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Quand le fleuve Congo illuminera l’Afrique

Quand le fleuve Congo illuminera l’Afrique

Quand le fleuve Congo illuminera l’Afrique 512 384 Ingeta

Source: Le Monde Diplomatique. Février 2011. Par Tristan Coloma.

Un sous-sol regorgeant de minerais et un fleuve capable d’alimenter des barrages surpuissants, mais des caisses de l’Etat vides et des coupures de courant incessantes : la République démocratique du Congo concentre le paradoxe africain. Pour jouir de ses richesses, il manque au continent des infrastructures, notamment énergétiques. En échange de matières premières, la Chine construit des installations. Mais les populations en profiteront-elles ?

Kinshasa, 29 octobre 2010, ministère de la communication. Cela fait bientôt trois heures que l’autorisation de reportage aurait dû être imprimée. En l’absence de climatisation, une torpeur sans charme gagne l’antichambre du bureau : pas d’électricité. En République démocratique du Congo (RDC), le courant n’est ni continu ni alternatif. Il est intermittent. « Il faut attendre le retour du ministre, c’est le seul à pouvoir décider si on lance le groupe électrogène. Avec la SNEL [Société nationale d’électricité], on ne sait jamais quand le courant va être rétabli. » Face aux incessants rationnements, les moteurs fatigués des générateurs toussotent à longueur de journée.

La RDC n’est pas un cas unique. En avril 2008, le Fonds monétaire international (FMI) tirait la sonnette d’alarme (1) : dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, le défaut d’infrastructures relatives à l’énergie, aux transports, à l’eau, ainsi qu’aux technologies de l’information et de la communication (TIC) amputerait la productivité de 30 à 60 %. Il induirait également une perte de deux points de croissance. Mais pour construire de nouvelles installations, réhabiliter et exploiter les anciennes, il faudrait 93 milliards de dollars par an de 2006 à 2015, soit au total 15 % du produit intérieur brut (PIB) du sous-continent (2).

L’électricité compte pour 40 à 80 % dans les déficiences d’infrastructure. Si les médias s’émeuvent qu’un enfant africain sur trois n’achève pas l’école primaire, rares sont ceux qui s’intéressent au fait que plus de trois enfants sur quatre n’ont pas accès au courant. Avec 68 gigawatts (GW, milliards de watts), la capacité de production totale des quarante-huit pays au sud du Sahara atteint à peine celle de l’Espagne. De plus, un quart du parc de production est indisponible. Au final, un Africain n’a la possibilité de consommer, en moyenne, que 124 kilowatt heures (kWh) par an. Une énergie suffisante pour allumer une ampoule de 100 watts trois heures par jour. Les entreprises locales signalent que la somme des coupures de courant équivaut en moyenne à cinquante-six jours par an, ce qui leur coûte 5 à 6 % de leurs recettes (3).

« On rafistole une partie de l’outil
en fonction de l’intérêt des financeurs »

Le constat paraît plus sombre encore en RDC, où plus de 94 % de la population n’a que faire d’une ampoule faute d’électricité. Au demeurant, se connecter au réseau ne garantit pas la lumière du fait du rationnement électrique. D’incessants délestages transforment le quotidien des Congolais en calvaire : criminalité urbaine accrue à la faveur de l’obscurité, hôpitaux peinant à conserver les vaccins, pompage de l’eau potable interrompu, sans compter les éternelles corvées d’eau et de bois qui épuisent le temps et les forces. Face à cela, la population recourt au système D, parfois au péril de sa vie ; les électrocutions sont fréquentes lors des branchements sauvages au réseau. Si le courant ne va pas jusqu’aux foyers, il parvient de manière plus régulière aux ambassades ou au siège de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco). Dans ces zones pullulent des « commerçants » qui se greffent au « réseau hôte » pour proposer aux passants de recharger un téléphone portable ou de réaliser une photocopie au beau milieu de la rue.

