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Lumumba, les USA, l’inversion sémantique et l’amnésie collective

Lumumba, les USA, l’inversion sémantique et l’amnésie collective

Lumumba, les USA, l’inversion sémantique et l’amnésie collective 630 400 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

’’Nous ne sommes pas seuls. L’Afrique, l’Asie et les peuples libres et libérés de tous les coins du monde se trouveront toujours aux côtés de millions de congolais qui n’abandonneront la lutte que le jour où il n’y aura plus de colonisateurs et leurs mercenaires dans notre pays.’’ Patrice Lumumba
Il est quand même curieux que les USA aient mis plus de 50 ans avant d’avouer leur implication dans l’assassinat de Lumumba ! Comment, une grande puissance de son acabit ne s’avoue-t-elle pas immédiatement responsable de ses forfaits ? Pourquoi a– t- elle recouru à la dissimulation avant de reconnaître, en 2014 son implication dans le renversement et l’assassinat de Patrice Lumumba ? L’empire US compte sur l’amnésie historique et collective pour se ‘’métamorphoser’’ et se présenter aux héritiers des victimes de ses assassinats comme ‘’sapeur-pompier’’. Et la tactique semble marcher.

L’assassinat de Patrice-Emery Lumumba le 17 janvier 1961 ne semble pas encore avoir révélé tous ses secrets. Pourtant, il devrait, à notre humble avis, pousser le plus de compatriotes congolais et africains à questionner certains mots et expressions du droit international. Quand un pays accède à l’indépendance (réelle), il est supposé mener ses relations avec les autres pays ayant ratifié et signé la charte de l’ONU sur un minimum de principes. Citons en trois : les principes de l’égale souveraineté, de la réciprocité et de la non-ingérence (extérieure) dans les affaires intérieures.

Lumumba et la logique de l’empire

Relisant l’histoire du Congo-Kinshasa et de l’assassinat de Lumumba, Jacques Braibant estime que le premier ministre congolais s’est attiré les foudres de Washington pour avoir cherché à se tourner vers l’URSS. Il écrit : « (…) Les Etats-Unis ne pouvaient pas permettre de voir le Congo tomber dans l’orbite soviétique. Après l’appel fait par Lumumba, les techniciens soviétiques commencèrent à arriver dans la plus grande discrétion. S’ils arrivaient à le contrôler, ils utiliseraient le pays pour infiltrer et étendre leur influence sur les neufs pays, tous d’anciennes colonies qui l’entouraient, ce qui aurait constitué une base de pouvoir extraordinaire en Afrique. »[1]

Tuer Lumumba obéissait profondément à cette logique de l’empire ; à cette logique souterraine. Cela n’avait rien à voir avec ses orientations politiques ‘’communistes’’. D’autant plus que ‘’la guerre froide’’ elle-même n’avait pas comme ‘’but ultime’’ la fin du ‘’communisme’’. Non. Elle tenait à empêcher la coopération entre l’URSS et l’Allemagne afin qu’elles ne puissent pas constituer une force face à l’empire US en pleine expansion.

Cette citation nous permet, tant soit peu, de comprendre que ‘’la guerre froide’’ était fondée sur le principe du ‘’ contrôle’’ des autres Etats dits indépendants et de l’extension du pouvoir dans les pays tiers. ‘’La guerre froide’’ a participé de l’extension de l’empire aux dépens des principes du droit international édictés par l’ONU. Toutes les autres guerres tièdes et chaudes l’ayant suivi ont contribué à façonner un monde unipolaire sous sa domination.

Tuer Lumumba obéissait profondément à cette logique de l’empire ; à cette logique souterraine. Cela n’avait rien à voir avec ses orientations politiques ‘’communistes’’. D’autant plus que ‘’la guerre froide’’ elle-même n’avait pas comme ‘’but ultime’’ la fin du ‘’communisme’’. Non. Elle tenait à empêcher la coopération entre l’URSS et l’Allemagne afin qu’elles ne puissent pas constituer une force face à l’empire US en pleine expansion[2]..

Pour s’étendre, l’empire avait besoin de ‘’gouverneurs’’. ‘’Les empereurs’’ ne pouvaient pas être partout à la fois. Et tous ceux qui pouvaient, à tort ou à raison, recourir au droit international pour affirmer le droit des peuples à l’autodétermination, à l’égale souveraineté, à la réciprocité, étaient qualifiés de ‘’communistes’’. Ils devaient être massacrés ou assassinés.

L’inversion sémantique et la stratégie du chaos et du mensonge

L’empire US a procédé par inversion sémantique pour s’étendre. Pour cet empire et ses ‘’empereurs’’, « le terme communiste avait un sens bien précis dans les cercles du pouvoir, tout comme dans les médias et chez les commentateurs, d’ailleurs : dirigeants syndicaux, militants paysans, prêtres lisant les Evangiles à des paysans en organisant des groupes d’entraide fondés sur le message radical, soit quiconque prônait de mauvaises priorités (aux yeux de ces cercles de pouvoir). »[3]

Cette approche des ‘’communistes’’ servait ‘’le rationalisme économique’’ privilégiant les profits des entreprises américaines et leur rapatriement aux dépens de l’amélioration du niveau de vie des populations rurales, de l’écoute et des réponses données aux questions vitales posées par les populations locales, etc.

