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Missionnalisation et croyances spirituelles africaines

Missionnalisation et croyances spirituelles africaines

Missionnalisation et croyances spirituelles africaines 1400 933 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

En étudiant la christianisation de l’Afrique au cours de la période coloniale, il est très rare que le lien ne puisse pas être établi entre le missionnaire, le militaire et le marchand. En effet, ce trio mis au service du colonialisme a fonctionné sur fond d’un paradigme négatif de néantisation de l’humain africain en l’amputant de sa dimension culturalo-spirituelle.

Dans les lignes qui suivent, je vais pouvoir examiner le paradigme sur fond duquel ce trio a opéré et ce qu’il a produit comme faits et effets. Il s’agit de replacer la missionnalisation dans le contexte colonial en indiquant ses dérives et l’ambiguïté de sa réception. L’univers mental non-critique de ses héritiers africains sera remis en question avant d’indiquer une voie possible de la renaissance culturalo-culturelle de l’Afrique.

Colonisation , « table rase », terres et pouvoir

J’entends par dimension culturalo-spirituelle la manière spécifique et particulière dont l’humain africain vivait intensément sa relation à lui-même, aux autres et l’Autre (Dieu).

Héritière de la logique de la traite négrière, la colonisation, dans un effort systémique d’anéantissement de l’humain africain, a organisé  »une table rase » du monde culturel et spirituel africain ayant précédé la malencontre du missionnaire, du militaire et du marchand blanc. Elle a voulu désaxer, désorienter, déraciner, déboussoler l’humain africain.

Bien que ce désir d’aliénation de l’humain africain ait rencontré une grande résistance et suscité de l’indocilité dans le chef de plusieurs Africains, il n’a pas manqué de faire des victimes chez les virtuoses n’ayant pas réussi à tomber dans ses filets et à partager l’argument des coloniaux et des missionnaires.

Héritière de la logique de la traite négrière, la colonisation, dans un effort systémique d’anéantissement de l’humain africain, a organisé  »une table rase » du monde culturel et spirituel africain ayant précédé la malencontre du missionnaire, du militaire et du marchand blanc. Elle a voulu désaxer, désorienter, déraciner, déboussoler l’humain africain.

Je suis du même avis que Fabien Eboussi Boulaga lorsqu’il note qu’ « il est nécessaire d’essayer de comprendre l’argumentation religieuse qui a conduit certains Africains à répéter les jugements coloniaux et des missionnaires sur leur propre compte. Tout ce qui existe avant le christianisme ou sans lui, sans lui être directement ordonné comme l’histoire juive, est païen, c’est-à-dire oeuvre de l’homme pécheur corrompu et du diable. Il est l’erreur qui doit s’effacer devant la vérité (…). Entre le mal et le bien, le néant et l’être, il n’y a pas une transition lente et progressive. Il y a un saut. L’Africain allait du « néant à Dieu ». Car le Dieu ou les dieux qu’il connaissait auparavant n’étaient que des faux dieux (…). Telle est la doctrine qui autorisait à haïr son passé de péché, son présent de péché et d’égarement, de révérer les modes de vie rachetés et baptisés par le christianisme, de révérer la civilisation occidentale et chrétienne. [1] »

Cette néantisation du passé et du présent africain au cours de la malencontre avec l’autre (le missionnaire, le militaire et le marchand) a conduit plusieurs intellectuels africains à remettre en question l’équivalence entre la colonisation et la civilisation. Aimé Césaire, par exemple, la décrie et estime que la colonisation vue du point de vue de son principe est une oeuvre d’abrutissement dans la mesure où il sollicite les instincts destructeurs ( la violence, la haine, la peur, etc.)

« On me parle, écrit-il, de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. » Et il ajoute : « On me lance à la tête des faits, des statiques, des kilomètres de routes, de canaux, de chemin de fer. Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. (…) Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. [2] »

Dominée par le paradigme de néantisation de l’humain africain, la christianisation missionnaire fut identifiée par certains intellectuels africains à une astuce imaginée par le blanc pour cacher ses intentions réelles. Fabien Eboussi Boulaga s’en est rendu compte en étudiant la littérature africaine de la période coloniale. « La religion est une diversion. Elle détourne l’attention de ce dont les Blancs veulent s’emparer : les terres et le pouvoir.[3] » Et citant Jomo Kenyatta, il écrit ce qui suit ; « Le missionnaire est venu et a dit : Prions. Nous avons alors fermé les yeux. La prière terminée, nous avons répondu : Amen. Nous avions la bible dans les mains, mais nous étions dépouillés de nos terres. [4] » Evoquant le roman de S. Sambange intitulé On trial for my contry, il dit comment Cecil Rhodes a extorqué une concession au roi Lobengula en recourant à un document frauduleux lui concédant l’exploitation exclusive du sous-sol de Matabele.

Le christianisme : une aventure ambiguë

Il est un fait que le christianisme fut, pour plusieurs Africains, un phénomène subi. Cela n’exclut pas le fait qu’il y ait eu, en Afrique, des virtuoses ayant réussi à habiter cette religion afin d’en faire un usage positif ou négatif. Ayant compris qu’il peut être un discours performatif, ils ont cherché à en pénétrer le sens à partir de ce qu’il peut produire comme effets pour la transformation positive ou négative du vécu quotidien des Africains placés dans des conditions sociales, politiques, culturelles et économiques propres. Pour ces virtuoses, le christianisme missionnaire « n’est donc pas une simple idée ou une entité qui s’oppose à une autre entité inerte, qu’on nommerait l’Afrique ou l’ « Africanité ». La rencontre du christianisme et l’Afrique n’a pas une forme et une signification uniques. Elle est une aventure ambiguë dont le sens est toujours en suspens, parce qu’elle ne nous laisse pas indemnes, parce qu’elle nous transforme. » Positivement ou négativement. Tout comme elle peut susciter de l’indifférence et/ou du rejet.

