Par Jean-Pierre Mbelu
Dans la première partie de cet article, nous avons soutenu l’hypothèse suivante : qui dit alternance politique (dans un pays) ne dit pas nécessairement démocratie. Quand un pouvoir politique passe d’une tendance politique à une autre, cela ne signifie pas nécessairement que ce passage puisse être une porte ouverte sur la participation active du peuple, souverain primaire, à toutes les discussions et à toutes les délibérations sur toutes les questions engageant le vivre-ensemble. Et notre hypothèse est fondée sur une approche de la politique comme étant une participation citoyenne à l’édification intelligente du vivre-ensemble et de la démocratie comme « pouvoir du peuple, par le peuple, avec le peuple et pour le peuple ».
Le peuple est ici considéré comme l’origine et la fin du pouvoir. Son rôle ne se limite pas à désigner ses représentants en déposant un bulletin dans l’urne. Mais aussi à travailler, main dans la main avec eux, à l’édification du vivre-ensemble ; d’un vivre-ensemble harmonieux, juste et solidaire. C’est sur base de cette approche du pouvoir démocratique que nous poursuivons notre réflexion en restant attaché aux données historiques de la façon dont certains pays du monde et la RDC sont gouvernés.
Au sujet de la RDC, nous soutenons qu’une chose est de vouloir que « Joseph Kabila dégage », une autre est de croire que son départ coïncidera nécessairement avec l’avènement de la démocratie au Congo.
Soutenir cette hypothèse ne signifie pas que nous voudrions que M. Joseph Kabila demeure jusqu’à sa mort à la tête du Congo. Non. D’ailleurs, il n’a pas de pouvoir effectif en RDC. Il est un figurant au service des intérêts de son clan, de ses parrains et d’un certain nombre de multinationales. Le rapport Kassem de 2002 commenté par Colette Braeckman[1] est clair sur le réseau d’élite auquel il participe au cours de la guerre de basse intensité imposé à notre pays.
Si l’alternance échoue, il ne faudra pas s’attendre à un début de démocratie. Pourquoi ? Pour quelques raisons simples. Le successeur de Joseph Kabila sera l’otage de leurs parrains communs et des IFI. Or, pour qu’il y ait démocratie, il faut un minimum de justice sociale que les IFI n’ont jamais garantie. Partout où elles imposent leurs programmes, les droits économiques, sociaux, politiques et culturels des citoyens, garants de cette justice sociale, sont bafoués. Et les citoyens, au lieu d’être reconnus comme des êtres de droits, le sont comme des êtres devant bénéficier de la charité du réseau national et international de prédation. Et puis, la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a. Un bon nombre de parrains de notre réseau local de prédation opèrent à partir des pays où la guerre contre la démocratie est très avancée. Ils sont au service des oligarchies d’argent imposant à leurs peuples des mesures d’austérité déshumanisantes. Comment, dans ces conditions, peuvent-ils soutenir, chez les noirs, une politique d’émancipation promotrice de la démocratie participative ? Enfin, la division de notre classe politique (ou de ce qui en reste) en partis de gauche, de droite et du centre est-il, à quelques exceptions près, trompeuse.
A notre avis, nous avons d’une part, des populations appauvries à 80% et d’autre part, un réseau de prédation composé majoritairement de vieux dinosaures mobutistes et de nouveaux prédateurs kabilistes. Le petit reste de veilleurs et d’éveilleurs des consciences et des masses est minoré. Souvent, c’est le réseau de prédation qui lâche et soutient l’un ou l’autre de ses membres pour qu’il entonne le refrain de l’alternance-démocratie. Et puis, qui peut, au regard du fonctionnement des partis politiques congolais, à quelques exceptions près, croire en leur esprit démocratique ? Oui. La démocratie est aussi et surtout un esprit. Cet esprit s’acquiert dans la pratique quotidienne. Dans une pratique quotidienne faite d’écoute mutuelle, de débats, d’échanges, de participation populaire et de redditions permanentes des comptes, du respect de l’autre et de sa dignité, de la promotion permanente du vivre-ensemble, etc. D’où le salut nous viendra-t-il ? Les dés sont-ils pipés à jamais ? Pas du tout.
L’évolution historique du monde nous apprend bien des choses. Les parrains d’hier ne seront pas toujours forts demain. Aussi est-il arrivé qu’il se trompe dans leurs calculs et que leur mépris du droit international les ait disqualifiés comme repères politique. Disons, que fonctionnant à partir des lieux de la pensée, il ne serait pas exclu que « le petit reste » congolais, dans cet imbroglio socio-politique fasse surgir « un leadership collectif courageux », présidé par « un primus inter pares » courageux, soutenu par « un peuple courageux », bien éduqué et bien formé politiquement, civiquement et culturellement ; un peuple près au sacrifice suprême pour rompre avec le mode d’un pouvoir hétéronome et capable de travailler avec ses représentants à l’avènement d’une interdépendance responsable.