Les récentes promotions au sein des FARDC font partie des promesses du président Kabila de réformer l’armée en réorganisant l’articulation de ses forces et leur implantation sur le territoire conformément à la loi organique relatif à l’organisation et au fonctionnement des FARDC. Ainsi, pour exercer une fonction d’importance stratégique, il fallait absolument être porteur d’un grade équivalent aux prérogatives et aux effectifs numériques des troupes à contrôler. C’est dans cette optique que les généraux Etumba et Olenga ont été élevés au grade de général d’armée, le grade le plus élevé de l’armée congolaise. Ce, conformément au nombre de militaires placés directement sous leurs ordres respectifs : Entre 140.000 à 145.000 militaires (l’ensemble des FARDC= Une armée) sous le commandement du chef d’état-major général Etumba et environ 110.000 hommes de l’armée de terre (qui forment 3 à 4 corps d’armée = une armée) placés sous les ordres du général Olenga. Ainsi, il faut porter le grade de général d’armée (portant des galons de 4 étoiles) pour exercer cs fonctions. occuper ces postes. Cela fait de ces deux généraux fidèles à M. Kabila, les militaires les plus hauts gradés de la RDC. Une consécration pour ces deux généraux.
Le Général d’armée Didier Etumba Longila, Chef d’Etat-major général des FARDC
Didier Etumba est de père Mongo de l’Equateur et de mère Tutsi rwandaise, décédée. Une origine ethnique qui, selon des sources parlementaires congolaises de la majorité présidentielle, militaires et diplomatiques concordantes, lui a valu la nomination à son poste actuel. Il bat le record de longévité à ce poste qu’il occupe depuis le 17 novembre 2008 en remplacement du général Dieudonné Kayembe qui a refusé d’endosser la responsabilité de l’opération conjointe Umoja wetu invitant l’ armée rwandaise (RDF) de venir opérer aux côtés des FARDC entre janvier et mars 2009.
Diplômé de l’Ecole royale militaire et de l’Ecole d’application de gendarmerie en Belgique, Didier Etumba est également détenteur d’un master en sciences criminologiques de l’Université de Liège. Rentré au pays en 1986 à l’époque des FAZ, il a évolué au sein de la gendarmerie puis comme formateur et cadre à l’EFO Kananga au début des années 1990 après la rupture de la coopération belge et le retour en Belgique des instructeurs belges de cette académie militaire de renom qui a vu formé plusieurs officiers des pays africains. Mal aimé du régime mobutiste, alors que ressortissant de l’Equateur, une province militairement choyée par Mobutu, il a été adopté par les régimes Kabila (père et fils) alors qu’il était major. Il sera affecté à l’état-major de la Force Terrestre aux côtés de Joseph Kabila qui le prendra par la suite conseiller lorsqu’il deviendra chef de l’Etat. C’est à ce moment que sa carrière connaîtra une ascension fulgurante en occupant les postes stratégiques de l’armée, notamment à la tête des renseignements militaires (DEMIAP[1]) et de la force navale avant sa promotion à la tête des armées. Il fut également expert militaire de la composante gouvernementale dans les négociations de Lusaka (1999), Pretoria et Sun City (2002). Didier Etumba a également été nommé par Kabila coordonnateur adjoint du programme Amani et Co-président de la Commission technique mixte paix et sécurité de ce programme avant d’être élevé à la tête des FARDC.
