L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte le rôle des seigneurs de la guerre, déguisés en hommes politiques et d’Etat, dans le verrouillage de l’espace public congolais et l’instrumentalisation de la justice, analyse l’impuissance et la complicité de l’opposition politique congolaise dans la processus d’implosion du Congo, rappelle comment la guerre de l’AFDL a cassé l’élan démocratique en RDC et explique pourquoi il est important que les congolais s’organisent autour d’un grand mouvement populaire unifiant.
Sur la justice et les seigneurs de la guerre au Congo
La justice au Congo est instrumentalisé par les seigneurs de la guerre, qui ont infiltré les institutions formelles du pays. Ces seigneurs de la guerre se servent de la justice pour pouvoir verrouiller l’espace public et museler tous les congolais qui voudraient résister contre leur système de prédation et de la mort qu’ils sont en train d’installer au Congo.
Beaucoup d’acteurs politiques congolais sont en train de faire une fausse lecture de notre histoire. Ils ne se sont pas encore faits à l’idée que ceux qu’ils appellent président, ministres, responsables des institutions congolaises sont pour la plupart des seigneurs de la guerre. Des seigneurs de la guerre qui ont eu du mal à se convertir en hommes politiques et en hommes d’Etat. Ainsi quand, face à ces gens là, vous tenez un discours sur le droit et sur la justice, ou vous devenez leurs complices ou vous ne comprenez pas comment les choses se passent en RDC.
Continuez à s’adresser à ces gens qu’on appelle Chef de l’Etat, ministres, comme s’ils s’étaient réellement convertis en hommes politiques et en hommes d’Etat, c’est faire fausse route.
Depuis la guerre de l’AFDL jusqu’à ce jour, plusieurs d’entre nous n’ont pas compris qu’il n’y a pas eu de mutation entre ce que ces gens là ont été quand ils sont arrivés au Congo, avec le Rwanda et l’Ouganda, et ce qu’ils sont aujourd’hui.
Il y a au Congo, l’expression d’un sous-système de violence, entretenu par les seigneurs de la guerre, qui ont infiltré les congolais. C’est ce malentendu là qu’il faut lever pour pouvoir reconstruire un autre discours, pouvant aider le Congo à sortir de sa tragédie.
Sur la nécessité d’un grand mouvement populaire congolais
Il n’y aura pas d’espace politique, au Congo, pour tous ceux et toutes celles qui auront des avis contraires à ceux des seigneurs de la guerre qui sévissent au sein des institutions congolaises.
Il y a une constance entre ce qui s’est passé vers les années 2006 et ce qui se passe aujourd’hui : Ces seigneurs de la guerre s’efforcent d’éviter toute parole discordante qui pourrait remettre en question, de manière fondamentale, leur façon de conduire la RDC à son implosion.
Ces messieurs ont déjà dit à voix haute et audible que la politique est pour eux une question de survie, le lieu où ils exercent leur instinct de conservation.
Certains acteurs politiques et de la société civile voudraient engager un débat politique et juridique avec des personnes qui n’y croient pas et qui ont instrumentalisé la justice.
Ce qu’il faut faire, c’est, entre autres, organiser un contre-pouvoir. C’est-à-dire un grand mouvement populaire unifiant toutes les organisations, toutes les forces politiques ou sociales qui croient qu’il est temps d’opérer une rupture entre l’avant et l’après AFDL. Ce mouvement ne pourra exister, de manière légitime et efficace, que s’il réussit à se doter de tous les moyens nécessaires à sa politique. Des moyens politiques, culturels, matériels, mais surtout sécuritaires. La grande difficulté aujourd’hui est que les services de sécurité, l’armée, la police sont infiltrés de l’intérieur par des soldats venus de l’extérieur.
Sur l’impuissance de l’opposition
L’impuissance de l’opposition est liée au fait que cette opposition s’est engagée dans un processus qu’elle ne maîtrise pas.
Ces institutions qu’on appelle présidence de la République, parlement, assemblée nationale, sénat, sont des institutions formelles, vides de contenus. Si ces institutions avaient un quelconque contenu, certaines questions d’actualité auraient pu y être traitées.
Si un député national, supposé avoir une immunité, peut-être jeté en prison, qu’adviendrait-il à un citoyen x ou y qui ne jouit d’aucune immunité au Congo ?
Cette impuissance que l’on sent aujourd’hui dans le camp de l’opposition révèle le vide qui sévit au niveau des institutions congolaises. Cette opposition devrait faire un pas à côté et rompre avec ces institutions vides de contenu.