Le continent recèle pourtant des capacités exceptionnelles. La ressource la plus prometteuse semble l’hydroélectricité, dont l’Afrique n’exploite que 3 % du potentiel (4). La RDC pourrait d’ailleurs faire des étincelles grâce à la puissance du fleuve Congo — le potentiel hydroélectrique du pays est estimé à 110 GW. Et tout particulièrement au niveau des rapides d’Inga, dans la province du Bas-Congo. Un site qui pourrait produire 44 GW si l’ensemble des barrages du complexe de Grand Inga était construit : une puissance deux fois supérieure à celle de son homologue chinois des Trois-Gorges, suffisante pour couvrir environ 40 % des besoins africains, du Caire au Cap de Bonne-Espérance…

De l’espérance, ce projet en requiert. Deux barrages existent déjà, Inga I et Inga II, respectivement construits en 1972 et 1982. Le complexe est relié à la capitale mais aussi au Katanga minier par une ligne à très haute tension de mille sept cents kilomètres. Stratégique, le site est protégé comme un camp militaire. Surtout depuis qu’« en août 1998, les rebelles du RCD [Rassemblement congolais pour la démocratie] sont venus par avion pour couper le courant et paralyser le pays », rappelle le directeur d’Inga, M. Ali Mbuyi Tshimpanga, depuis le belvédère. Dans ce bunker de conférence muni de larges baies vitrées, le panorama sur les magnifiques rapides du fleuve est masqué par des rideaux éternellement clos. Tout y dénote le manque d’argent. Devant des panneaux didactiques au rétroéclairage aléatoire et des dessins techniques effectués sur des trépieds branlants, le directeur, baguette en main, souligne le caractère exceptionnel du site. « Théoriquement, l’ensemble génère une puissance de 1 800 MW [mégawatts, millions de watts] », conclut-il. Théoriquement, car, dans les salles des machines, la majorité des compteurs ont l’aiguille désespérément bloquée sur zéro ; la production atteint péniblement 875 MW.

Le responsable technique d’Inga, M. Claude Lubuma, se veut malgré tout rassurant. « Sur les six groupes d’Inga I, trois sont à l’arrêt. Concernant Inga II, quatre sont en activité et trois machines seront réparées grâce à la Banque mondiale, plus une dernière via un financement de la Banque africaine de développement. » Au mur décrépi du belvédère, on mesure l’outrecuidance des promesses de l’époque mobutiste : « Inga, la plus grande puissance disponible en Afrique pour l’Afrique. » Pour réaliser cet objectif, le site a besoin de moyens. Or, après trente années de dictature et une décennie de guerre, l’Etat congolais compte au nombre des plus désorganisés de la planète (5). Avec un taux de croissance moyen de 5,5 %, il faudrait plus de cinquante ans pour espérer retrouver en 2060 le niveau de revenu par habitant que la RDC connaissait lors de son indépendance en 1960 (6).

Singulier paradoxe, elle fait partie des pays pauvres très endettés (PPTE), tout en regorgeant de matières premières. Certains parlent de « scandale géologique ». Selon M. Stuart Notholt, un analyste des affaires cité par le magazine African Business en février 2009, les potentialités minières de la RDC sont évaluées à 24 000 milliards de dollars — l’équivalent du produit intérieur brut (PIB) cumulé de l’Europe et des Etats-Unis. Mais, victime de toutes les convoitises, le pays ne s’appartient plus. Les combats pour l’accaparement des ressources et l’instabilité politique ont interrompu la maintenance des installations d’Inga et sapé le développement économique. De fait, les caisses sont vides (7). Un cadre de la SNEL, qui souhaite rester anonyme, avoue une certaine détresse : « Le réseau congolais est dans l’état dans lequel l’ont laissé les Belges. Il est hors d’âge. La situation est critique. Les abonnés doivent maintenant acheter eux-mêmes des câbles, car la SNEL n’a pas l’argent pour remplacer ceux qui sont défectueux. »

Les méthodes de gestion clientélistes et obsolètes empêchent de financer les infrastructures, car l’Etat facture son électricité bien en deçà des coûts de production. « Dans la grande majorité des pays d’Afrique subsaharienne, les tarifs sont subventionnés et n’ont pas évolué depuis les années 1970, car c’est un argument électoral fort. On ne peut pas avancer avec un tel comportement », explique un membre de la Banque européenne d’investissement. Mais comment augmenter le prix d’un service que l’immense majorité de la population n’a pas les moyens de payer ?

