L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu apporte un éclairage historique et critique sur la mémoire et l’héritage de Nelson Mandela, met en exergue l’hypocrisie des occidentaux autour de ce résistant africain et expose le rôle de Mandela et de l’Afrique du Sud dans la guerre menée contre le Congo. Dans cet entretien, M. Mbelu décrypte également les enjeux stratégiques de l’intervention française en Centrafrique, revient sur l’initiative public privé qui prive les congolais du droit de regard sur une partie de leur pays et explique pourquoi les élites capitalistes sont en train de détruire l’Afrique.
Sur la mémoire de Mandela
Sa mémoire évoque d’abord une lutte d’un résistant africain contre le pouvoir raciste de l’Apartheid. Elle évoque un combattant africain qui a su, contre vents et marées, persévérer dans la lutte et accepter un sacrifice suprême pour que son peuple puisse finalement bénéficier de la liberté. Mais la figure de Mandela évoque aussi l’internationalisme socialiste, assumé par le Cuba de Fidel Castro. Il y a aussi le fait qu’une fois libéré, Mandela ne s’est pas accroché au pouvoir.
Sur l’hypocrisie des Occidentaux autour de la personne de Mandela
Quand vous lisez les médias alternatifs sur la mort de Nelson Mandela, vous avez une approche différente de celle des médias dominants.
Les médias dominants n’ont pas réussi un seul instant à indiquer le fait qu’une fois libéré de prison, Mandela a effectué un voyage à Cuba où il a prononcé l’un de ses plus grands discours en 1991. Certains pays qui se sont rués en Afrique du Sud pour assister à l’hommage rendu à Mandela ont soutenu le pouvoir raciste de l’Afrique du Sud pendant que l’ANC de Mandela combattait ce pouvoir là. La France, par exemple, a soutenu l’Apartheid, et les USA, jusqu’en 2008, classifiaient Mandela parmi les terroristes. Et puis, tout ce beau monde n’a fait aucune allusion à Winnie Mandela. Celle qui, avec Nelson Mandela, a beaucoup lutté contre l’Apartheid.
Enfin, Mandela de son vivant n’a pas été aussi applaudi que cela… Aujourd’hui, nous avons encore des combattants de la liberté que les pays dits libres et de vieilles démocraties n’acceptent pas et ne soutiennent pas. Mais demain ils risquent aussi, comme avec Mandela, de venir s’incliner sur les cercueils de ces combattants de la liberté.
Sur l’héritage de Mandela vis-à-vis des noirs
Un ami m’a dit ceci : Si tu vois un noir applaudi par les médias dominants, essaie de te demander si ce noir là n’a pas trahi ses frères et sœurs de race.
Mandela est une figure historique importante pour l’Afrique. Il a réussi à demander à son peuple de ne pas se venger. Mais quand on essaie de voir ce que l’Afrique du Sud est devenu après Mandela, on se demande si la lutte qu’il a menée ne devrait pas être remise, sous certains aspects, en question. Avoir le pouvoir politique ne signifie rien si vous n’avez pas le pouvoir économique.
Pour certains africains, Mandela a été applaudi, parce qu’il a joué de façon à ce que ses compatriotes noirs aient le pouvoir politique et que le pouvoir économique reste entre les mains des blancs qui sont par ailleurs, très minoritaires. Les Sud-Africains n’ont pas eu ce qu’ils attendaient de la fin de l’Apartheid. Il y a encore beaucoup de misère en Afrique du Sud, et les noirs vivent encore, pour la plupart, dans des taudis et quartiers insalubres.
On peut aussi dire ceci, Mandela a fait sa part de travail. Il appartient à ses successeurs de faire la leur. Mais dans la part qu’il a assumé, il y a des compatriotes africains qui estiment que, sur certains points, il a trahi l’Afrique.
Sur Mandela et la RD Congo
Nelson Mandela a été l’appui de ce qu’on a appelé les nouveaux leaders de la renaissance africaine (Kagamé, Museveni), soutenus par le lobby américain au service de Bill Clinton. Quand Mandela a été impliqué dans les négociations sur l’avenir de la RDC, il n’a pas joué un rôle très positif. N’oubliez pas que les élections bidons de 2011 ont été aussi le fait de l’Afrique du Sud. Quand vous étudiez la provenance des armes utilisées par le Rwanda et l’Ouganda, pendant la guerre menée contre la RDC, beaucoup de ces armes venaient de l’Afrique du Sud et aujourd’hui, Jacob Zuma est un appui sérieux à Kabila.
Cette Afrique du Sud, adoubée par les médias, ne devrait pas intéresser, outre mesure, les Congolais. L’Afrique du Sud a toujours eu peur que le Congo devienne un géant gênant en Afrique. Alors, pour cette Afrique du Sud là, tous les coups sont permis. Si Zuma mettait ce qu’il considère comme étant les intérêts de l’Afrique du Sud au Congo au service de tous les Sud-Africains, cela se comprendrait. Mais c’est juste un petit clan autour de Jacob Zuma qui essaie de jouir de ce qu’ils tirent comme dividendes dans son engagement à côté de Joseph Kabila.
Sur l’intervention française en Centrafrique
Il n’y a pas de guerre civile en Centrafrique. La France vient sauvegarder les intérêts de ses multinationales dans le pays et prouve, par son acte, que la Françafrique n’est pas morte. La France prouve par ses interventions néocoloniales en Afrique, qu’elle est incapable de vivre sans l’Afrique. Ce sont la France et ses alliés qui créent ces situations, qui sont des évènements profonds, pour se présenter en pompiers, alors qu’ils sont des pyromanes. La République centrafricaine est déstabilisée depuis longtemps par la France qui prend ses diamants et son uranium.
