Quand « le conglomérat d’aventuriers » instrumentalisé par Kigali envahit notre pays et est accueilli par plusieurs d’entre nous en « libérateur », nous sommes nombreux à ne pas comprendre qu’il vient exacerber « une crise éthique » déjà très profonde. Les fraudes, les tricheries et les autres irrégularités enregistrées au cours de la dernière mascarade électorale sont la face visible de l’iceberg.
Après la deuxième mascarade électorale de novembre 2011, la RD Congo donne l’impression d’être un pays traversant « une sérieuse crise politique ». Certains politicailleurs Congolais et leurs parrains parlent de plus en plus des concertations pour y trouver une issue. D’aucuns estiment qu’il y a d’une part un pouvoir légitime et d’autre part un pouvoir légal. Un dialogue devrait permettre de trouver « une troisième voie ».
Certes, il est impérieux que les Congolais et les Congolaises, toutes tendances confondues, dialoguent entre eux pour remettre leur pays sur les rails. Et ce dialogue devrait être institutionnalisé et permanent. Il devrait avoir lieu à tous les échelons de la gestion de notre vivre-ensemble. Cependant, lier ce dialogue à la crise artificielle créée de toute pièce par l’avarice et la cupidité de quelques-uns d’entre nous peut être un signe éloquent de superficialité. De quoi y a-t-il réellement crise ? Quelle est la véritable nature de cette crise ? De quand date-t-elle ?
La crise est à la fois systémique et anthropologique. Le marionnettisme a capoté ; il fonctionne à l’envers. C’est d’un. De deux, les cœurs et les esprits des partisans de ce marionnettisme ont été « mangés » par l’avarice et la cupidité. S’il y a crise à ce niveau, elle est anthropologique. C’est-à-dire qu’elle est à la fois politique, économique, sociale, culturelle, religieuse et spirituelle. Plusieurs d’entre nous en font les frais.
Explicitons. Depuis les années 60, chaque fois que notre peuple a été consulté dans des conditions d’équité, de justice et de liberté, il a su opérer de bons choix de ses gouvernants. Les élections de 1960 sont un exemple éloquent. Les consultations populaires de Mobutu dans les années 90 en sont un autre. Celles du mois de novembre 2011 ont donné la preuve de son éveil et de sa grande politisation. A toutes ces étapes de notre marche historique commune, la volonté de notre peuple a été ignorée par « les faiseurs des rois ». Lumumba est assassiné le 17 janvier 1961, lui sur qui notre peuple avait jeté son dévolu. Mobutu est chassé du pouvoir par des pays satellites au service des oligarchies d’argent en 1997 et les forces du changement ayant contribué à sa mise hors d’état d’agir sont neutralisées par « un conglomérat d’aventuriers » à la solde des « nouveaux prédateurs ».
Voulant refermer cette longue parenthèse ouverte par ces « nouveaux prédateurs », notre peuple a choisi un fils du pays pour l’aider à avancer dans sa lutte d’autodétermination et d’émancipation du joug « des faiseurs des rois ». Présentement, il est face au refus de ces derniers d’avaliser son choix. Comment en est-il arrivé là ?
Quand, à travers ses forces de changement, il répond aux consultations populaires organisées par Mobutu, il exprime son rejet du système dont le maréchal était le ténor. Notre peuple dit son désir du « bien-vivre-ensemble » dans la liberté et l’égalité. Face à sa persévérance dans ce désir de changement, « les faiseurs des rois » décident de se débarrasser de Mobutu, de redessiner la carte de l’Afrique centrale en se choisissant d’autres marionnettes (Kagame et Museveni). Plusieurs d’entre nous, travaillant au règlement des questions internes, n’ont pas intégré, dans leurs réflexions, ce nouveau choix des oligarchies d’argent. Ainsi, « le conglomérat d’aventuriers » instrumentalisé par les deux nouvelles marionnettes « des faiseurs des rois » sera-t-il accueilli, à travers tout notre pays, en « libérateur ». Malheureusement, cette « libération » s’est transformée en tragédie. (Le titre du livre de Charles Onana l’exprime très bien : Ces tueurs tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009)
Les « faiseurs des rois », « ces tueurs tutsi » et le « conglomérat d’aventuriers » qu’ils ont instrumentalisé ont semé et sèment encore la mort dans les pays des Grands Lacs. Ils ont orchestré « une guerre de basse intensité » pour avoir accès aux matières premières stratégiques de notre beau et grand pays. Au cours de cette guerre, ils ont essayé de se transformer en hommes et femmes politiques en recourant à l’argent et, à la tricherie et au mensonge.
