Par Jean-Pierre Mbelu.
Notre pays dispose des matières premières cruciales. Cela en fait la proie des seigneurs de la guerre et des multinationales. Le capitalisme économico-financier et le capitalo-parlementarisme qu’il génère entretiennent le système de prédation et la mort qu’il génère. Le capitalisme économico-financer étant globalisé, notre lutte doit, elle aussi, se globaliser : elle a besoin des alliés mondiaux sûrs. A l’Est et ailleurs dans notre pays, elle est trahie par l’ONU. Celle-ci est instrumentalisée par les ex-grandes puissances recourant à ses résolutions pour écraser les petits pays et les piller au nom de « la démocratie » et des « droits de l’homme ».
La guerre d’agression contre notre pays prend du temps. A l’Est, les compatriotes ne savent toujours pas à quel saint se vouer. Massacres, viols, vols, traitements dégradants deviennent monnaie courante. Les mascarades électorales se succèdent et se ressemblent : elles n’apportent aucune solution structurelle à la misère anthropologique de nos populations. La culture de la machette s’installe de plus en plus dans la capitale Congolaise. L’ensauvagement devient de plus en plus un principe de gestion du pays adopté par les marionnettes des multinationales et des partis politiques traditionnels de l’Occident. De gauche comme de droite. Le cirque politique joué par les adeptes du système néolibéral au Nord du monde a des incidences catastrophiques au Sud en général et dans notre pays en particulier.
Pour rappel, le Congo, notre beau et grand pays dispose de cinq ressources minérales cruciales : le coltan, les diamants, le cuivre, le cobalt et l’or. Le pétrole, le soleil et l’eau peuvent être ajoutés à ces cinq. Celui qui les possède en permanence dirige le monde. Telle est l’ambition du capitalisme global que servent les différents chefs de guerre tapis au Rwanda, en Ouganda, au Burundi, au Kenya, en Tanzanie, à Kinshasa, à Walungu, à Beni-Lubero, etc. A cause de ces matières premières cruciales, « depuis la chute de Mobutu, le Congo n’existe plus comme un Etat opérationnel unifié, surtout dans sa partie orientales, une multiplicité de territoires sous la coupe de chefs de guerre locaux qui défendent leur pré-carré (…). Chaque chef de guerre entretient des liens commerciaux avec une compagnie ou une firme étrangère qui exploite la plupart des richesses minières de la région. Cet arrangement convient aux deux parties : la firme obtient les droits miniers sans taxes ou autres tracasseries, le chef de guerre s’enrichit.[1] » Les chefs de guerre qui s’enrichissent à l’Est de notre pays ont leurs relais à Kinshasa, au « gouvernement central ». Ces relais entretiennent l’ensauvagement de notre pays en recourant au service des « Pomba » ou des « Kuluna ». Ils sont eux-mêmes des « Kuluna en cravate ».
Le capitalisme global tirant profit de cette situation d’ensauvagement généralisé de notre pays est transnational. Ceci est important à savoir. Ce capitalisme est à la fois russe, chinois, étasunien, européen, africain, etc. Lui trouver un système alternatif est indispensable. Comment devrions-nous procéder au niveau local, national, supranational et transnational ?
A tous ces niveaux, nous avons besoin d’une bonne maîtrise de son fonctionnement et de ses relais. Nous avons aussi besoin d’alliés opérant au niveau local, national, supranational et transnational à travers le monde entier.
Ayant beaucoup souffert des affres du capitalisme globalisé, nous avons tendance à nous replier sur nous-mêmes et à devenir sourds aux alliés possibles de notre sous-région et même du monde entier. Ayant été tournés en bourriques par certains ressortissants des pays voisins ayant profité de notre hospitalité, nous avons tendance à ériger la méfiance en principe de gestion de nos relations avec les tiers. Cette méfiance nous marque tellement que nous soupçonnons rapidement la présence des « collabos » au sein de notre propre communauté. A tort ou à raison. C’est vrai. Nous devons demeurer sages et prudents.