Pour un chef d’état-major d’armée, il est très peu en contact avec ses troupes alors qu’il est censé jouer le rôle d’ »entraineur » aux côtés de ses joueurs. Cependant, son étonnante discrétion actuelle contraste avec sa réputation de frondeur et de réformateur qu’il mettait en avant sous les FAZ. Les analystes pensent qu’il occupe ce poste pour cause d’apparat et dans une stratégie politique de Kabila visant à attirer la sympathie des ressortissants de l’Ouest du pays, notamment l’Equateur, un des bastions de l’opposition à son pouvoir. Paradoxalement, c’est lui que la bloggeuse belge Colette Braeckman a cité comme ayant transmis des ordres contradictoires aux FARDC durant la guerre contre le M23 en 2012. En effet, selon le colonel Dunia, officier du 322ème bataillon paracommando formé par les belges à Lokando au Maniema, les troupes congolaises envoyées au combat [contre les M23 en 2012] ont reçu des informations délibérément erronées. « On nous a envoyés sur des collines où il n’y avait personne, où nous étions exposés aux tirs ennemis, sans ravitaillement ni munitions ». L’officier relate que ses soldats avaient réussi à cerner Bosco Ntaganda. « Alors que nous les avions coincés, Bosco et les siens ont fui la ferme où ils étaient retranchés. Nous y avons retrouvé 30 tonnes d’armes et de munitions dont ils avaient été dotés pour combattre les rebelles hutus mais qu’ils avaient préféré stocker… » (Le carnet de Colette Braeckman, 2/2/2013). Pour Braeckman, c’est le général Didier Etumba, le chef d’état-major général des FARDC, qui a donné l’ordre d’observer cinq jours de cessez le feu alors que les forces gouvernementales étaient à deux doigts d’arrêter Bosco Ntaganda. Ce délai permit à ce dernier et ses troupes de fuir en direction de la frontière rwandaise en traversant le parc des Virunga. Selon des militaires belges qui étaient en contact téléphonique avec leurs élèves, les militaires congolais ne leur cachaient pas leur frustration : « les mutins étaient dans la forêt, ils avaient abandonné leurs armes lourdes. Nous voulions même louer des bus pour les cueillir à leur sortie du parc des Virunga… » Le journaliste Baudouin Amba du Congoindependant se pose cette question face à cette situation incompréhensible : Qui a donné ces informations erronées? Quelqu’un voulait-il «sauver» Ntaganda ? Qui ? Etumba a-t-il agi à titre personnel où transmettait-il des directives venues d’une «autorité supérieure» ? Laquelle ? (Congoindependant, 5 février 2013).
Des sources diplomatiques affirment que c’est le secrétaire particulier du général Etumba qui était chargé de payer en espèces les frais de séjour et les perdiems des délégués du mouvement rebelle M23 pendant que de l’autre côté le gouvernement congolais le traite de groupe négatif avec qui il ne faut pas négocier.
Enfin, il y a lieu de constater que sa stratégie de profil bas affiché n’exclurait pas d’ambitions personnelles selon certaines sources qui le côtoient. Il semble apprécié par les américains et entretient de bons contacts avec l’armée belge.
Le Général d’armée François Olenga Tete (Okundji), Chef d’état-major intérimaire de l’armée de terre
De l’ethnie Kusu du nord du Maniema, les détails sur son parcours militaire sont inexistants. De son vrai nom François Okundji, il a dû utiliser un nom d’emprunt « Olenga » – en s’identifiant comme apparenté à l’ex-général Olenga, proche de Patrice Lumumba – pour appuyer sa demande d’asile en Allemagne. C’est au cours de ses années d’exil qu’il fait connaissance de Laurent-Désiré Kabila. Depuis le 23 novembre 2012, le général Olenga remplace au poste de chef d’état-major intérimaire de l’armée de terre congolaise le général Gabriel Amisi, connu sous le nom de code « Tango Four ». Ce dernier, ex-militaire du RCD-Goma, a été suspendu de ce poste le 22 novembre après la publication d’un rapport d’experts de l’ONU l’accusant de vente et livraison d’armes et munitions à des braconniers et des groupes armés, dont un allié au M23. Il n’a pas fait l’objet de poursuite judiciaire pour ces faits punissables de haute trahison
