Par Jean-Pierre Mbelu
Ils ont voulu nous réduire à notre plus simple expression en disant que nous étions des « BMW ». Nous avons cru inutilement qu’ils avaient raison.
Fous et furieux de voir notre pays conquis par »de petits pays voisins », nous avons décréter la fin de la distraction. Nous avons dit que désormais, nous n’allions plus danser au rythme de »Somo trop » ou de »Kalamba wa kapidia mfualanga wa kasungila bantu ». Ne serait-il pas venu le temps de faire le bilan ? Nous ne dansons pas collectivement au rythme de »Papa Na Roissy » et Koffi est invité au Rwanda. Nous le suivons là-bas. N’est-il pas venu le temps de faire le bilan et d’analyser en profondeur le contenu de certains des disques congolais.
Le chant est un lieu possible de « la révolution »
Ecouter « Kalamba wa kapidia mfualanga wa kasungila bantu » ou « Kanguluba » et danser ensemble, cela peut être porteur de plusieurs messages pour ceux qui comprennent la langue dans laquelle ces deux disques sont chantés. Le chant est un lieu possible de « la révolution ». Il arrive que le chant congolais résume toute une histoire d’un pan entier de notre peuple. En dehors du message profond livré par « Kanguluba », ce chant rappelle les racines tribales et ethniques communes des Katangais et des Balubas de deux Kasaï. Il est comme un appel à la fin des guerres fratricides instrumentalisées par »les spécialistes du diviser pour régner ».
Il nous semble que nous n’avons pas encore pris le temps d’étudier ce que nos chansons nous permettent de gagner quand nous dansons entre nous du point de vue de la santé et de l’approche de nous-mêmes et de l’autre.
Au même moment qu’il donne un message, il permet aux villageois sédentaires de dépenser une énergie énormes en dansant de tout leur être. Il est curieux qu’au moment où nous nous en prenons à nos lieux danse, nous soyons nombreux à fréquenter les salles de sport. Dans une certaine mesure, nous voulons plus enrichir »les alliés des petits pays voisins » en allant à leurs salles de sport que de créer nos propres lieux de dépense d’énergie indispensable à notre »bonne santé ».
Il nous semble que nous n’avons pas encore pris le temps d’étudier ce que nos chansons nous permettent de gagner quand nous dansons entre nous du point de vue de la santé et de l’approche de nous-mêmes et de l’autre. Nous défions quiconque de danser « Somo trop » pendant onze minute et d’envier un autre sport : tous les partis du corps sont impliqués dans cette danse. Les plus jeunes, les jeunes et les adultes peuvent la pratiquer indistinctement. Qui sait si c’est la danse qui nous permet de tenir malgré l’adversité ? Ces jeunes beaux et fiers qui, malgré tout, savent danser »le ndombolo » tout en étant prêts à crier »Ooooo Ya Tshitshi eee zongisa ye na Rwanda » entretiennent leur corps, le garde »sain » en dansant de tout leur être. Danser en souriant ou en riant, c’est entretenir la joie de vivre. Surtout quand cela ne détournent pas des luttes essentielles.
Comment voulons-nous que dans un pays sans sécurité sociale, sans Etat digne de ce nom, les jeunes se conservent sans danser ? Et que le chant soit le lieu où l’amour est décliné sous toutes ses coutures, cela ne devrait pas étonner outre-mesure. Quitte aux philosophes et aux moralistes de formuler leurs critiques constructives et de les soumettre aux organes idoines pour remettre les choses sur les rails.
Soyons de plus en plus critique face à « la narration officialisée » de notre être congolais
Décrier l’idolâtrie de l’ avoir et la chosification de la femme ne devrait pas nous conduire à oublier que la musique peut être à la fois capable de véhiculer des messages révolutionnaires, d’apprendre à dire l’amour (sans fausse honte) et de détendre. Les côtés abrutissants de notre musique ne devraient pas nous pousser à oublier que »la musique adoucit les mœurs ». L’hypocrisie serait d’interdire à nos artistes musiciens dans leur diversité de se produire en public et de chercher à danser au rythme de leur musique en privé.
Soyons de plus en plus critique face à »la narration officialisée » de notre être congolais. Nous sommes nous. Avec des qualités et des défauts comme tous les autres peuples du monde. Nous luttons comme les autres peuples du monde pour sortir du gouffre où l’ordre esclavagiste, colonial et néolibéral du monde nous a plongés.
Cette hypocrisie peut traduire le triomphe dans plusieurs de nos cœurs et de nos esprits de la pensée unique. Mais aussi de la prise trop au sérieux de fausses critiques formulées par ceux qui, souvent, apprennent nos mœurs , nos langues et nos danses à travers notre musique.
Tolamuka ! Arrêtons de croire que nous sommes moins que les autres peuples parce que nous buvons, nous dansons et que nous avons besoin d’argent et des femmes. Cette image caricaturale des Congolais(es) sert d’autres desseins : justifier la prédation organisée du pays et sa balkanisation en méprisant ses habitants. Désertons les salles de sport et allons danser »Somo trop » !
Nous avons plus besoin de connaître l’autre, son mode opératoire, sa capacité de nous dévaluer pour mieux nous exploiter ; nous avons plus besoin d’une division rationnelle de travail que du rejet de notre génie musical malgré les critiques formulés à son endroit. Nous sommes l’un des peuples fier d’une longue tradition musicale. Ses travers -souvent exagérés- ne devraient pas nous en rendre moins fiers. Nos critiques acerbes nous chassent de nos lieux de danse en plein air pour que nous allions dans leurs salles de sport pour dépouiller de notre argent et nous confiner dans un individualisme voulant que chacun de nous soit seul en train de se muscler face à une machine au lien de rejoindre »Kadioyo » sur »la route de kuetu kundela ».
Soyons de plus en plus critique face à »la narration officialisée » de notre être congolais. Nous sommes nous. Avec des qualités et des défauts comme tous les autres peuples du monde. Nous luttons comme les autres peuples du monde pour sortir du gouffre où l’ordre esclavagiste, colonial et néolibéral du monde nous a plongés. Avec la complicité de certains d’entre nous, bien sûr.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba