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Réhabiliter Mobutu est un débat interdit. Pourquoi ?

Réhabiliter Mobutu est un débat interdit. Pourquoi ?

Réhabiliter Mobutu est un débat interdit. Pourquoi ? 1280 960 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

« Patrice Lumumba était profondément internationaliste. Il soutenait que l’Afrique ne pourrait être véritablement libre et indépendante tant qu’une partie du continent resterait sous la domination étrangère ou aussi longtemps que régnerait un système tel que l’apartheid en Afrique du Sud. »

Poser la question de la réhabilitation de Mobutu en faisant allusion aux critiques négatives dont il fut l’objet de la part des franges importantes de la population kongolaise exigerait le dépassement d’une certaine hypocrisie collective et « un penser dangereux » du système que le Maréchal a servi.

En fait, l’une de grandes faiblesses du débat kongolais me semble être son refus de la critique systémique et sa volonté d’ignorer l’histoire et/ou de l’aborder de manière approximative.

I. Mal poser les problèmes

Pourtant, les documents pouvant faciliter cette tâche existent. Malheureusement, un certain refus collectif de penser sur le temps long nous conduit à prendre trop de liberté avec l’histoire et avec la capacité des systèmes conçus sans nous à conserver le pays de Lumumba sous la botte des « décideurs ».

Si les matières premières stratégiques et la terre kongolaises sont une fausse malédiction inventée par les terroristes et leurs corporatocraties pour dépayser, déboussoler, assujettit, abâtardir et soumettre les Kongolais(es) par des proxys étrangers et kongolais interposés, l’une de véritables malédictions me semble être cette duperie consistant à être collectivement habiles à mal poser les problèmes pour  »mieux légitimer les odieuses solutions » animant les débats au coeur de l’Afrique.

Au sujet de notre hypocrisie collective, ce qu’Aimé Césaire affirmait en repensant l’essence de la colonisation mérite notre attention. Aimé Césaire écrivait ceci : « La malédiction la plus commune en cette matière est d’être la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective, habile à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuse solutions qu’on leur apporte. »

Si les matières premières stratégiques et la terre kongolaises sont une fausse malédiction inventée par les terroristes et leurs corporatocraties pour dépayser, déboussoler, assujettit, abâtardir et soumettre les Kongolais(es) par des proxys étrangers et kongolais interposés, l’une de véritables malédictions me semble être cette duperie consistant à être collectivement habiles à mal poser les problèmes pour  »mieux légitimer les odieuses solutions » animant les débats au coeur de l’Afrique.

Il est de plus en plus fréquent au pays de Lumumba d’entendre des compatriotes dire :  »Tout n’était pas mauvais sous la colonisation ». Ces compatriotes s’arrangent pour épiloguer sur les atouts et les erreurs de la colonisation en passant à côté de la question essentielle, celle du principe colonial.

A ce point nommé, Aimé Césaire vient au secours en écrivant ce qui suit : « Cela revient à dire que l’essentiel est ici de voir clair, de penser clair, entendre dangereusement, de répondre clair à l’innocente question initiale : qu’est-ce en son principe que la colonisation ? De convenir de ce qu’elle n’est point ; ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit, d’admettre une fois pour toutes, sans volonté de broncher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force, avec, derrière, l’ombre portée, maléfique, d’une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée, de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes. »

« Voir clair », « entendre clair », « penser clair », « penser dangereusement », « répondre clair », cela advient au bout d’un travail « spirituel » continu et permanent de la quête de la lucidité et du discernement. Cela passe, souvent, par un investissement, à temps et à contretemps, dans la recherche interdisciplinaire.

II. De la colonisation à la néocolonie kongolaise

A mon avis, dès que ce que la colonisation comme système d’expansion de l’économie capitaliste ensauvagée n’est pas ainsi clairement vue, il peut devenir très difficile d’apprécier Mobutu en fonction du système qu’il a servi toute sa vie durant et de sa perpétuation plus de deux décennies après sa mort. Mobutu fut un homme lige du système néocolonial. C’est-à-dire « un nègre » au service du capitalisme ensauvagé aux dépens de l’indépendance économique de son pays.

Accepter que Mobutu soit enterré au Kongo-Kinshasa sans condition me paraît beaucoup plus raisonnable que de chercher à le réhabiliter en cherchant « ses points positifs » et en négligeant l’ensauvagement néocolonial et néolibéral dans lequel il a plongé le pays.

