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Papa Wemba, le refus du débat et la conquête des cœurs et des esprits

Papa Wemba, le refus du débat et la conquête des cœurs et des esprits

Papa Wemba, le refus du débat et la conquête des cœurs et des esprits 1024 578 Ingeta

L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte les conséquences de l’abrutissement et la dégradation des populations congolaises, explique comment la théâtralisation cherche à créer un sauveur en la personne de Moïse Katumbi, et explique pourquoi beaucoup de congolais se refusent au débat d’idées et au droit d’inventaire de leurs « candidats ». Il revient également sur le « modèle Wemba » et la nécessaire éducation des jeunes à la citoyenneté.

Sur l’opposition congolaise

Sur quoi était fondée l’unité de la fameuse opposition ? Est-ce que cette opposition a réussi à cerner les enjeux majeurs face auquel le pays est placé aujourd’hui ?
Cette opposition ne parle presque pas de la question des terres spoliées, ni des agressions extérieures que le Congo subit depuis plus de 20 ans. On l’entend à peine, à quelques exceptions près, des viols et des massacres perpétrés en permanence dans le pays.
Le fait que le regroupement des partis politiques ne soit pas toujours fondé sur un projet de société ou un programme de gouvernement et que cela tourne autour des individus, vous comprenez que nous ne sommes pas sortis l’auberge. Si les élections ont lieu, elles se joueront sur le paradigme du culte de la personnalité.

Sur l’abrutissement et la dégradation des peuples

Quand un peuple est soumis à des paradigmes négatifs comme la traite négrière, comme la colonisation, comme l’oppression sous Mobutu, comme la répression et l’oppression sous Kabila, le peuple finit par s’abrutir et se dégrader. Ce sont des populations sur qui les paradigmes négatifs ont besoin pendant très longtemps. A quelques exceptions, elles traduisent ces abrutissements et dégradations par des choix non questionnés, non éclairés. Quand vous voyez comment les présos ont explosé chez nous, vous comprenez comment le culte de la personnalité a envahi le pays, a corrompu les cœurs et les esprits. C’est ainsi que le plébiscite d’un Moïse Katumbi suffit à convaincre nos populations que son passé ne peut pas être questionné, que son programme ou projet de société ne peut pas être questionné. Nous sommes là, en plein dedans.
Enfin, on est incapables d’identifier la tendance politique de ces partis d’opposition, ils sont ni de droite ni de gauche. Les regroupements de ces partis se font en fonction du culte de la personnalité et par ailleurs pour la plupart ce ne sont pas des partis à dimension nationale. Et cela trahit la faiblesse dans la construction des partis politiques congolais. Cette faiblesse peut dire aussi que les congolais devraient aller vers des grands rassemblements au lieu d’avoir le multipartisme inutile d’aujourd’hui.

Sur la renaissance de la classe politique congolaise

Si un peuple ne conjugue pas conscience citoyenne et connaissance des enjeux et des acteurs, il lui sera difficile de pouvoir faire des choix conscients et éclairés. Les politiques se servent des paradigmes négatifs comme le culte de la personnalité, l’abrutissement pour pouvoir mener leurs « politiques ».
Voilà pourquoi nous en appelons à la renaissance de la classe politique congolaise. Une renaissance qui serait réellement fondé sur des grands regroupements, un grand rassemblement populaire au sein duquel les élites ne joueraient pas nécessairement le rôle des hiérarques dominants mais où les élites joueraient le rôle du levain dans la pâte des masses populaires.
Les lieux de rencontre qui pourraient contribuer à la réparation de la cassure entre les masses populaires et les élites, les lieux d’éducation à la citoyenneté et aux droits (civiques, politiques, économiques, sociaux), ne sont pas créés, et cela à dessein.

Sur le droit d’inventaire et le refus du débat

Suffit-il d’avoir dirigé une équipe de football pour devenir président du Congo ? Est-ce que Moïse Katumbi peut accepter que, dans un débat contradictoire, son parcours puisse être évalué ?
Or, au Congo, il y a un refus du débat. De plus en plus, dès qu’un compatriote annonce ses couleurs en disant qu’il veut devenir président de la république, beaucoup d’autres compatriotes ne veulent pas que cette ambition puisse être questionnée.
Le paradigme est un ensemble d’idées dominantes ayant gagné les cœurs et les esprits et qui dictent le comportement à tenir. Comme nous vivons dans un pays où le culte de la personnalité ainsi que la dégradation des masses populaires ont gagné les cœurs et les esprits et dictent souvent notre comportement, cela conduit à la flatterie, à la vénalité et à tous ces bas instincts qui ne permettent plus à la conscience et à l’intelligence d’émerger. Ce paradigme, cet ensemble d’idées quand elles ne permettent pas à l’intelligence et à la conscience d’émerger, il devient un paradigme négatif. C’est ainsi que nous sommes dominés par des paradigmes négatifs qui nous interdisent consciemment ou inconsciemment de procéder au droit d’inventaire. Et nous semblons exploiter cela comme une protection tribale, mais cela peut aussi être du servilisme, du fanatisme, Quand certaines idées négatives ou positives dominent les cœurs et les esprits, elles atteignent les cœurs et les consciences et excluent tout débat contradictoire. C’est ainsi que le débat contradictoire vire vite au conflit pouvant entraîner la mort. Or le conflit devrait être permanent en politique et ne devrait pas conduire à la mort parce que c’est du choc des idées que surgit la lumière.

