Par Blaise Pascal Z. Migabo
Pourquoi la décision du programme d’urgence de 100 jours prise par Félix Tshisekedi n’est qu’un long chapelet de violations de la constitution et des lois de la République.
« Je sais (…) que ce n’est pas avec la même démarche que la plupart des gens vous réclament le pouvoir et quand ils l’ont obtenu l’exercent : dans un premier temps ils sont actifs, ils vous supplient, ils sont modérés ; ensuite ils passent leur vie dans l’inaction et l’orgueil ». Cet extrait du célèbre discours du général romain Caius Marius prononcé devant le peuple romain en 107 avant J.C ne colle-t-il pas au régime de Félix Tshisekedi un an après son accession au pouvoir dans ce qui a été qualifié par plusieurs observateurs comme un « holdup up électoral » organisé en complicité avec Joseph Kabila ? Une analyse du feuilleton judiciaire autour de la gestion du programme d’urgence dit de 100 jours lancé le 2 mars 2019 par Felix Tshisekedi au début de son quinquennat suffit pour nous en convaincre.
Interpellation de David Blattner (PDG de Safricas Congo) et alii : une opération de communication politicienne
L’arrestation de l’homme d’affaire américain, David Blattner, PDG de Safricas Congo s.a et l’interpellation d’autres chefs d’entreprises privées et publiques du BTP chargées de construire des infrastructures dans le cadre de ce programme a été salué par d’aucuns qui y voient le début d’une nouvelle ère de la justice congolaise. Ces interpellations intervenues avec une célérité à la fois surprenante et spectaculaire dans des dossiers aussi techniques exigeant des compétences dont ne disposent pas les parquets congolais ne peuvent qu’étonner tout observateur de ce feuilleton.
Pourquoi la justice se précipite-t-elle à interpeller des chefs d’entreprises avant l’audition des collaborateurs du Président de la République qui ont attribué et géré ces marchés ?
Malgré l’euphorie et l’optimisme de certains congolais, rappelons qu’il est illégal d’arrêter des dirigeants d’une entreprise défaillante dans l’exécution d’un contrat même conclus avec l’Etat. La défaillance dans l’exécution d’un contrat est une question civile dont les sanctions – aussi civiles- sont prévues en droit congolais : résolution judiciaire et condamnation à des dommages et intérêts. La loi congolaise sur les marchés publics ajoute d’ailleurs d’autres sanctions administratives comme l’exclusion temporaire ou définitive de la commande publique. Pourquoi la justice se précipite-t-elle à interpeller des chefs d’entreprises avant l’audition des collaborateurs du Président de la République qui ont attribué et géré ces marchés ?
J’estime que ces interpellations font partie d’une vaste opération de communication politicienne interne et externe. Félix Tshisekedi chercherait à rassurer les congolais et l’occident « critique » à l’égard du « capharnaüm gouvernemental » qu’il a mis en place, de l’« amnistie » offerte au clan Kabila et des multiples scandales en seulement un an de règne. Ces interpellations viseraient de faire porter la responsabilité de l’échec de son programme de 100 jours aux seuls entrepreneurs qui ont reçus les différents marchés. Pourtant, si on remonte à la conception même de ce programme, l’on s’aperçoit très facilement qu’il a été adopté en violation de la Constitution et des lois de la République.
Au commencement du programme des 100 jours était la violation de la loi…
Depuis l’annonce de ce programme de 100 jours, la Présidence justifie le recours à cette procédure par l’urgence de répondre aux besoins les plus pressants des congolais : routes, ponts, écoles, hôpitaux, casernes des militaires etc. En outre, selon la Présidence, cette urgence justifierait le recours à la procédure d’attribution des marchés de gré à gré c’est-à-dire en dehors de toute mise en concurrence. Tout cela serait autorisé par la loi selon Vital Kamerhe, Directeur de Cabinet de Félix Tshisekedi. Je ne partage pas cette position pour deux raisons tirées de la loi.
Primo, aucune loi n’autorise le Président de la République d’engager le Trésor public. Cette compétence n’est dévolue qu’au seul le Parlement, autorité budgétaire. D’où vient donc cette compétence du Président de la République d’engager le pays à hauteur de plus de 420 millions de dollars US ? Ce programme a-t-il été porté par le gouvernement – le Président de la République est une institution à part – et inscrite dans une prévision budgétaire ? Que cachait la précipitation du Président de la République d’engager l’Etat, en dehors de tout contrôle parlementaire ? Jeanine Mabunda, Présidente de l’Assemblée nationale, a sûrement loupé cet aspect !
Certains des collaborateurs du Président de la République impliqués dans ce scandale ont rang de ministre. La Cour de cassation dont le Procureur Général vient d’être nommé par le Président fera-t-elle preuve d’indépendance ? Félix Tshisekedi aura-t-il cette fois ci le courage de lâcher ses proches collaborateurs impliqués dans ce scandale sans se faire lui-même éclabousser ?
Secundo, le recours aux marchés de gré à gré dans le cadre de ce programme est fait en violation de la loi. En effet, la loi sur les marchés publics pose le principe de l’appel d’offre (mise en concurrence) pour les commandes publiques (article 17). La procédure du gré à gré, exception à ce principe, n’est admise que pour des situations limitativement énumérées à l’article 42 de cette loi. Or, les marchés conclus dans le cadre du programme des 100 jours ne figurent dans aucune des cinq situations décrites par cette disposition. On comprend facilement pourquoi le Président de la République s’est passée de l’autorisation préalable de l’Autorité de régulation des marchés publics pour recourir à la procédure de gré à gré pourtant exigée préalablement par la loi sur les marchés publics (article 41). Ces violations de la constitution et de la loi sur les marchés publics ne présageaient-elles pas déjà une vaste stratégie de détournement des deniers publics par la Présidence de la République ? L’opacité dans l’attribution des marchés et le retard dans la livraison des ouvrages ne seraient-ils pas des corollaires de ces combines au sommet de l’Etat ? On peut même s’interroger sur l’urgence d’un tel programme !
Il ressort de ces analyses que tant la décision du programme d’urgence de 100 jours prise par Félix Tshisekedi dans son essence, son exécution et son contrôle n’est qu’un long chapelet de violations de la constitution et des lois de la République. L’opinion congolaise est aux aguets et émet le vœu de voir des membres de l’entourage de Félix Tshisekedi impliqués dans la gestion de ce programme s’expliquer devant la justice. Les congolais n’ont pas perdu de vue l’affaire des 15 millions des dollars classée sans suite (?). Or, certains des collaborateurs du Président de la République impliqués dans ce scandale ont rang de ministre. La Cour de cassation dont le Procureur Général vient d’être nommé par le Président fera-t-elle preuve d’indépendance ? Félix Tshisekedi aura-t-il cette fois ci le courage de lâcher ses proches collaborateurs impliqués dans ce scandale sans se faire lui-même éclabousser ? Wait and see.
Blaise Pascal Z. Migabo est chercheur en droit et défenseur des droits de l’homme en RD Congo.