Ils achètent et vendent tout ou presque : les documents juridiques, les députés, les partis politiques, les voix des électeurs, les postes, les commissions chargées de telle ou telle autre matière, les magistrats, les prêtres, les pasteurs, etc. Ils mentent sur leur véritable identité ; ils initient des moratoires sur cette question sans aller jusqu’au bout. Ils planifient les fraudes et les tricheries aux élections. Ils organisent des trafics frauduleux des matières premières et s’enrichissent sans cause, etc. A l’instar de leurs maîtres, ils ont enfoncé notre pays dans une crise éthique qui ne dit pas son nom. Ils se sont dressés contre le peuple.
Même si, au sein de nos populations, il y a des compatriotes, faibles d’esprit, qui ont fini par singer « ce conglomérat d’aventuriers » et s’accommoder de sa façon d’être et de vivre. Ces compatriotes sont plongés dans une crise anthropologique très sérieuse. (Ils estiment par exemple que d’un processus électoral frauduleux peut sortir un ordre politique juste par la seule volonté des fraudeurs !) Mais les minorités organisées et les autres forces du changement rejettent avec la dernière énergie ce système mortifère. Ce faisant, ils témoignent de l’échec de ce système fondé sur la marchandisation du vivre-ensemble. Ils attestent que la transformation des « nouveaux prédateurs » en hommes et femmes d’Etat est un fiasco.
Disons que s’il y a crise, celle-ci est fondamentalement éthique. Cette crise appelle une rupture profonde ; une rupture avec le système mortifère pour une refondation d’un autre ayant pour base la justice, la vérité, la paix, la solidarité, la fraternité, l’égalité, la liberté, etc. C’est-à-dire toutes ces valeurs pouvant redonner un peu d’humanité à notre vivre-ensemble. Un système respectueux de la volonté de notre peuple, de son désir du « mieux-vivre-ensemble ».
Nous ne le dirons jamais assez : « Il n’est pas tard pour qu’une Commission Justice, Vérité et Réconciliation » soit remise en bonne et due forme sur pied chez nous ». Un travail titanesque avait déjà été abattu par l’Office des Biens Mal Acquis à la Conférence Nationale Souveraine. Après la guerre de l’AFDL, plusieurs commissions ont produit des rapports fouillés sur la marche de notre pays. En dehors des rapports des experts de l’ONU, il ya, entre autres, ceux des commissions Lutundula et Bakandeja. Refermer la parenthèse de la prédation et de la mort dont notre pays souffre depuis plus de cinq décennies peut être facilité par le travail abattu à la Conférence Nationale Souveraine et dans les commissions susmentionnées. La crise artificielle entre la légitimité et la légalité dont parlent certains politicailleurs Congolais et leurs parrains est la face visible de l’iceberg. Nous devons pouvoir aller au fin fond des choses. L’exemple de l’Afrique du Sud (avec sa Commission Vérité et Réconciliation) peut nous être utile. Les institutions Congolaises (autres que politiques) et les associations citoyennes peuvent faciliter cette tâche. Elle peut aussi être assumée demain par un « nouveau » pouvoir à la fois légitime et légal.
Par J.-P. Mbelu.