Par Thierry Mbuze, analyste politique. Source: Congoindependant.com
La République Démocratique du Congo fait face à une rébellion dénommée M23[1], créée au début du mois de mai par des officiers des FARDC qui se sont mutinés au Nord-Kivu. Elle est conduite par des anciens rebelles du Congrès national pour la Défense du Peuple (CNDP), ancien mouvement rebelle transformé en parti politique.
Alors que le gouvernement de la République avait promis dès son éclatement d’écraser militairement cette sédition armée, l’opinion a assisté au début du mois de juillet à la prise de contrôle, par ces rebelles, de plusieurs localités dont Rutshuru-centre, Kiwanja, Rubare, Ntamugenga, Tchengerero, Jomba paroisse, Kabaya et Kitagoma, avant de se retirer de certaines.
A ce jour, les échos qui nous parviennent du front ne sont guère à l’avantage des forces loyalistes !
Quiconque maîtrise l’art de la guerre, sait pertinemment qu’il existe un lien indissociable entre l’efficacité des services secrets en amont et une victoire militaire en aval ! J’entends par services secrets, services de renseignements tant civils que militaires dont généralement les missions leur dévolues sont :
1° « la recherche, l’interprétation et la diffusion à titre préventif des renseignements politiques, économiques, sociaux, culturels et autres intéressant la sûreté de l’Etat » ;
2° « la recherche et la constatation des infractions contre la sûreté de l’Etat, la surveillance des personnes suspectes d’exercer une activité de nature à porter atteinte à la sûreté de l’Etat ».
A la grande surprise de tous, pendant que les défaites se poursuivent sur le terrain militaire, les animateurs desdits services demeurent à leur fonction, et certains sont mêmes promus !
Quelques exemples
Le chef du Département Intérieur (de 2007 à 2011), la branche de l’ANR supposée veiller sur la sûreté intérieure de la RDC, a été promu patron de l’ANR ! Alors que durant la même période, l’Est de la RDC n’a jamais connu la paix !
Pire, le directeur provincial de l’ANR/Nord Kivu continue à couler de paisibles jours au bord du Lac à Goma, en dépit de la chute de plusieurs localités de sa juridiction.
Censés être les yeux et les oreilles de nos décideurs politiques et militaires : l’ANR[2], la DeMIAP[3] et la DRGSS/PNC[4] passent aujourd’hui devant tous les groupes armés (FDLR, M23, MaïMaï, etc.) pour des aveugles qui en conduisent d’autres, les FARDC, lesquelles semblent se battre en aveugles face à des adversaires trop bien informés !
Deux poids, deux mesures
Alors qu’ils sont très bien connus et bien identifiables, à ce jour, aucun de ces trois services cités qui excellent à Kinshasa et ailleurs pour arrêter de paisibles citoyens non armés, n’a été capable ni d’infiltrer ni d’arrêter un seul responsable de différentes forces négatives susmentionnées !
Par contre, la rapidité avec laquelle tout a été mis en œuvre pour éradiquer les aventures d’Enyele en Equateur nous laisse pantois ! Pourchassés et traqués jusqu’aux confins de la forêt équatoriale, certains rebelles n’ont eu la vie sauve que grâce à l’asile obtenu au Congo d’en face ! Le ratissage a continué jusqu’à Kinshasa pour les uns, jusqu’à la prison centrale de Makala pour d’autres !…Tandis que la demande d’extradition de leur chef présumé (placé en résidence surveillée à Brazza) fait l’objet d’intenses négociations entre Kinshasa et Brazzaville, on ne sent ni n’entend plus rien au sujet de Jules Mutebuzi, Laurent Nkunda, Bosco Ntanganda aisément installés au Rwanda !
Si l’Etat d’Israël, via le Mossad, a su contourner les lois internationales, et enlever le nazi Adolf Eichmann réfugié en Argentine pour le faire juger à Jérusalem, à fortiori comment et pourquoi des personnes ayant commis de graves crimes (et dont certaines sont même prétendument sous mandat d’arrêt de la CPI dont la RDC est signataire du Traité de Rome) demeurent-elles inaccessibles aux bras séculiers de nos services ? Et pourtant, on apprend ci et là que des opposants congolais sont traqués par nos services, même à l’étranger…
Efficacité et responsabilité
D’aucuns reprochaient à Mobutu d’avoir permis à Honoré Ngbanda, alors patron de l’Agence Nationale de Documentation (AND, en sigle) de créer deux unités paramilitaires FIS (Forces d’Interventions Spéciales) et FAS (Forces d’Actions Spéciales). Mais pour ceux qui connaissent réellement l’histoire de nos services secrets et qui savent distinguer la vérité authentique des versions historiques romancées, notamment durant cette période épique (1985-1990), ils savent que ces deux unités ont contribué à endiguer les activités de plusieurs groupuscules rebelles le long de nos frontières orientales depuis le Ruwenzori jusqu’au lac Tanganyika !
Et que grâce à l’efficacité de la capacité opérationnelle des officiers de renseignements civils de l’AND et officiers de renseignements militaires du SARM[5] opérant en Ouganda et au Rwanda ; le général Mahélé à la tête d’un bataillon mixte DSP/SARM, avait enrayé en octobre 1990 la tentative du renversement du président Habyarimana pour celui qui nargue aujourd’hui l’ex-Zaïre !
Ainsi, à ce stade de la débâcle militaire face au M23 bien installé à Rutshuru, de deux choses, l’une :
– Soit ceux-ci ont correctement rempli leurs missions d’informer préventivement les plus hautes instances décisionnelles, et que celles-ci ont failli dans leur responsabilité d’édicter les meilleures réactions, ce qui va sans dire qu’elles doivent, chacune en ce qui le concerne, en tirer toutes les conséquences qui s’imposent ;
– Soit, ils ont échoué dans leur rôle essentiellement préventif d’anticiper, de devancer et d’empêcher toute débâcle de survenir, et dans ce cas également, des sanctions subséquentes devraient s’en suivre.