Même si certains contacts prouvent de plus en plus qu’à travers le monde entier, nous avons des alliés. Prenons quelques exemples. Comment nos compatriotes qui ont tourné le documentaire sur « le conflit au Congo. La vérité dévoilé » ont-ils pu faire pour arracher des professeurs d’université Américains les vérités qu’ils ont pu obtenir sur l’implication de leur pays dans la guerre d’agression que le nôtre connaît depuis 1996 ? Les sous que Thierry Michel pourrait récolter en projetant son documentaire sur l’assassinant de l’activiste des droits de l’homme Congolais Floribert Chebeya (à travers l’Europe et le Congo) suffisent-ils pour justifier son engagement de cinéaste dans « la jungle Congolais » ? Comment pourrons-nous expliquer la présentation de la situation catastrophique que traverse notre pays au Parlement Européen par l’ASBL Belge « Rencontre et Paix » le 31 janvier 2012 ? (Cette présentation avait été faite avec une grande expertise et beaucoup de maîtrise par les membres de Rencontre et Paix.) Nous pouvons multiplier ces exemples de prise de parole ou de parole partagée avec des citoyens et des citoyennes du monde épris de solidarité, de fraternité, d’égalité, de liberté et de respect de la dignité humaine par-delà les différences raciales, philosophiques, religieuses, culturelles ou idéologiques. Le constat est que nous, Congolais(es), ne nous battons pas seuls. Même si nous sommes les premiers concernés par cette lutte trop exigeante. Elle nous demandera que nous soyons toujours disposés à l’évaluer du point de vue des résultats obtenus, de l’organisation ayant permis ces résultats, des faiblesses n’ayant pas permis que nous puissions engranger un peu plus que ce que nous avons obtenu et de notre capacité de nous remettre en question pour repartir du bon pied aux côtés des alliés sûrs.
Nous aurions tout à gagner en ayant certains des dignes filles et fils de notre pays et ces alliés au sein des institutions dont ils peuvent infléchir, petit à petit, contre vents et marées, la politique que de lutter seuls dans la rue. Oui. La rue a fait et continue à faire ses preuves. Mais les transformations structurelles partent du cœur des institutions. Trouver des liens permanents entre la rue et les institutions demeure un défi que nous aurons sans cesse à relever. De l’entretien performant de ce lien pourrait dépendre le reste de notre lutte.
A ce point nommé, nous ne devrions pas beaucoup nous leurrer : nous ne sommes pas les seuls à crier dans la rue notre ras-le-bol contre le néolibéralisme et ses valets. A New York, à Londres, à Madrid, à Athènes, à Paris, à Bruxelles, à Athènes, etc. des indignés se lèvent. Il serait souhaitable que nous soyons attentifs au traitement qui leur est réservé et à leur manière de poser les questions qu’ils abordent. Cela pourrait nous rendre un peu plus réalistes. Car, les marionnettes de nos pays obéissent, souvent, aux ordres de leurs parrains qui, aujourd’hui, sont en train de mater les rues de chez eux sans ménagement.
Dans nos stratégies de lutte, le dépassement des clivages politiques, raciaux, philosophiques et idéologiques pourrait nous aider à rejoindre « nos alliés naturels » dans les rues de chez eux pour entrevoir ensemble notre commune capacité de recréer un autre vivre-ensemble mondial.
Que nous le voulions ou pas, le monde est en train de devenir polycentrique. L’une des démonstrations a été donnée par le dernier veto imposé par l’axe Russie-Chine au Conseil de sécurité sur la question syrienne.
Malheureusement, les règles définissant la gestion d’un monde polycentrique n’ont pas encore été clairement définies par l’ONU. (Chez nous, elle donne suffisamment de preuves de son instrumentalisation par les ex-grandes puissances.) Les ex-grandes puissances font comme si elles ne se rendaient pas compte que le monde devient de plus en plus polycentrique. Ils s’en prennent aux petits pays (comme le nôtre) qu’ils écrasent au nom de « la démocratie » et des « droits de l’homme » pour entretenir l’illusion d’être toujours les gendarmes du monde. Et certains de ces petits pays enfermés dans l’obscurantisme et l’ignorance les croient.
Dans ce contexte, les minorités organisées et agissantes ont le devoir civique de rester attentives au devenir polycentrique du monde pour en tirer toutes les conséquences possibles et imaginables avec les alliés attachés à un autre monde possible.
« Mwena bwebe wabuamba bikole, nanku bena panshi pakuambilabu », chantent les Bayuda du Congo. Cela veut dire que si nous ne plaidons pas nous-mêmes notre cause, nous n’aurons pas d’alliés. Dieu merci ! Nos différentes mobilisations et la rue sont en train d’aider nos possibles alliés à comprendre et à défendre notre cause commune : la lutte contre le capitalisme économico-financier et le capitalo-parlementarisme qu’il génère. Cette lutte est Congolaise. Mais elle est en train devenir mondiale. Le circus politicus[2] occidental va être, dans les mois et les années à venir, une circonstance aggravante. (A Bayonne, le candidat à la présidentielle en France, Nicolas Sarkozy, « le président des riches » a été accueilli par le jet d’œufs. Il a dû se replier dans un bar !) Nous, Congolais et Congolaises, ne boudons pas notre plaisir quand il nous faut rejoindre « nos alliés naturels » dans notre lutte commune.
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[1] S. ZIZEK, Vivre la fin des temps, Paris, Flammarion, 2011, p. 232.
[2] Lire à ce sujet deux livres suffisamment importants pour comprendre tant soit peu la question. Il s’agit de C. DELOIRE et C. DUBOIS, Circus politicus, Paris, Albin Michel 2012 et M. COLLON, Les 7 péchés d’Hugo Chavez, Bruxelles, Investig’Action, 2009.