Par Jean-Pierre Mbelu
Depuis la guerre de l’AFDL et même avant, plusieurs compatriotes ont dressé de bons et intelligents constats au sujet des forces de la mort décidées à avoir la mainmise sur le Congo-Kinshasa en niant toute humanité à ses populations. Faut-il, à tout jamais, se focaliser sur ces dénonciations ou il serait plus temps de passer à autre chose, c’est-à-dire à appeler de tous ses vœux la naissance (ou la renaissance) d’une intelligentsia organique et structurante des forces de la vie, des masses critiques et capable d’opposer son intelligence à l’intelligence des autres ? Une intelligentsia travaillant à la résolution de la question de ‘’la direction’’ que les forces du statu quo occupant actuellement le Congo-Kinshasa esquivent ? Résoudre cette question permettra au Congo-Kinshasa d’exister et de créer un espace où l’intelligence congolaise peut être opposée à l’intelligence des autres dans un monde multipolaire.
Le monde est en train de devenir davantage multipolaire. Les intelligences s’y confrontent et les intelligentsias organiques et structurantes des peuples ayant décidé d’exister tirent leur épingle du jeu. La Russie donnée pour morte après la chute du mur de Berlin en 1989 se remet petit à petit debout et relit les penseurs slavophiles. La Chine considérée jusqu’il y a peu comme lieu de prédilection des multinationales promptes à la délocalisation est en train de devenir une grande puissance économique sur fond du confucianisme.
L’Amérique Latine progressiste refuse de demeurer éternellement ‘’l’arrière-cour’’ des Yankee. Elle aime le peuple américain et est jalouse de sa souveraineté, de son droit à l’auto-détermination, de sa justice sociale, de son intégration sociopolitico-économique. Elle a eu ses Simon Bolivar, ses Che Guevara, ses Fidel Castro, ses Raul Castro, ses Hugo Chavez, ses Rafael Correa, ses Evo Morales, ses Lula, etc.
Le Congo-Kinshasa et l’Afrique ont eu leurs ‘’Chavez’’ et l’Occident les a assassinés
Cette ex-arrière-cour Yankee a la spécificité de relire constamment son histoire et de s’affirmer, au travers de son intelligentsia, comme héritier de la révolution bolivarienne. Le dernier discours de Raul Castro[1]explique, comment, après plus de 500 ans de lutte, le peuple latino-américain est en train d’édifier souverainement son histoire en créant des espaces de solidarité, de coopération, de paix et de prospérité.
A la suite des Russes, des Chinois, des Iraniens, les Latinos-américains opposent leur intelligence à l’intelligence des autres. (L’Iran vient de fabriquer un drone intelligent.) Cela leur permet d’exister, d’être un peuple uni dans une lutte permanente d’émancipation politique.
Le Congo-Kinshasa et l’Afrique ont eu leurs ‘’Chavez’’ et l’Occident les a assassinés, comme dirait Michel Collon[2]. Il a eu son Lumumba. Avant Chavez, Lumumba a su nommer les adversaires farouches dans la lutte d’émancipation politique des peuples : le colonialisme, l’impérialisme et ‘’leurs petites mains’’.
Mais sa pensée ne semble pas avoir été portée par une intelligentsia organique capable d’animer les masses sur le moyen et long terme afin d’en faire les porteuses de la pensée critique contre le néocolonialisme et l’impérialisme. La pensée de Lumumba ne semble pas avoir structuré en profondeur les cœurs et les esprits congolais. Son assassinant a sonné le glas de l’âme de sa pensée. Plusieurs de ses héritiers sont tombés dans la superficialité. La preuve : le Congo-Kinshasa compte plus de 400 partis politiques et parmi ces partis, les plus en vus, sont coachés par les agences de sédition au service de l’impérialisme Yankee. Tous font la part belle au principe cher aux néocolonialistes et aux impérialistes : « Diviser pour régner. »
Le Congo-Kinshasa et l’Afrique ont eu leurs ‘’Chavez’’ et l’Occident les a assassinés, comme dirait Michel Collon[2]. Il a eu son Lumumba. Avant Chavez, Lumumba a su nommer les adversaires farouches dans la lutte d’émancipation politique des peuples : le colonialisme, l’impérialisme et ‘’leurs petites mains’’.
