L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu montre comment le schéma classique majorité/opposition/société civile n’a plus vraiment de sens au Congo, met en garde contre les financements extérieurs des initiatives politiques et citoyennes au Congo, expose des pistes de travail et des principes de base pour repenser le Congo et faire la politique autrement et explique pourquoi, dans ce contexte de résistance du peuple congolais, les combats resurgissent dans l’Est du pays.
Sur la médiation du président Sassou pour les concertations nationales en RDC
Comment voulez-vous que Denis Sassou Nguesso qui n’a pas de dialogue du tout avec sa propre opposition au Congo-Brazzaville, puisse travailler pour qu’il y ait cohésion et concertation nationale en RDC ?
Sassou est-il crédible chez lui pour qu’il vienne présider les concertations nationales en RD Congo ?
Sur les questions majeures autour de la cohésion nationale
Il y a des questions auxquelles ces concertations si elles ont lieu doivent poser et répondre : Qu’est-ce qui gâche la cohésion ? Quels sont les acteurs majeurs et mineurs qui font que cette cohésion ne puisse pas exister ? Est-ce qu’il peut y avoir une cohésion nationale dans un pays où la justice n’existe pas ? Est-ce qu’il peut y avoir une cohésion nationale dans un pays où la vérité n’a jamais été faite sur la guerre qui sévit depuis deux décennies ? Peut-il y avoir de la cohésion sociale dans un pays où les nègres de service malmènent et appauvrissent le petit peuple ?
Sur le schéma classique Majorité/opposition au Congo
Il y a un piège dans lequel nous sommes en train de tomber en posant faussement la question de l’organisation politique de notre société. Le schéma classique majorité contre opposition n’est plus de mise dans notre pays : Il y a d’une part le réseau national et transnational de prédation, dans lequel vous retrouvez, et des membres de l’opposition politique et des membres de la majorité kabiliste, et d’autre part, vous avez la majorité de la population appauvrie, puis la société civile. Si nous cherchons à résoudre les problèmes qui se passent dans notre pays suivant le schéma classique majorité/Opposition, nous n’avancerons pas beaucoup et nous ne saurons pas mener une politique d’émancipation pour que nos populations deviennent elles-mêmes les démiurges de leur destinée. Si ce qu’il nous reste de la classe politique était courageuse, elle s’engagerait dans les consultations populaires. Mais elle a peur, parce qu’elle sait que si elle s’adonne aux consultations populaires, elle pourra être rejetée.
C’est une classe politique de jouisseurs, qui s’est coupée complètement du peuple et ne va vers lui que pour solliciter des suffrages et quand cela est fait, c’est fini. Ces parlementaires savent qu’ils n’ont pas été élus mais cooptés. Il n’y a plus de politique chez nous, il y a juste un groupe d’affairistes qui fait feu de tout bois pour s’enrichir à moindre coût et illicitement.
Sur le rôle et la place de l’église catholique au Congo
Historiquement, l’Eglise catholique à un poids dans la société civile congolaise. Mais elle a du mal à s’imposer par les actes. C’est vrai que l’Eglise catholique est très engagée mais on voudrait de plus en plus entendre sa voix et voir ses actes.
Quand nous parlons de mouvements sociaux qui ont porté certains présidents de la gauche progressiste au pouvoir en Amérique latine, on se rend compte qu’ils ont été portés par la théologie de la libération.
Comment cette église qui reconnaît son poids pourrait travailler à sa cohésion interne de façon à ce qu’elle parle d’une même voix et éviter des divisions internes qui l’affaiblissent? Nous ne pouvons pas continuer à parler du poids de l’Eglise catholique au Congo en passant par les chiffres, en disant, « Nous sommes 60% du Congo », est-ce que cela suffit ? Il faudrait, par des actions concrètes, montrer que nous sommes une Eglise à côté des pauvres ; une Eglise au service des petits, de la liberté, de la fraternité, de l’égalité.
Sur la diversité des points de vue et les divergences au sein des communautés congolaises
Dans une société plurielle comme la nôtre, nous devrions nous habituer à avoir des divergences de points de vue quand nous analysons une question nationale. Nous devrions apprendre à nous opposer sans nous massacrer.
Mais nous devrions tout faire pour que nos divergences puissent aller dans le sens de recréer un autre Congo. Que ce ne soit pas des divergences qui arrêtent la marche de notre pays vers un « plus ».
Il faut qu’il y ait une dynamique qui se mette en branle pour que le Congo se remette debout. La pluralité de nos points de vue devrait aller dans ce sens là.
Comment, tout en n’étant pas d’accord sur tel ou tel point, nous mettre d’accord sur certains principes majeurs qui nous aident à redynamiser les mouvements qui voudraient que notre pays se redresse.
Sur la reproduction de modèles venus d’ailleurs
Nous reproduisons des modèles venus d’ailleurs, des modèles qui sont en train de tomber et de devenir obsolètes. Le modèle classique politique occidental avec la gauche et la droite, puis la société civile.
Nous ne repensons pas le pays, nous ne repensons pas notre façon de faire de la politique. Nous copions trop, au point que nos copies ne puissent pas à certain moment, se révéler efficaces pour la marche de notre pays.
