de l’Afrique et à l’histoire de cette cannibalisation de l’Afrique depuis 1885.
Nous ne sommes pas les acteurs de notre histoire, plusieurs d’entre nous ne sont que des nègres de service de l’ordre établi à Berlin depuis 1885. Ce qui nous faudra, en dehors de l’arrêt du système auquel participe le régime kabiliste, c’est de remettre sur pied les acteurs d’un autre devenir africain.
Aujourd’hui, nous avons plus besoin d’acteurs que de nègres de service reconduisant l’histoire de la cannibalisation de l’Afrique.
Sur la peur du régime kabiliste
Comment se fait-il que nous qui nous sommes émus le 1er juin 2010 puissions nous taire aujourd’hui en oubliant qu’il y a 5 ans seulement, l’un des meilleurs d’entre nous avec son chauffeur venaient d’être assassinés par le régime en place.
Sur le mercenaire nommé Kabila
Ce sont ceux qui veulent sauver le mercenaire Kabila qui essaient de lui conférer le statut de chef d’Etat et même de créer une loi pouvant le protéger.
Chaque fois que des congolais vous disent que Kabila est un chef de l’Etat nous devrions les considérer comme ses complices parce qu’ils tiennent à octroyer un statut de chef d’Etat à un mercenaire. Nous avons vite oublié que ce monsieur est un soldat du front patriote rwandais (FPR). C’est en tant que mercenaire qu’il devra être traité si demain ce régime tombe.
Et puis quel pouvoir a Kabila ? Est-ce que Bob Denard ou Jean Schramme avait le pouvoir ? Non, Jean Schramme et Bob Denard avaient le pouvoir que leur conféraient ceux qui les manipulaient. Certains congolais donne au mercenaire Kabila un pouvoir qu’il n’a pas, et pour avoir quel paix ?
Tant que ceux qui le téléguident de l’extérieur n’auront pas dit leur dernier mot, ils pourront fabriquer d’autres mercenaires comme ils sont en train de le faire. D’ailleurs ces congolais que nous avons vu défiler aux USA sont allés passer un test pour qu’on leur garantisse la capacité de devenir demain des califes mercenaires à la place du calife mercenaire actuel
Sur le rôle de Martin Kobler au Congo
Nous devons êtres des fous. Nous ne comprenons rien à ce qui se passe dans notre pays. Pourquoi Kobler pourrait-il se proposer comme la personne la plus appropriée pour réconcilier les congolais ? C’est-à-dire que quelque part, nous n’avons plus d’acteurs politiques au Congo.
Nous sommes dans la fausseté. Comment voulez-vous que la communauté « internationale » qui vous maintient comme sa colonie, qui vous fait la guerre depuis 1885, puisse régler vos problèmes et faire de vous des acteurs de votre indépendance réelle ? Non. Arrêtons. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de susciter davantage, au cœur du Congo, mais aussi, au cœur de l’Afrique, et de travailler, avec des pôles de force alternatifs, à la résurgence d’acteurs politiques au Congo. On n’a pas d’acteurs politiques au Congo. C’est cela qu’il nous faut pour demain, pour le Congo et pour l’Afrique. Mais aussi pour le monde, parce que demain, nous devons pouvoir travailler avec des pôles de force stratégiques.
Pour le moment, oublions. Il n’y aura rien, ni en 2015, ni en 2016. Le Congo ne va pas se remettre sur les rails avec les nègres de service de la communauté internationale, qui ont perdu toute fierté d’être soi. C’est quand avec un groupe d’élites organiques et structurantes du Congo et de l’Afrique, quand les vrais acteurs politiques se seront mis debout que le Congo va marcher.
Sur le film « Le tribunal sur le Congo »
Il n’y a pas longtemps au parlement européen une proposition de loi sur les minerais de sang a été faite. Si nous avions un Etat digne de ce nom, des délégués congolais seraient venus en Europe pour discuter carte sur table avec les initiateurs de cette loi là. Nous n’en avons pas vu, au contraire ce sont Louis Michel et Marie Arena qui ont parlé de cette loi, peut-être pour des raisons qui leur sont propres et que nous ignorons.
Maintenant, c’est un allemand, Milo Rau, qui a son projet, un projet qui aurait pu être celui des congolais depuis le début de la guerre. En 2010, avec la publication du rapport Mapping, nous aurions dû sauter sur l’occasion pour dire, il y a nécessité de pouvoir avoir un tribunal congolais, un tribunal sur le Congo digne de ce nom, et non chapeauté par ceux qui ont initié les guerres de prédation et de basse intensité.
Milo Rau dit qu’il voudrait être un acteur, qu’il ne voudrait pas que demain, quand on lui demandera où étais-tu quand on tuait les gens au Congo, il dise qu’il n’était pas informé.
Si nous étions responsables de notre histoire, nous pourrions transformer cette fiction réalité, parce que tant que les acteurs impliqués dans cette guerre resteront impunis, tant que la justice et la vérité ne seront pas faites sur cette guerre qui a duré plus de 20 ans dans cette Afrique des Grands Lacs rien ne pourra marcher.
Merci à cet allemand, malgré les limites de son projet, il a eu le courage d’initier quelque chose, et de prendre les acteurs politiques congolais au dépourvu à l’Est du pays. Et Il pose des questions de fond.