Par Jean-Pierre Mbelu
Des mots en tant que « conquis » sont rarement des « acquis ». Cela d’autant plus que leur sens peut être corrompu. Ils sont « conquis » là où les luttants les ayant arrachés et/ou forgés ne baissent pas la garde. Dans le cas contraire, ils peuvent enfermer dans l’illusion d’être « acquis » alors que la réalité est tout à fait différente. Souvent, il est difficile d’échapper à ce piège.
Il y a des mots que la lutte arrache et/ou forge. La lutte sociale, quand elle remporte une victoire, fait de certains mots des « conquis ». « La sécurité sociale », « le congé payé », « la démocratie », « le congé maladie », « souveraineté », « indépendance », « la liberté », « la paix », « la fraternité », « l’égalité politique », « la légitimité », « le citoyen », etc. se comprennent difficilement sans les luttes qui les ont inscrits à l’agenda sociopolitique. En faire un usage « facile », ahistorique, peut être risqué. D’où l’importance de certains dictionnaires : dictionnaire philosophique, dictionnaire du vote, etc. D’où l’importance de certains livres d’histoire dans plusieurs domaines de la connaissance et du savoir.
Des mots en tant que « conquis » sont rarement des « acquis ». Cela d’autant plus que leur sens peut être corrompu. Ils sont « conquis » là où les luttants les ayant arrachés et/ou forgés ne baissent pas la garde. Dans le cas contraire, ils peuvent enfermer dans l’illusion d’être « acquis » alors que la réalité est tout à fait différente. Souvent, il est difficile d’échapper à ce piège.
Deux exemples. Pierre Péan, partant d’une bonne documentation, a disqualifié « une vieille démocratie » en la nommant « La République des mallettes » et « la principauté de non-droit » (2011). Plus tard, Natacha Polony et le Comité Orwell ont lu dans l’idéologie pratiquée par cette « vieille démocratie disqualifiée » un « soft totalitarisme » (2016).
Bien que les mots soient polysémiques, leur corruption est difficilement perceptible. L’habitude aidant. Détachés et/ou arrachés des contextes et des luttes les ayant rendus possibles, certains mots et certaines expressions perdent de leur performativité. Ils font croire qu’ils sont des »acquis ».
Au Congo-Kinshasa, on parle de « notre jeune démocratie », de « l’ Etat de droit », du « peuple d’abord », des « hommes d’Etat », etc. sans que les luttes pour rendre ces mots et expressions performatifs soient suivies et soutenues. « Les frappeurs » sont des « grands prêtres » et « des hommes d’Etat-raté » ! Kokamwa ! Là-bas, il semble que « la magie des mots » produit ses effets réels ! Bualu bua dikema !
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961