L’orage monte sur Kinshasa. La tempête de sable a cédé la place à une averse tropicale qui engloutit la capitale et interrompt la distribution d’électricité dans toute la ville. Une nuit d’encre enveloppe le ministère des infrastructures et de la reconstruction. « Ensemble motivés et déterminés, nous allons gagner le pari de la reconstruction et de la modernisation du Congo » : le panneau de propagande de la politique des « cinq chantiers » instaurée par le président Joseph Kabila n’est qu’un souvenir. Installé au fond d’un canapé club, entouré de l’ensemble de son cabinet, le ministre des infrastructures, M. Fridolin Kasweshi Musoka, explique : « Aujourd’hui, pour que la SNEL puisse investir dans le développement de son outil, il faudrait quintupler le prix au consommateur. La difficulté du domaine énergétique, c’est le caractère social de la distribution de l’électricité. »

Pour l’administratrice déléguée générale adjointe de la SNEL, Mme Bernadette Tokwaulu, l’ingérence des politiciens dans la conduite des entreprises publiques ne facilite pas les choses. « Les brasseurs ne payent pas le courant au tarif normal. Ils sont subventionnés par l’Etat au titre de l’aide au développement ! De plus, les autorités nous obligent à éclairer le boulevard du 30-Juin, mais ça n’est pas une priorité. Tout comme les éclairages à Kikwit, qui servent uniquement l’intérêt du premier ministre, puisque c’est son fief. » En Afrique, cette ingérence masque souvent la corruption des fonctionnaires (8). Même si certains d’entre eux ont été traînés devant les tribunaux à titre d’exemples très médiatisés dans le cadre de la campagne anti-corruption de M. Kabila, le président « tolérance zéro ».

Pour pallier la raréfaction des fonds publics, la RDC se tourne vers l’aide internationale. « Les financements proviennent essentiellement des bailleurs de fonds traditionnels : en majorité des institutions financières multilatérales et bilatérales, dont la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, la Banque européenne d’investissement, la Banque arabe pour le développement économique en Afrique [Badea], l’Union européenne, la KFW [allemande], la Finexpo [belge] (9) », confirme le ministre de l’énergie, M. Gilbert Tshiongo. Mais les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) reprochent à la SNEL son manque de rentabilité et son incapacité à remplir sa mission. Elles conditionnent leurs aides à l’adoption d’une réforme qui entérinerait la libéralisation du secteur de l’électricité et la participation des acteurs privés à toute la chaîne de l’offre (10).

De nombreuses voix s’insurgent. « En Afrique, le FMI et la Banque mondiale demandent au secteur privé d’assurer le développement de l’électricité alors que partout dans le monde, c’est le secteur public qui s’en est chargé. La stratégie de la Banque mondiale est de mettre à genoux les entreprises publiques pour démontrer leur inutilité et justifier la privatisation », juge ainsi M. Franck Mériau, consultant en mines et énergies à Kinshasa. Rares sont les cadres de la SNEL d’accord avec la réforme en cours. « S’il y a une ouverture du marché de l’électricité, alors les opérateurs privés prendront les marchés captifs rentables et laisseront à la SNEL les secteurs non rentables à caractère social, ne faisant qu’accentuer l’endettement de l’entreprise d’Etat », lâche témérairement la numéro deux de la SNEL, Mme Tokwaulu. Elle dénonce la réforme des entreprises publiques avec une détermination égale à celle de son chauffeur qui évite, dans de violentes embardées, les nombreuses voitures roulant à contresens. Imperturbable, elle conclut : « Par définition, c’est à l’Etat d’assumer ses responsabilités régaliennes en fournissant des services de base comme l’électricité. » Les privatisations pourraient aussi conduire à la constitution de monopoles privés. De fait, les cadres de régulation ne sont toujours pas en place en Afrique subsaharienne.

Rien qu’en RDC, « il faudrait plus de 6,5 milliards de dollars pour doubler le taux de desserte nationale et stabiliser l’approvisionnement en électricité à l’horizon 2015 », selon le ministère de l’énergie. Les projets d’infrastructures impliquent de forts investissements, des périodes d’amortissement longues et des taux de profit aléatoires. Mesurons le paradoxe : 500 millions d’Africains — sur 987 millions — possèdent un téléphone portable alors qu’ils sont 700 millions à ne pas avoir d’électricité. Un réseau téléphonique coûte moins cher qu’un réseau électrique. Et le retour sur investissement est rapide.