Ces partis ‘’sans intelligence’’ ne peuvent pas être structurants de la politique d’émancipation politique congolaise. Leur vacuité idéologique traduit leur enchaînement par ‘’les chiens de garde’’ de la pensée néocoloniale et impérialiste. Ils ne sont donc pas dans la posture d’opposer l’intelligence à l’intelligence comme dirait Tshionyi Tshinkanka Mudiba ; ils n’ont ni voyance, ni vision pour un Congo-Kinshasa pouvant redevenir un Etat normal dans un monde de plus en plus pluricentré.
En dehors des exemples susmentionnés, il y a la France de De Gaulle. Au cours de la deuxième guerre mondiale, comme elle avait un peu de voyance, elle a pu constituer un Conseil national de la Résistance fondée sur des objectifs précis : la création de la sécurité sociale, la nationalisation de l’énergie et des banques, la création du salaire minimum, la création de la semaine de 40 heures de travail, etc. Comme il avait de la voyance, ce Conseil a réellement assumé sa dimension nationale en réunissant en son sein les gaullistes, les communistes et les royalistes ayant accepté un programme de gouvernement à appliquer après la libération de l’occupation nazie.
L’urgence d’une intelligentsia organique et structurante
Voilà ce qui manque cruellement au Congo-Kinshasa aujourd’hui : une sorte de Conseil national. C’est-à-dire une organisation supra-partisane, porteuse d’un programme collectif de gouvernement « qui comporte à la fois un plan d’action immédiate contre l’oppresseur et les mesures destinées à instaurer, dès la libération du territoire, un ordre social plus juste. [3]»
Il y a urgence qu’une intelligentsia organique et structurante oeuvrant à partir de la diaspora congolaise et des coins et recoins du Congo-Kinshasa réussisse à opposer son intelligence à l’intelligence des autres pour qu’enfin ‘’le Congo-Kinshasa existe réellement’’ dans ce monde où la multipolarité devient chaque jour une évidence.
Il manque au Congo-Kinshasa une organisation unifiante pour la libération du territoire congolais et pour les moyens matériels, intellectuels, culturels, spirituels et environnementaux à mettre en œuvre pour l’émancipation politique collective. Un Chavez, un Correa, un Morales, un Poutine, un De Gaulle congolais doit naître ou être créé au cœur d’un leadership collectif pour mener à bien cette tâche supra-partisane d’unification des forces de la vie luttant pour renverser, avec les masses critiques, les rapports de force néocolonialistes et impérialistes.
Les forces impérialistes et néocolonialistes ont compris qu’elles doivent procéder par le viol de l’imaginaire, l’abrutissement, l’avilissement, l’abâtardissement pour réussir à condamner les cœurs et les esprits mangés par leur idéologie néolibérale à clamer sur les toits qu’il n’y a pas d’alternative à l’ultralibéralisme et aux mesures d’austérité dictées par les IFI. Et les partis politiques congolais qui estiment avoir pignons sur rue, à quelques exceptions près, ânonnent cette idéologie et ses corollaires dont la négation de l’humanité aux millions des compatriotes victimes du manque de souveraineté et de la justice sociale.
Il y a donc urgence qu’une intelligentsia organique et structurante oeuvrant à partir de la diaspora congolaise et des coins et recoins du Congo-Kinshasa réussisse à opposer son intelligence à l’intelligence des autres pour qu’enfin ‘’le Congo-Kinshasa existe réellement’’ dans ce monde où la multipolarité devient chaque jour une évidence. Il s’agit là d’une intelligence nourrie par les pères et les mères de l’indépendance congolaise (nominale) et en dialogue avec eux. D’une intelligence riche des apports de l’histoire du monde, en dialogue permanente avec elle et capable des remises en question portées par la culture plurinationale congolaise.
Mbelu Babanya Kabudi