Ne pas les sanctionner lorsque de telles défaillances sont évidentes, après les successives (més)aventures du CNDP et du M23, reviendrait soit à consacrer leur incompétence, soit à susciter des suspicions légitimes de complicité dans nos débâcles successives !
Très zélés lorsqu’il s’agit d’interpeller des journalistes, des activistes de droits de l’homme ou politiciens non armés, les mêmes services perdent subitement leur efficacité chaque fois qu’il est question d’entraver les actions préparés et exécutées par des groupes d’individus qui menacent réellement et ouvertement la sûreté des institutions nationales !
A ce jour, nous constatons qu’aucune rébellion ou mouvement insurrectionnel authentique (et non hypothétique) n’a pu être enrayé par les services secrets civils et militaires ! Tous émergent et se développent au nez et à la barbe des gardiens du temple qu’est la RDC, sans qu’une action préventive efficace ne soit entreprise !
Tous ceux qui ont une expertise dans ce domaine, savent que lorsqu’une guerre éclate, elle est déjà à moitié gagnée ou à moitié perdue en aval, selon que les services ont bien ou mal travaillé en amont ! D’où l’adage : « qui veut la paix, prépare la guerre » !
Qu’en est-il chez nous en RDC ?
Plutôt que de cibler le véritable adversaire, notamment le Rwanda et ses agents opérant chez nous ; nos services brillent par les brimades et autres tracasseries vis-à-vis de nos propres compatriotes, sous prétexte de défendre la sûreté de l’Etat ! Or, ce même Etat se désagrège et se soustrait chaque jour un peu plus sous leurs pieds.
Qu’a fait le Rédoc[6] du Nord-Kivu pour prendre stratégiquement en étau le M23 dans sa juridiction? De quelle action préventive peut-il se targuer, le chef de poste de l’ANR à Rutshuru (qui doit sûrement avoir fui) ?
L’efficacité d’un service d’intelligence (puisqu’il s’agit de cela) dépend essentiellement :
1° de la formation de ses cadres et agents ;
2° des moyens (rémunérations et frais de fonctionnement) mis à leur disposition quant à ce !
Pour l’avoir compris, Mobutu en son temps de gloire n’y lésinait pas, car il s’agissait non pas seulement de la protection de son pouvoir, mais aussi de la survie de la Nation intégrée au bloc occidental (capitaliste) face au bloc soviétique ! Et ce, grâce à la dextérité du patron emblématique du Contre-Espionnage zaïrois durant sa période faste (1985-1990). J’ai cité : George Leta Mangasa !
S’il est vrai que l’antagonisme Est-Ouest n’existe plus aujourd’hui ; la survie de la Nation zaïro-congolaise doit demeurer un impératif permanent face aux velléités de balkanisation et de siphonage récurrent de nos ressources !
Autant notre Armée semble ne jamais avoir les moyens adéquats pour combattre, autant nos services civils et militaires se plaignent d’être totalement délaissés par ceux qui doivent leur octroyer le minimum nécessaire !
Inexorablement, la qualité de la formation (et celles des recrues) ainsi que les moyens n’ont fait que décroître. Tout paraît comme si l’on voulait les rendre inefficaces à souhait. Concomitamment à cet état des lieux lugubres, d’autres cadres et agents bien ou mieux formés, végètent « sous le manguier » !
Dans quel but, sinon pour favoriser celui à qui profite le crime ?
La simple analyse des faits démontre que, dans toutes les guerres d’agression depuis l’AFDL, le RCD[7], le CNDP, et enfin le M23, le lit a toujours été dressé pour Kagamé et son plan machiavélique sur la RDC.
Garant de la Nation et du bon fonctionnement des institutions
Quiconque porte ce titre en République Démocratique du Congo a la lourde responsabilité devant Dieu, la Nation et l’Histoire de pallier à toutes ces lacunes. Ne pas y remédier, constituerait un crime de haute trahison. A moins que le Rwanda ait véritablement la mainmise totale sur toutes nos institutions, y compris nos services secrets civils et militaires,…
Thierry Mbuze, analyste politique.
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[1] Mouvement du 23 mars, faisant référence à un Accord signé entre les militaires du CNDP et le pouvoir congolais le 23 mars 2009.
[2] Agence Nationale de Renseignements (services secrets civils).
[3] Détection des activités Militaires AntiPatrie (services de renseignements militaires).
[4] Direction des Renseignements Généraux et des Services Spéciaux de la Police Nationale Congolaise.
[5] Service d’Actions et de Renseignements Militaires.
[6] Directeur Provincial de l’ANR
[7] Rassemblement Congolais pour la Démocratie.
une analyse qui comme d’autres met le doigt sur le problème numéro UN en RDC. Une analyse aisée à lire et comprendre sauf pour les amnésiques séléctifs qui se reconnaîtront…
Comme vous l’avez si bien indiqué, lorsqu’une guerre éclate, elle est déjà gagnée ou perdue. Les militaires ne font pas la guerre. Ce sont les services de renseignement qui font la guerre. Préventivement. Or, les services de renseignement de Kigali, Kampala et Kinshasa travaillent ensemble depuis 1997. Ils savent que si un mouvement « congolais » structuré voit le jour à Mbandaka ou à Matadi, et prend corps, c’est la fin du régime. Le M23 ? quoi ? connais pas… Vous avez tout compris…