Cette opposition existe mais pour faire quoi ? Elle a fait quoi jusqu’à aujourd’hui ? Qu’a-t-elle produit comme texte pouvant, par exemple, contrôler l’exécutif ? Qu’est-ce qu’elle fait pour aider le pays à aller de l’avant ?
A l’allure où vont les choses, il serait temps que cette fameuse opposition puisse s’interroger, évaluer sa marche et opter pour d’autres stratégies politiques.
Cette opposition qui accompagne les seigneurs de guerre dans un processus qu’elle ne maîtrise pas est plus ou moins complice. Cela d’autant plus qu’elle leur reconnaît certains titres.
Sur le processus démocratique au Congo
Dès les années 1980, les congolais s’étaient battus sérieusement pour créer des espaces de liberté. A force de travail et de sacrifices, Ils étaient parvenus à fragiliser l’aigle de Kawele. Ils avaient même réussi à le faire partir de Kinshasa, pour Gbadolite. Parce que Kinshasa devenait un lieu de débat très mouvementé et Mobutu se sentait mis à l’étroit (Même s’il y a des pressions de l’extérieur).
Ce processus a été cassé par la guerre de l’AFDL. N’était-ce pas parce que les maîtres du monde ont eu peur que les congolais, ayant compris ce qui passait réellement dans leur pays, n’arrivent à s’organiser eux-mêmes pour avoir un pays souverain au cœur de l’Afrique ?
Sur l’annulation de la marche contre la révision de la constitution, prévue le 13 septembre dernier
L’autorité c’est ce qui fait croître la vie. L’autorité ce n’est pas ce qui étouffe ou casse la vie. Il n’y a pas d’autorité au Congo. L’annulation est dû fait que ces gens ne sont pas prêts à jouer au jeu démocratique. Quand on parle du Congo comme une jeune démocratie, cela n’a pas de sens. Les institutions formelles sont là, mais elles souffrent d’un grave déficit démocratique.
Dans la fameuse constitution en débat, il n’est pas demandé qu’on puisse autoriser des manifestations, on demande, que ceux qui organisent des manifestations, avertissent.
Ces gens n’obéissent ni aux textes, ni aux règles. Ils s’inscrivent dans un processus d’enrichissement sans cause, d’implosion et de balkanisation du Congo.
Ce sont les congolais, assistant à cette manière de faire, qui devraient se dire : « Non, il ne sert à rien de pouvoir continuer à croire que ces gens vont se convertir demain en hommes d’Etat et en démocrates. »
Sur le danger de s’exprimer au Congo d’aujourd’hui
Des jeunes désoeuvrés ont récemment envahi la cour suprême de justice afin de demander aux juges de condamner à tout prix Bertrand Ewanga, le député de l’opposition (arrêté pour outrage au chef de l’Etat). Comment un pouvoir qui croit nous avancer en démocratie peut laisser sa justice entre les mains de jeunes désoeuvrés et opposer ces jeunes désoeuvrés à leurs compatriotes ?
Ces jeunes sont utilisés pour institutionnaliser le banditisme. Mais ces mêmes jeunes peuvent être tués quand ils s’en prennent à leurs créateurs ou sont appréhendés comme des kuluna menant la vie dure aux congolais.
Les pomba et les kuluna sont les créatures d’un sous-système ensauvagé du néolibéralisme, entretenu par les seigneurs de la guerre, qui aujourd’hui, encore, signent des accords secrets avec les pays voisins ayant envahi le Congo en 1996. On brutalise les congolais, on fait peur aux congolais pour qu’ils ne parlent pas de ces questions là. Et s’ils abordent ces questions là, ils sont traités de racistes et de xénophobes.
IL ne faut pas oublier qu’il y a aussi d’autres questions que les congolais ne parviennent pas à aborder par peur d’être victimisés. Il y a la question de l’eau, celle du pétrole qui est bradé, par exemple. Comme toutes ces questions sont gérées par les seigneurs de la guerre ayant infiltré les institutions formelles de la RDC, il devient dangereux aujourd’hui de pouvoir les aborder sans être jeté en prison, ou devenir la proie facile de Pomba.
Les seigneurs de la guerre sont en train d’abrutir nos jeunes et leur dire qu’il n’y a pas d’autre voie d’épanouissement humain que celle de la violence.
Il n’y a rien à attendre de l’assemblée nationale congolaise parce que ceux qui l’ont convoqué ont fait de la politique une question de survie.