La politique au Congo est définie à Kinshasa, et tout se passe comme si Kinshasa était le Congo. Voilà le défi à lancer aux minorités organisées et agissantes pour qu’elles apprennent à aller dans l’arrière pays. Notre salut viendra aussi de l’arrière pays, qui doit pouvoir être conquis.
Sur une autre manière de travailler pour plus d’efficacité
L’essentiel n’est pas de commencer. Commencer, c’est bien beau. Persévérer, c’est mieux. Nous nous enfermons trop sur le court terme. Nous croyons que dès que nous avons commencé, les choses vont aller vite et que nous aurons les résultats escomptés. Nous devrions nous habituer à travailler sur le court, moyen et long terme. Planifier ce que nous faisons sur 10, 15, 20, 30 ans. Et apprendre au sein de nos organisations à passer le relais aux plus jeunes. Il faut davantage mobiliser la jeunesse pour qu’elle comprenne que cette lutte que nous menons ensemble devrait l’engager davantage.
Il faut apprendre à aller au-delà du court terme. Il faut persévérer, dans le temps, en sachant qu’il y a un certain nombre de sacrifices à consentir, qu’il y a une certaine abnégation dans laquelle on doit s’engager. En sachant également qu’il y a une certaine planification et une certaine évaluation des actions menées pour leur plus grande efficacité. Si nous travaillons de cette façon là, nous pouvons avoir quelques résultats sur le terme.
Sur le financement des partis politiques et les bailleurs de fonds
Nous nous rendons compte que les pays occidentaux sont en difficulté, que la Grèce est en difficulté, le Portugal est en difficulté, l’Espagne est en difficulté, l’Italie est en difficulté. Nous nous rendons compte qu’il y a des villes américains qui sont en faillite. Et pourtant, nous n’arrivons pas à briser, à rompre avec cette idée que les bailleurs de fonds n’ont plus de fonds. Donc, celui qui donnera des fonds aujourd’hui cherchera à contrôler ce que nous voulons faire de notre pays.
Pourquoi les acteurs politiques ne peuvent-ils pas financer leur formation ? Il ne s’agit pas de dire que nous ne pouvons pas avoir par ci, par là, des amis dans ces pays en crise. Il est d’ailleurs important d’avoir des alliés, mais ces alliés traditionnels sont ceux-là même qui financent depuis très très longtemps ce qui se passe chez nous, et pour quels résultats ?
Ne devrions nous pas, à un certain moment, évaluer tous ces financements qui sont venus de l’extérieur pour apprendre à faire les choses autrement ?
Nous devons devenir des acteurs sociétaux qui financent eux-mêmes leurs formations, leurs lieux de la pensée ainsi que l’éducation civique de leurs peuples.
Pourquoi cet argent qu’on dépense au Congo ne serait pas dépensé en Espagne, en Italie ou dans les villes américaines, par exemple ? Est-ce vraiment pour l’avancée de la démocratie au Congo que ces gens apportent leurs financements au Congo ?
Sur les manifestations publiques à Goma
Le petit reste de nos compatriotes dans cette région ne dort ni ne sommeille. Kigali et Kinshasa ont travaillé sur le court terme maintenant, ils n’ont plus où donner de la tête.
Vous pouvez recourir au mensonge, à la manipulation, aux massacres pour pouvoir faire peur aux populations démunies, mais il y a un moment où les populations se disent : non, il y en a marre ! S’il faut mourir, nous mourrons mais nous ferons tout pour sauver les frontières du pays. ET ils s’en prennent directement au gouvernement fantôche de Kinshasa, ils s’en prennent à la MONUSCO.
Aujourd’hui nos populations à l’Est de notre pays résistent malgré le nombre surréaliste de nos morts, et il faudrait que de plus en plus cet éveil soit la chose la mieux partagée dans tout le pays.
Sur la résurgence des combats dans l’Est du Congo
Quand vous parcourez notre histoire des 20 dernières années, vous vous rendez compte que le Rwanda, l’Ouganda et leurs alliés occidentaux, ont toujours pratiqué la politique suivant : to fight and to talk. C’est-à-dire, au même moment qu’ils se battent, ils essaient d’organiser rencontres bidons. Comme maintenant, ils se sont rendus compte qu’il y a quand même une certaine résistance et que les congolais ne sont pas du tout chauds pour aller aux concertations nationales, j’émets l’hypothèse, en dehors de la question des accords de Lemera qui n’a pas été abordée, que la résurgence des combats dans l’Est dernièrement serait une façon de faire pression sur les acteurs congolais de la classe politique et de la société civile en disant : attention, si nous ne créons pas la cohésion nationale, le M23 va avancer. C’est une théâtralisation cynique, sadique de la politique chez nous mais aussi une banalisation des vies humaines.
Sur le cas Diomi Ndongala
Diomi Ndongala malheureusement n’est pas un cas isolé. Il y a des escadrons de la mort qui sévissent dans tout le pays. La guerre ne se déroule pas uniquement dans l’Est du pays. Elle se fait partout dans le pays. Ce qui nous manque, c’est l’information, une information que nous finissons quand même par avoir.