Le directeur de la SNEL pour le district de Kinshasa, M. Alain Bokele, est débordé. La sonnerie de son téléphone portable retentit pour la énième fois. Il hésite, s’écroule dans son fauteuil et soupire : « La situation est vraiment compliquée. Des appels d’offres ont été passés pour moderniser le réseau, mais les candidats ne se bousculent pas au portillon. » Même constat de la part de M. Mbuyi Tshimpanga. « Les partenariats public-privé [PPP] sont très rares. Dans le Katanga, la SNEL effectue quelques travaux avec les miniers, comme TFM et KCC. Le problème, c’est que dans le cadre des PPP, on rafistole une partie de l’outil en fonction de l’intérêt des financeurs privés. Ça ne sert pratiquement pas la communauté. »

Face à un tableau aussi sombre, chacun y va de son pronostic. Ainsi, certains espèrent que la crise mondiale servira de « catalyseur » à l’investissement des pays émergents, tels les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) mais aussi les pays du Golfe, la Turquie et même la Corée du Sud. « Avec l’affaiblissement des perspectives de croissance des économies avancées, on peut s’attendre à voir les relations économiques entre l’Afrique et les autres régions en développement gagner en importance », affirme la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) dans son rapport annuel, publié le 18 juin 2010. Mais ce sont les ressources minérales de la RDC qui aimantent les capitaux étrangers. « Le développement de l’Afrique est dépendant de l’intérêt qu’elles représentent pour les entreprises étrangères », avance M. Mériau. Au milieu des tables silencieuses d’un des restaurants libanais les plus fréquentés de Kinshasa, sûr de lui, il poursuit son analyse, nimbé du fumet d’un shawarma. « Il y a un fort investissement dans les zones d’échange : les ports, les aéroports, les routes et les infrastructures en général. Tout ce qui peut permettre la fuite organisée des matières premières. En fait, tous les projets de PPP sont adossés aux miniers et à l’export. »

Une puissance potentielle
deux fois supérieure à celle
du barrage des Trois-Gorges

Ainsi, le premier groupe minier du monde, BHP Billiton, aurait besoin de plus de 2 000 MW d’électricité pour alimenter une usine d’aluminium en projet dans le Bas-Congo. Il pourrait nouer un partenariat avec la RDC pour la construction d’un nouveau barrage hydroélectrique : Inga III. D’après les dernières études, cet ouvrage produirait 4 300 MW pour un coût de 7 milliards de dollars. « BHP Billiton aurait voulu ramener la capacité de la centrale à 3 500, voire à 2 500 MW, pour limiter la production à sa propre consommation et réduire ainsi la facture », explique M. Bienvenu-Marie Bakumanya, journaliste du quotidien congolais Le Potentiel.

Pour construire Inga III en 2020 et achever la première phase du mégabarrage de Grand Inga en 2025 (6 GW dans un premier temps, 44 GW prévus), le gouvernement congolais doit mobiliser 22,1 milliards de dollars. M. Tshiongo travaille en synergie avec son collègue des mines. Il escompte que les sociétés d’extraction, moyennant l’obtention de concessions, financent la production électrique et son transport jusqu’aux exploitations minières. Et, s’il reste quelques mégawatts, vers la population environnante. Ce type de coopération se nouerait aux dépens de l’intégration régionale. Un autre projet était en effet porté par le consortium Westcor qui réunissait cinq Etats (RDC, Angola, Zambie, Botswana, Afrique du Sud). Finalement, le 20 février 2010, à l’initiative de la RDC, les ministres de l’énergie du consortium ont décidé de liquider Westcor. L’accord était effectivement défavorable au Congo, car les Etats signataires devenaient propriétaires de ce barrage au même titre que la RDC. L’idée n’a pas été creusée plus avant.