Quand nous avons un imaginaire violé, nous croyons que nous sommes en train de chercher des boucs émissaires en accusant l’Occident. Nous ne devons pas avoir honte de dire cela. Ayons une vision globale de ce que cette élite capitaliste néolibérale est en train de faire chez nous.
Sur la destruction de l’Afrique
On va détruire la Libye de Kadhafi qui avait un grand projet pour l’Afrique, créer un fonds monétaire africain pour qu’il n’y ait de dépendance vis-à-vis de l’Occident. Pourquoi? Que fait la France en Syrie, qu’a fait la France en Libye, au Mali? Si nous n’avons pas une vue d’ensemble, nous aurons l’impression de croire que la France va en Centrafrique comme pompier, alors qu’elle est aussi pyromane, encore une fois.
Quelle est la côte de popularité de celui qui envoyé les militaires français en RCA ? Comment voulez-vous que quelqu’un qui est incapable de pouvoir répondre aux questions de son propre peuple puisse se présenter comme le défenseur d’un peuple africain ?
Notre imaginaire a été tellement violé que nous croyons que quand la France descend en Afrique, c’est pour le bonheur des Africains. Parce que dans notre imaginaire, la grande France est éternellement la patrie des droits de l’homme. Ce qui est faux.
Ils sont allés en RCA pour les 300 morts qu’ils ont comptabilisés. Pourquoi ils ne vont pas au Congo où il y a des millions de morts depuis 1996 ? Au Congo où ils ont mis une force de l’ONU qui comptabilise nos morts et les viols de nos mamans ?
Ces gens là qui agissent souvent en réseau sont en train de détruire l’Afrique et le monde. Ils connaissent des crises parce qu’ils ont financé des banques avec l’argent du contribuable, ils ont joué au casino et, aujourd’hui, c’est l’Afrique qui doit payer les pots cassés.
Nous ne comprenons pas que ces gens ne nous prennent pas au sérieux. On doit casser avec cette mentalité impérialiste et néocoloniale pour que l’Afrique s’assume. Si nous nous tuons, alors qu’on se tue. Pourquoi croient-ils qu’ils doivent être les bienfaiteurs et les philanthropes de l’Afrique alors qu’il n’en est pas question ?
Sur les violations des droits de l’homme au Congo
Le 26 novembre 2011, les forces de sécurité congolaises tirent à bout portant sur les populations. Ce sont les responsables de ces forces de sécurité qui ont été invités à l’Elysée pour le sommet Afrique France de décembre 2013. Et vous pensez que la France peut plaider la cause du peuple congolais ou des peuples africains.
Si nous ne nous réussissons pas à nous organiser, nous africains, pour rompre ou peser de tout notre poids dans ces organisations internationales qui ne prennent pas l’Afrique au sérieux, l’Afrique risque de disparaître.
Ceux qui ont tué sur nos populations travaillent en réseau avec certains de leurs amis du Nord. C’est ensemble qu’ils s’arrangent pour créer la peur et créer la mort.
Sur le système néolibéral et l’Afrique
Le système néolibéral ne prospère que là où il a l’austérité, la violence, la peur, la mort, là où il les identités culturelles ou sociales sont déstructurées. Tuer nos populations participe de la déstructuration des identités sociales et culturelles.
Le système néolibéral est la matrice organisationnelle de la mort, et au Nord, et au Sud. Quand on ne le sait pas, on va applaudir la France quand elle va en Centrafrique pendant que les petits français doivent vivre dans l’austérité.
Si nous étions dans un monde sérieux, nous ne serrions pas la main à ceux qui ont ordonné qu’on puisse tirer sur nos populations à bout portant.
On doit arrêter de se laisser berner par la rhétorique de ceux qui se prennent pour les bienfaiteurs de l’Afrique.
L’Afrique avec ses dignes fils et filles doit pouvoir apprendre à s’assumer, avec les hommes et femmes de bonne volonté du monde entier.
Sur la situation en RD Congo
IL y a quelque de dramatique qui est en train de se passer au Congo. En lisant le livre de Custer « Chasseurs de matières premières ». On se rend compte qu’il y a eu des lois qui ont été votées aux USA sur le Congo sans que les congolais soient partis prenantes du vote de ces lois. Imaginez-vous un seul instant que le parlement congolais puisse voter une loi sur les USA sans que les américains participent à ce vote ? C’est un signe qui montre que dans l’imaginaire de ceux qui ont fait voter ces lois là, le Congo est une province des USA. En lisant ce livre, vous vous rendez compte qu’il y a aussi une initiative Public-Privé qui octroie aux USA et un groupe de multinationales de pouvoir veiller au commerce pur des ressources naturelles à l’Est de notre pays et que ce partenariat entre ces multinationales, les américains et le gouvernement congolais a été officialisé via un communiqué en date d’octobre 2011. Et ce n’est pas anodin. Pendant que les congolais se battaient pour les élections, Kabila s’arrangeait pour signer des contrats et des initiatives avec ceux qui estiment que c’est de leur droit que de pouvoir contrôler les ressources naturelles du Congo.
Et si la chose se passe telle que Raf Custer l’évoque dans son livre, le Congo va perdre le droit de regard sur une partie de son pays (Ituri, les deux Kivus, Katanga).