Sans formation ni brevet militaire attestés par une académie militaire, le général Olenga doit sa place grâce à sa loyauté absolue à Joseph Kabila, dont il a servi pendant longtemps le rôle de garçon de course et de tiroir-caisse. On sait qu’il rejoint l’AFDL en 1996 et a mis à profit ses relations avec les hommes d’affaires de l’Europe de l’Est pour approvisionner la rébellion en armes et munitions. Il assurera alors la fonction de responsable logistique des FAC (Forces Armées Congolaises) après la victoire de l’AFDL en 1997. A sa nomination comme chef d’état-major a.i. de l’armée de terre, le général Olenga s’est fait remarquer par ses déclarations fracassantes contre le Rwanda. Il a par exemple menacé en vain de lancer une contre-offensive sur les territoires occupés par le M23 pour les y déloger. Son retour sur le devant de la scène militaire a été interprété par des analystes comme une volonté de requinquer le moral des troupes d’une armée en perte de vitesse. A l’instar de son frère ethnique Kusu-Tetela, le Minsitre Lambert Mende, Olenga est connu pour son populisme en matière de communication propagandiste. En temps de guerre, cela peut parfois influencer positivement le moral des troupes FARDC en perte de vitesse et faire douter l’adversaire. Il reprend un poste qu’il a occupé entre 2001 à 2003, lorsque Joseph Kabila, jusqu’alors chef d’état-major de cette branche de l’armée, a été désigné chef de l’Etat. Homme d’affaires et bon vivant (surpris à plusieurs reprises aux heures de travail et parfois en période de guerre dans un hôtel de la place à Binza Ma Campagne – une banlieue résidentielle huppée de la capitale – en compagnie d’une cohorte de jeunes filles, certaines probablement mineures), il est propriétaire, entre autres, d’une somptueuse résidence dans les environs de Kingakati. Il s’est occupé avant sa promotion de l’achat des armes et munitions, dont certaines ne correspondaient pas aux calibres des armes utilisées par les FARDC dans la guerre menée contre le M23. Il a également exercé la fonction d’Inspecteur général des FARDC en juillet 2005 puis en juin 2010.
Il a été cité dans un rapport d’enquête d’experts de l’ONU, daté du 8 octobre 2002, pour avoir utilisé l’argent de la compagnie des mines de diamants de l’Etat, la MIBA, pour acheter des armes au profit de l’armée. Il a également été accusé par des associations congolaises de droits de l’homme d’avoir abattu un enfant de la rue qui lui a volé son téléphone portable.
Qui perd la guerre gagne des galons
Ce qui est surprenant – et nous avons reçu plusieurs réactions privées en provenance du Congo et d’ailleurs depuis la publication de notre note du 9 juillet -, est que ces deux généraux, très controversés et contestés même par leurs confrères d’armes qui requièrent l’anonymat, ont été gratifiés à la tête d’une structure qui est tout, sauf une armée, qui vient d’aligner une série de débâcles. Une pseudo armée de gueux en déliquescence incapable de défendre l’intégrité territoriale du Congo. Une armée corrompue, démotivée, sous-équipée et anachronique. J’y reviendrai dans une prochaine analyse explicative des raisons de ces promotions paradoxales : La stratégie du renforcement positif des perdants. Même lorsque notre équipe de football « Les Léopards » perdent un match (qui n’est qu’un jeu sans enjeu vital pour le pays), c’est toute la nation, en commençant par les chefs, qui réclame que des têtes tombent. Mais lorsqu’une armée, censée sauver des vies humaines et garantir l’intégrité et la souveraineté nationales aligne des décennies de défaites entraînant des pertes de vie des millions de congolais depuis 15 ans, on félicite et les gratifie ses chefs. Alors que par leur gestion calamiteuse des batailles militaires, c’est une frange de la population qui a été sacrifiée. Ainsi, pouvait-on lire, de manière surréaliste , dans un communiqué du ministre de la Défense ce qui suit :
« A travers une série d’ordonnances rendues publiques le dimanche et le lundi 7 et 8 juillet 2013, le chef de l’Etat Joseph Kabila est déterminé à donner un coup de pousse à la réforme de l’armée. Parmi les ordonnances signées, il y a celle qui mette à la retraite certains officiers. Joseph Kabila tient à féliciter ceux qui ont honorablement servi la République… Il félicite également les heureux promus, tout en encourageant les autres à redoubler d’efforts pour mériter de sa confiance. » Fin de ce citation et à chacun de tirer ses conclusions.
Jean-Jacques Wondo
Analyste des questions politiques et sécuritaires du Congo
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