Malheureusement, les héritiers de sa version néantisante de l’humain africain n’ont pas intégré dans leur pratique quotidienne les remises en question assumées par l’intelligentsia africaine critique. Ces héritiers se comptent par millions dans tous les milieux chrétiens et plus particulièrement dans les milieux « évangéliques ».

La rencontre du christianisme et l’Afrique n’a pas une forme et une signification uniques. Elle est une aventure ambiguë dont le sens est toujours en suspens, parce qu’elle ne nous laisse pas indemnes, parce qu’elle nous transforme. Positivement ou négativement. Tout comme elle peut susciter de l’indifférence et/ou du rejet. Malheureusement, les héritiers de sa version néantisante de l’humain africain n’ont pas intégré dans leur pratique quotidienne les remises en question assumées par l’intelligentsia africaine critique.

Assimilant les croyances culturalo-spirituelles africaines au paganisme, au péché et à la sorcellerie, ils sont les proies faciles des  »théologiens de l’évangile de la prospérité » . Ils croient facilement qu’avoir accès au visa, au mariage, à l’argent, etc. n’est qu’une question d’une foi en  »Dieu » et de prière. Ils évacuent de leur univers mental les conditions de possibilité matérielles et culturelles produisant leurs convictions religieuses.

Ils donnent raison à « une partie importante de l’intelligentsia (qui) n’hésite par ailleurs pas à considérer les Eglises chrétiennes d’Afrique comme un « relais de l’impérialisme mondial » et agent de l’aliénation qu’elle déplore chez les Africains.[5] » Ils ont du mal à comprendre que  »leurs croyances naïves » s’inscrivent dans le contexte de cet  »impérialisme mondial » et à la propagation de sa culture hégémonique dominante mettant en exergue le pouvoir de l’avoir au détriment de celui de l’être et du mépris de la vie réelle.

Ces églises sont, pour la plupart, le pendant africain des églises évangéliques et méthodistes américaines dont elles partagent les enjeux. Et ceux-ci « sont plus importants, car ils impliquent l’élimination définitive de la compréhension du monde et du progrès humain qu’ont apportés les Lumières, et leur remplacement par la doctrine fondamentaliste biblique, qui apporte un sentiment de certitude et de sécurité.[6] » Ils s’agit ici de l’enchaînement de la pensée et de la lutte menée contre l’esprit critique et responsabilisant « au nom de dieu ». D’un « dieu » caché sous les intérêts du 1 pourcent des oligarques d’argent ravisseurs des terres et usurpateurs du pouvoir aux dépens des peuples appauvris et enfermes dans des spiritualités imbécilisantes.

Conclusion : L’Afrique doit renaître

La malencontre de l’humain africain au travers de l’action collective menée main dans la main par le missionnaire, le militaire et le marchand devrait être perpétuellement questionnée à partir de son principe fondateur et de la relation qu’elle a entretenue avec le paradigme de néantisation. Et aussi de son lien aux terres et au pouvoir. Ce questionnement et le débat qu’il soulève sont essentiels à la renaissance de l’humain africain, à la sauvegarde de ses terres et de son émancipation politique.

La malencontre de l’humain africain au travers de l’action collective menée main dans la main par le missionnaire, le militaire et le marchand devrait être perpétuellement questionnée à partir de son principe fondateur et de la relation qu’elle a entretenue avec le paradigme de néantisation. Et aussi de son lien aux terres et au pouvoir.

Il a réellement besoin de se re-enraciner en re-créant un  »code authentique africain » fondé sur les valeurs de la maat que sont la justice, la vérité et la solidarité.

L’humain africain doit réapprendre à se relier à lui-même, aux autres (vivants ici-bas ou dans l’au-delà), à la terre de ses ancêtres, et à l’Autre en toute liberté, débarrassé de la peur, du tremblement, de l’agenouillement, du complexe d’infériorité et du larbinisme.

L’école et les collectifs citoyens peuvent devenir les lieux de cette re-civilisation et de cette renaissance enracinées dans les valeurs culturalo-spirituelles africaines.

L’humain africain vivant individuellement et collectivement dans un monde interdépendant devra être attentif au rendez-vous du donner et du recevoir ; aux possibilités et aux ouvertures que permettent l’interculturalité.

 

Jean-Pierre Mbelu
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[1] F.E. BOULAGA, A contretemps. L’enjeu de Dieu en Afrique, Paris, Karthala, 1991,p. 114.

[2] A. CESAIRE cité par J.-P. MBELU A quand le Congo ? Entretiens avec Esimba Ifonge, Paris, Congo Lobi Lelo, 2016, p. 255.

[3] F.E. BOULAGA, O.C., p.117

[4] Ibidem.

[5] A. MBEMBE, Afriques indociles. Chritianisme, pouvoir et Etat en société postcoloniale, Paris, Karthala, 1988, p. 35-36.

[6] S. GEORGE, La pensée enchaînée. Comment les droites laïque et religieuse se sont emparées de l’Amérique, Paris, Fayard, 2007, p. 232.

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