Néanmoins, il est quand même curieux que les USA aient mis plus de 50 ans avant d’avouer leur implication dans l’assassinat de Lumumba ! Comment, une grande puissance de son acabit ne s’avoue-t-elle pas immédiatement responsable de ses forfaits ? Pourquoi a– t- elle recouru à la dissimulation avant de reconnaître, en 2014 son implication dans le renversement et l’assassinat de Patrice Lumumba ? Une hypothèse peut être émise à ce sujet. L’empire US compte sur l’amnésie historique et collective pour se ‘’métamorphoser’’ et se présenter aux héritiers des victimes de ses assassinats comme ‘’sapeur-pompier’’. Et la tactique semble marcher.

Disons que cette ‘’inversion sémantique’’ sert abondamment ‘’la stratégie du chaos et du mensonge’’ américaine. Elle s’empare des médias dominants et justifie l’assassinat des ‘’leaders progressistes’’ et aide à créer des citoyens apathiques et désintéressés de la chose politique. Elle rend possible une dévaluation de la politique et sa réduction à ‘’l’art de mentir’’ (et de tuer) pour dominer.

Néanmoins, il est quand même curieux que les USA aient mis plus de 50 ans avant d’avouer leur implication dans l’assassinat de Lumumba ! Comment, une grande puissance de son acabit ne s’avoue-t-elle pas immédiatement responsable de ses forfaits ? Pourquoi a– t- elle recouru à la dissimulation avant de reconnaître, en 2014 son implication dans le renversement et l’assassinat de Patrice Lumumba ? Une hypothèse peut être émise à ce sujet.

L’empire US compte sur l’amnésie historique et collective pour se ‘’métamorphoser’’ et se présenter aux héritiers des victimes de ses assassinats comme ‘’sapeur-pompier’’. Et la tactique semble marcher.

La crise de la démocratie

Au Congo-Kinshasa, plusieurs lumumbistes, au nom de ‘’la politique qui serait dynamique’’ ont participé à la guerre raciste d’agression et de prédation orchestrée par l’empire US et son allié britannique par des proxys rwando-burundo-ougandais interposés avant de voir leur camarade Mzee Kabila assassiné un jour avant la date historique de l’assassinat de Lumumba, le 16 janvier (2001). Il n’y a pas un sans deux. Une vingtaine d’année après la début de cette guerre raciste, le même empire US et ses alliés, à travers ses agences et instruments de sédition, prétend prépare ‘’les politicards’’ congolais et quelques ONG de la société civile à ‘’l’alternance démocratique’’ !

Pris dans le piège de l’amnésie historique et collective, tétanisés par la peur induite par les assassinats de Lumumba et de Mzee Kabila, ces compatriotes ne peuvent pas comprendre que, depuis ses Pères fondateurs, l’empire US lutte contre la démocratie. Sa théorie du ‘’Grand Domaine’’ enseigne à ses cercles du pouvoir que l’augmentation du niveau de vie, la démocratie et les droits de l’homme sont des idées farfelues, illusoires.

Rappelons que l’un des membres de ces cercles du pouvoir, David Rockefeller a, en 1975, demandé à certaines têtes pensantes de la Trilatérale (Think Tank regroupant les élites japonaises, européennes et américaines), d’étudier la question de la tentative d’irruption des masses dans l’arène politique vers les années 1960. Michel Crozier (français), Samuel Huntington (américain) et Joji Watanuki (japonais) lui ont produit un texte intitulé ‘’La crise de la démocratie’’. « Selon eux, il y avait « crise de la démocratie » parce que dans les années 60, les citoyens des pays représentés dans la Trilatérale avaient tenté d’entrer dans l’arène publique. »

Pris dans le piège de l’amnésie historique et collective, tétanisés par la peur induite par les assassinats de Lumumba et de Mzee Kabila, ces compatriotes ne peuvent pas comprendre que, depuis ses Pères fondateurs, l’empire US lutte contre la démocratie. Sa théorie du ‘’Grand Domaine’’ enseigne à ses cercles du pouvoir que l’augmentation du niveau de vie, la démocratie et les droits de l’homme sont des idées farfelues, illusoires.

Ces trois ‘’experts du système’’ ont dû formuler des propositions pour endiguer cette crise. « Pour surmonter la crise, ils ont appelé à une plus grande modération de la démocratie. La vraie démocratie ne pouvait revenir qu’à condition que les citoyens redeviennent passifs et apathiques. »[4] L’école, l’université et l’église ayant manqué à leur ‘’devoir d’endoctrinement’’ devraient reprendre ‘’leur boulot’’ pour inculquer aux citoyens la passivité. Au besoin, les transformer en ‘’consommateurs compulsifs’’.