Sur la thérapeutique à engager

Il y a une thérapeutique à engager pour éduquer nos populations à la citoyenneté et à fonder d’abord cette citoyenneté sur la promotion des libertés fondamentales, des droits fondamentaux. Quand les populations se seront laissées gagner par ces autres paradigmes là, elles pourront être prêtes pour le débat. Elles pourront accepter que certains politiciens qu’elles plébiscitent soient soumis au devoir d’inventaire et que les idées qu’ils défendent puissent être débattues. Il ne suffit pas de dire, j’ai dirigé une province, une équipe de football, etc et maintenant, je veux devenir président. Il faut soumettre son passé, ses idées au débat de façon que les populations s’identifient à vous.

Sur le choix de Katumbi par les politiques congolais

La scène politique congolaise aujourd’hui est dominée par les membres du système de la kabilie, nous sommes tellement aveuglés que nous croyons qu’il y a une opposition digne de ce nom. Non. C’est une démultiplication, des membres ayant opéré au sein d’un même système mais un système fondé sur le marionnettisme, infiltré par les proxys du système néolibéral mondialiste.
Parlons du Katanga, est-ce qu’on fait aussi allusion au fait qu’il y a aujourd’hui des maladies incurables et dont on n’arrive pas à diagnostiquer la provenance, est-ce qu’on nous dit qu’au Katanga, il y a un Etat dans un Etat, comme Tenke Fungurume (Freeport McMoran). Ce que les amis qui soutiennent Katumbi ne disent pas, c’est que ce choix leur a été imposé de l’extérieur. Certains d’entre eux avec qui nous avons échangé l’avouent et disent qu’ils n’ont pas le choix parce qu’ils ont fait le choix de servir au sein d’un système qu’ils évitent de questionner et de remettre en question. C’est peut-être de leur droit, mais il ne serait pas citoyen d’interdire aux autres de questionner ce système là et d’en évaluer le bilan.

Sur Papa Wemba

Wemba a marqué la musique congolaise de son sceau. Mais cette personnalité doit sa popularité au fait qu’il a réussi à gagner les cœurs et les esprits. Parce qu’en matière d’hégémonie culturelle, quand les guerres et les esprits sont gagnés à une idée, un modèle, une mode, les mains, les pieds suivent. Est-ce qu’on peut remettre en question Wemba du point de vue de certaines de ses orientations ? Oui. Pourquoi n’a-t-on jamais organisé de deuil de cet acabit là quand nos compatriotes sont tués à l’Est du pays ? Quand on a enterré nos compatriotes à Maluku, pourquoi n’a-t-on pas décrété un deuil national ? Il ne faudrait pas que l’approche de Wemba comme paradigme puisse être réduit à l’un ou l’autre point de sa vie. Wemba a marqué les cœurs et les esprits comme musicien, et sur plusieurs générations. Il a réussi à devenir quelqu’un à qui plusieurs jeunes congolais s’identifient. C’est important pour un leader en musique, mais aussi en politique. La durée, la présence permanente dans les médias, le style, quand cela marque les esprits, plusieurs s’identifient à ce leader de la musique. Mais ce paradigme peut aussi servir positivement pour les leaders politiques. Dans le cas de Wemba, il y a quand eu un dévoiement dans le style vestimentaire, qui a conduit à l’exploitation des possibilités indues. En voulant s’identifier à Wemba, les jeunes ont, à un certain moment, été obligé de dépenser des sommes folles, pour s’habiller et reproduire leur idole. Comment en arrive-t-on à s’identifier à quelqu’un moralement, dans le bien ou dans le mal ?
Quand vous avez une jeunesse laissée à l’abandon, qui n’a d’autre recours que la musique, une jeunesse à laquelle l’éducation à la citoyenneté est privée, cette jeunesse s’identifie aux stars. Cela peut être dans le bien, ou dans le mal. Mais au Congo, nous n’avons pas encore de stars de la trempe de Bob Marley. Une bonne partie des artistes congolais n’a pas encore atteint cette dimension d’intégrer les thèmes émancipateurs dans la musique. Et cela est aussi lié à la façon dont la politique du pays est menée.

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