A l’heure des confidences, derrière ses lourdes lunettes et un amoncellement de dossiers, le directeur de la recherche et développement de la SNEL, M. Waku Ekwi Mapuata, admet que « la SNEL n’a pas les moyens techniques et financiers de réaliser seule les travaux ». Jusqu’à présent, l’Occident se taillait la part du lion en Afrique ; le Sud comble à présent les lacunes des pays du Nord. En 2006, moins d’un quart de l’aide apportée par les bailleurs de fonds traditionnels était destiné au secteur productif. Il est vrai que, si les Européens avaient œuvré au développement du secteur privé, leur mainmise sur l’industrie extractive en aurait pâti… Les pays du Sud investissent non seulement dans les matières premières, mais aussi dans les grandes installations énergétiques, de transport ou sanitaires. Le « contrat du siècle » signé le 17 septembre 2007 par la RDC avec trois entreprises chinoises reposait sur l’échange de travaux d’infrastructure et d’importants prêts bancaires contre des avantages dans l’exploitation de ressources naturelles (lire « Le “contrat du siècle” »). Cet ambitieux programme combiné n’est pas sans rappeler la domination coloniale d’antan, qui liait commerce, aide et investissements étrangers directs. Les accords « gagnant-gagnant » pourraient masquer un jeu de dupes. L’anticolonialisme et l’afro-optimisme affichés par les Chinois enthousiasment le président Kabila. « Nous allons faire de la RDC la Chine de l’Afrique », avait-il déclaré en 2007. De l’avis du ministre de la communication, M. Lambert Mende, l’arrivée des Chinois est salutaire : « C’est une nouvelle conception de la coopération qui fait nos affaires. On n’a pas l’impression d’aller à la soupe populaire et d’ouvrir grand la bouche lorsqu’on nous l’impose en nous assujettissant à des conditions très contraignantes. »

Si Kinshasa, autrefois surnommée « Kin’ la Belle », a depuis longtemps perdu de sa superbe, « Kin’ la Poubelle » se transforme. A la radio, des animateurs diffusent encore des messages pour exhorter ceux qui n’ont pas mangé à résister et à garder la foi, car « Dieu, dans sa miséricorde, vous accordera peut-être un morceau de pain avant la fin de la journée ». Mais les Congolais gardent fièrement l’espoir d’un avenir moins misérable. Surtout depuis que les engins de terrassement chinois cèdent la place à des routes asphaltées, des logements neufs et des stades toujours plus bondés. A voir le nombre de chantiers en cours et la rapidité de leur exécution, les autorités congolaises se frottent les mains. D’un point de vue électoraliste, ce changement profite aux gouvernants. « Quinze mille kilomètres de routes peuvent être construits en dix ans, et non pas sept cents comme avec les acteurs traditionnels », conclut, pragmatique, M. Mende. C’est la Banque mondiale, porte-parole des bailleurs de fonds occidentaux, qui est ainsi implicitement désignée. L’institution, qui souhaitait par exemple réhabiliter dix turbines des centrales d’Inga I et II, a reporté son projet pour la deuxième fois. La crise financière ne lui a pas permis de trouver les sommes nécessaires. Prévue pour 2012, la rénovation complète des turbines d’Inga pourrait ne s’achever qu’après 2016.

Géant sous tutelle, la RDC ne sait plus très bien de qui elle dépend. Des conflits d’intérêts se tendent entre les pays émergents, la Chine en particulier, et les bailleurs de fonds institutionnels (11). D’un côté, l’aide des pays émergents constitue un atout pour les gouvernements africains engagés dans des négociations avec les institutions financières internationales : elle leur permet de résister à la réforme politique dictée par le consensus de Washington (12). Mais tout laisse penser que, de son côté, la Chine profite de la reconstitution de la capacité d’emprunt des pays pauvres très endettés (PPTE). Le danger existe donc de voir le contrat du siècle pousser la RDC au réendettement du siècle. Et à une nouvelle dépendance vis-à-vis d’un créancier. Kinshasa le sait et s’emploie à donner des gages au Nord. En décembre dernier, le chef de l’Etat congolais a ainsi rappelé que « cette renaissance n’aurait pas été possible sans votre concours à tous. Et nous vous en sommes infiniment reconnaissants, particulièrement à l’Union européenne, dont la présence à nos côtés a été la plus déterminante et opportune (13) ».

Car une épée de Damoclès reste suspendue au-dessus de la RDC : la « dette odieuse » héritée de la dictature mobutiste. Alors qu’il a à peine fini de célébrer l’aboutissement d’une procédure d’annulation de la dette accordée par le Club de Paris, le pays doit affronter les fonds vautours (14), qui lui réclament 452,5 millions de dollars. Leur première cible est la SNEL. Ainsi, un tribunal sud-africain a autorisé FG Hemisphere à confisquer les 105 millions de dollars de recettes que la SNEL compte tirer de la vente d’électricité à l’Afrique du Sud pendant les quinze prochaines années. L’adage de la SNEL « Que dorme le soleil, Inga veille » ne prendra pas nécessairement le sens prévu par ses créateurs.

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