Un ex-homme politique français, Philippe de Villiers, a récemment, plus de quarante ans après, rencontré l’un des rédacteurs de ‘’la crise de la démocratie’’ et il note ceci : « Les hasards de la vie m’ont conduit à croiser la route du sociologue Michel Crozier. Il était l’auteur de la formule « la société bloquée ». Un jour, au café Procope, il me lut un extrait du rapport de 1975 de la Trilatérale intitulé : « The Crisis of democracy », qu’il avait coécrit avec l’Américain Samuel Huntington. Il s’alarmait des signes avant coureurs d’une pression trop forte des gouvernés sur les gouvernants. Et, pour la première fois, il anticipait l’émergence d’un nouvel âge raisonnable « postnational et postdémocratique ». Derrière ce rapport et dans l’esprit des concepteurs de la fusion des nations européennes, il y avait un objectif caché, un but ultime- pour l’heure dissimulé- c’était le dépassement des nations pour transformer le monde en un seul marché des consommateurs. »[5] L’Europe et le Traité Transatlantique en préparation sont à situer dans cet ordre d’idées.

Lumumba est un cas d’école

Plus de cinquante ans après la mort de Lumumba, l’empire US et ses alliés recourent à l’inversion sémantique, à la dissimulation, au secret, etc. pour atteindre des objectifs qu’ils se sont assignés. En Afrique et au Congo-Kinshasa, les compatriotes participant de ce jeu, consciemment ou inconsciemment, sont (faussement) dénommés ‘’les Young Leaders’’, ‘’les pro-démocratie’’ ; des expressions signifiant, en filigrane, des ‘’vassaux de l’ordre postnational et postdémocratique’’.

Ils donnent l’impression de ne pas comprendre que les guerres récurrentes menées contre l’Afrique ont pour ‘’but ultime’’, ‘’pendant longtemps dissimulé’’, le détricotage des frontières, la transformation de l’Afrique en un vaste marché contrôlé par ‘’les nouveaux cercles de pouvoir’’ et destiné à faire des profits rapidement rapatriés en Occident. L’empire US, ses alliés et leurs Think Tanks ont cette capacité de rester concentrés sur les mêmes principes sur le temps long jusqu’au moment où ils atteignent leurs objectifs ultimes.

S’ils peuvent se débarrasser de ‘’leurs nègres de service’’ en les rendant méprisables auprès de leurs peuples, ils peuvent, par souci de dissimulation, présenter certains leaders progressistes des pays dont ils envient les richesses et qu’ils considèrent comme étant des ‘’marchés clés’’ comme des ‘’démons’’, des ‘’dictateurs’’, des ‘’terroristes’’, ‘’des communistes’’ ou des ‘’populistes’’. L’usage de certains mots et de certaines expressions n’est pas toujours innocent. Lumumba est un cas d’école. Même si les grands esprits de sa trempe ne meurent jamais.

Leur rhétorique officielle peut exalter le côté dynamique de la politique : mais c’est le dynamisme tel qu’eux l’entendent ; après les études de leurs ‘’experts’’. Souvent, nous croyons en un usage univoque des mots et de certaines expressions, alors qu’il n’en est pas question. Même s’ils ne réussissent pas toujours, ils ont une grande capacité organisationnelle en conscience, ils archivent, ils persévèrent et récoltent leurs résultats sur le temps long.

Leurs mots, leurs expressions et leurs langues ne sont pas toujours innocents. Ils servent à fabriquer les idées, à créer des paradigmes utiles aux buts ultimes qu’ils se sont assignés. La guerre perpétuelle est souvent justifiée par un recours à ces mots, ces expressions et des idées qu’ils fabriquent. Souvent, ils payent ‘’leurs gouverneurs’’ en monnaie de singe. Etant convaincus qu’ils sont ‘’les traitres’’ de leurs peuples et de leurs nations, ils se débarrassent de ‘’leurs vassaux’’ et autres ‘’nègres de service’’ quand ils ont envie, après avoir entretenu l’amnésie historique et collective, de se présenter comme ‘’sapeurs-pompiers’’. ‘’Comprendre ce mode opératoire, c’est déjà agir’’.

S’ils peuvent se débarrasser de ‘’leurs nègres de service’’ en les rendant méprisables auprès de leurs peuples, ils peuvent, par souci de dissimulation, présenter certains leaders progressistes des pays dont ils envient les richesses et qu’ils considèrent comme étant des ‘’marchés clés’’ comme des ‘’démons’’, des ‘’dictateurs’’, des ‘’terroristes’’, ‘’des communistes’’ ou des ‘’populistes’’. L’usage de certains mots et de certaines expressions n’est pas toujours innocent. Lumumba est un cas d’école. Même si les grands esprits de sa trempe ne meurent jamais.

 

Mbelu Babanya Kabudi


[1] . BRAIBANT, Congo. Témoignage. L’histoire d’un gâchis et d’un pari stupide,  Bruxelles-Paris, Jourdan, 2014, p.225.
[3] N. CHOMSKY, Futurs proches. Liberté, indépendance et impérialisme au XXIe siècle, Paris, Lux, 2011, p.37.
[4] N. CHOMSKY, Deux heures de lucidité. Entretiens avec Denis Robert et Weronika Zarachowicz, Paris, Les arènes, 2001, p. 122.
[5] P. DE VILLIERS, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Paris, Albin Michel, 2015, p.158.

 

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