Trois livres peuvent aider à mieux comprendre le système néocolonial que Mobutu a servi :

– J. CHOME, L’ascension de Mobutu. Du sergent Joseph Désiré au général Sese Seko, Bruxelles, Complexe, 1974.

– E. TOUSSAINT, Procès d’un homme exemplaire. Jacques de Groote, directeur exécutif au FMI et à la Banque mondiale pendant 20 ans, Bruxelles, Al Dante, 2013.

– L. DE WITTE, L’ascension de Mobutu. Comment la Belgique et les USA ont installé une dictature, Bruxelles, Investig’Action, 2017.

Dans ce contexte, que pourrait bien signifier, au Kongo-Kinshasa, la réhabilitation d’un compatriote ayant participé, de près ou de loin, à l’assassinat de son ami, le héros de l’indépendance kongolaise, Patrice-Emery Lumumba ? C’est-à-dire un compatriote ayant fait partie des ennemis intérieurs du pays ?

Il semble qu’il aurait fait du Kongo-Kinshasa « un grand pays » au coeur de l’Afrique. Non. « Une néocolonie » n’ a pas de grandeur du tout ; sauf là où la manipulation médiatiques a mangé les coeurs et les esprits.

Il aurait sauvegarder « l’unité du pays ». Non. Pour faciliter le contrôle de ses neuf voisins et éviter qu’ils ne s’émancipent du capitalisme ensauvagé et ne deviennent souverains, ses « créateurs » avait besoin d’un Kongo-Kinshasa stable, unie mais fragile. Cela d’autant plus que plusieurs partisans de Lumumba et de Mulele n’avaient pas encore dit leur dernier mot. La peur du retour au Lumumbisme et de la conquête de l’indépendance économique du pays a valu à Mobutu le soutien « indéfectible » de ses parrains.

Néanmoins, reconnaître que cette unité, malgré sa fragilité, a créé un certain esprit d’un vivre-ensemble en tant que Kongolais(es), cela peut être reconnu comme étant le fait de tous les combattants de la liberté, des patriotes, des nationalistes, des résilients et des résistants Kongolais sous la dictature de Mobutu. Pour preuve, cet esprit a survécu à Mobutu. Même s’il est fragile dans la mesure où il est faiblement fondé sur des principes et des valeurs « bomotoïsant » pouvant entretenir la cohésion sociale sur le temps long.

Bref, accepter que Mobutu soit enterré au Kongo-Kinshasa sans condition me paraît beaucoup plus raisonnable que de chercher à le réhabiliter en cherchant « ses points positifs » et en négligeant l’ensauvagement néocolonial et néolibéral dans lequel il a plongé le pays.

Réhabiliter positivement Mobutu

L’hypocrisie collective consistant à refuser la remise en question du système néocolonial et néolibéral dans lequel le Kongo-Kinshasa se retrouve encore aujourd’hui conduit à passer sous silence la véritable lutte dont ce pays a besoin : celle de son émancipation politique et de sa souveraineté intégrale. Cette volonté d’ignorer cette lutte fait partie du « débat interdit » au pays de Lumumba au moment où l’avènement d’un monde multipolaire devrait le rendre indispensable.

Positivement, réhabiliter Mobutu serait inviter tous les nationalistes, tous les résilients et tous les résistants au système qu’il a servi à se mettre ensemble pour créer un système alternatif et se concentrer sur l’avènement d’un Kongo-Kinshasa souverain, panafricain et « internationaliste ».

L’hypocrisie collective nous plonge majoritairement dans le culte de la personnalité « des nègres de service », des « copains et des coquins », des « enfants de… » au point de refuser de « voir clair », « de penser clair », de « penser dangereusement » comme Raf Custers lorsqu’il écrit un article intitulé : «Au Congo, seule la colonisation est durable ».

Positivement, réhabiliter Mobutu serait inviter tous les nationalistes, tous les résilients et tous les résistants au système qu’il a servi à se mettre ensemble pour créer un système alternatif et se concentrer sur l’avènement d’un Kongo-Kinshasa souverain, panafricain et « internationaliste ». Plusieurs débats politicards actuels ne servent pas cette noble cause.

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

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