L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte ce qui est perçu comme un étant un blocage politique au Congo, insiste sur la nécessité pour les congolais, de constituer des collectifs citoyens pour prendre le leadership sur les questions de justice et de réconciliation, entre autres, analyse comment s’opère la corruption au Congo et explique pourquoi la guerre d’usure fragilise le Congo et les congolais.
Sur le blocage politique au Congo
Qu’est-ce qui est bloqué au Congo ? Est-ce le processus politique ou est-ce le processus électoral où il est tout simplement un engagement sur une fausse piste ? En relisant le rapport Kassem de 2002, on se rend compte que, ceux qui sont du côté de la majorité présidentielle comme ceux qui sont dans l’opposition, ont travaillé à un certain moment à pouvoir se constituer une économie de la guerre. Il y a de part et d’autres, des personnes impliquées dans les crimes de guerre, crimes économiques et crimes contre l’humanité, et le rapport indique que tous les accords qui ont été signés n’ont pas découragé les protagonistes de ces différents crimes.
Il y a du côté du Rwanda et du côté de l’Ouganda, la volonté ferme de ne pas quitter le Congo. Vous avez là des questions, que ceux qui sont supposés faire la politique au Congo ont purement simplement oublié. Ils ne veulent plus débattre de ces questions là, et pourtant, c’est de cela qu’il est question.
Sur la création d’un tribunal pour le Congo
Nous devons nous intéresser aux causes matérielles de ce que nous sommes en train de vivre. Quelles sont les causes matérielles de ce blocage ?
Pour le professeur Thierry Landu, le dialogue est une esquive qui pourrait protéger ces rapaces que nous retrouvons, et dans l’opposition, et dans la majorité présidentielle.
L’une des solutions à ce blocage qui a des causes matérielles et historiques évidentes, c’est de pouvoir d’abord instituer un tribunal pour le Congo. Qui peut aujourd’hui, dans cette classe politique, oser dire : Nous sommes face à un blocage, comme il y a dans nos deux camps, des criminels de guerre, des criminels économiques et des criminels contre l’humanité, le Congo ne peut pas s’en sortir sans qu’il y ait eu un tribunal qui juge les criminels et les mette en dehors du processus politique du pays. Vous ne pouvez pas aller aux élections avec des criminels de guerre, des criminels économiques et des criminels contre l’humanité. Pourquoi ? Parce que vous favorisez leur maintien aux postes étatiques alors que leur place en principe devrait être en prison.
C’est à ce niveau là que nous pouvons juger notre classe politique.
La mise en place, en bonne et due forme d’un tribunal pour le Congo, est essentielle parce que l’une des causes de ce qui est en train de se passer actuellement, c’est que beaucoup de ces criminels sont restés impunis depuis les années 1990 à ce jour.
Sur la nécessité de constituer des collectifs citoyens
Qui peut prendre l’initiative de ce tribunal ? Qu’il se forme un jour, un groupe de compatriotes, au niveau de collectifs de citoyens, qui dise, vu le blocage face auquel le pays est placé, nous nous souhaitons qu’un tribunal pour le Congo puisse être mis en marche.
Les citoyens congolais devraient se dire ceci. Avant d’être de la société civile ou de l’opposition, ils sont avant tout des citoyens congolais. C’est au nom de ce dénominateur commun qu’ils peuvent créer des collectifs qui travaillent, par exemple, sur la question de la justice au Congo. D’autres collectifs pourraient travailler sur la question de la vérité historique et de la réconciliation.
Depuis qu’il y a eu la guerre, certaines propositions ont été faites mais n’ont jamais été mises en pratique. Le pays traîne. Et vous n’allez pas rajouter à des questions non résolues, d’autres questions. Voilà pourquoi nous prônons de plus en plus, la constitution de collectifs citoyens qui puissent s’attaquer à la question de l’impunité.
Sur le front citoyen
Le front citoyen est déjà infiltré. Quand, après la rencontre de Dakar, certains membres du front citoyen se sont rendus à Kinshasa, ils sont allés rendre compte aux membres de la majorité présidentielle. Quand on suit les interviews de certains des membres du front citoyen, on comprend qu’ils ne parleront jamais de l‘alternative, ils parlent de l’alternance. Ils sont convaincus, consciemment ou inconsciemment, qu’ils appartiennent au même système et que, s’ils se bousculent trop, les secrets risquent d’être mis sur la place publique.
Sur l’option du peuple congolais
Le peuple congolais n’a pas dit son dernier mot et peut surprendre. Quand des populations comme les notres ont subi l’indignation, la guerre, la mort, les viols et les violences de toute sorte, elles peuvent un jour se réveiller et se dire « nous sommes déjà morts et nous n’avons pas peur de mourir ». Et ainsi se mettre debout et se prendre en charge. Cette hypothèse n’est pas à exclure si nos populations se rendent compte qu’il y a tergiversation, et de la majorité présidentielle et du côté du front citoyen.
Sur la corruption au Congo
Comme ces gens se sont constitués une économie de la guerre, en bons seigneurs de la guerre, ils ne peuvent pas rompre avec cette économie qui leur a permis de pouvoir accumuler cet argent et d’utiliser cet argent pour corrompre les plus faibles d’entre nous. Ils corrompent les députés et les sénateurs de leurs propres camps, et pour avoir les faveurs de ceux qu’ils voudraient instrumentaliser, ils les corrompent aussi. Aujourd’hui, travailler avec cette majorité qui corrompt est devenu normal. On fait comme si la corruption venant de la majorité présidentielle est tolérable parce qu’elle a le pouvoir-os, et ce sont les autres, ceux qui ont été corrompus, qui sont attaqués dans les médias.
Il y a une confiscation des biens de tout un peuple, par un groupe de mafieux, qui a paupérisé plusieurs d’entre nous. Et maintenant, plusieurs d’entre nous sont en train de saliver, de vouloir aller vite à la mangeoire. Et comment, on va la mangeoire ? On flatte ceux qui, en tant que seigneurs de la guerre, se sont emparés des biens du Congo. Voilà l’imbroglio dans lequel nous nous retrouvons aujourd’hui.
Sur la guerre d’usure
N’oublions pas que la guerre raciste de basse intensité, d’agression et de prédation, menée contre le Congo, est une guerre d’usure qui vise le contrôle du Congo et les profits que ce contrôle peuvent permettre aux entreprises multinationales. Cette guerre d’usure vise également la balkanisation du Congo afin que le Congo devienne un ensemble de petites entités tribales ou ethniques, capables de s’affronter régulièrement pour pouvoir laisser à ceux qui veulent contrôler le Congo et ses richesses de faire le plus de profits possibles.
Ce n’est pas monsieur ou madame tout le monde, qui peut résister à cette guerre d’usure qui dure de plus déjà deux décennies. Et nous ne pouvons pas jeter la pierre à ceux qui sont fatigués. Mais ceux qui résistent et peuvent résister, c’est ceux qui ont la maîtrise de l’histoire. Voilà pourquoi il faut, à tout moment, lire et relire l’histoire liée à cette guerre. Si nous perdons de vue les références historiques liées à cette guerre, nous allons nous comporter comme ces prédateurs qui n’attendent que de corrompre le plus possible les congolais pour être reconnus comme sapeurs pompiers alors que ce sont des pyromanes. Aller à la mangeoire a un prix et le prix à payer est de pouvoir reconnaître aux seigneurs de la guerre l’identité de politiciens, et donc enfoncer davantage le Congo dans cette guerre d’usure.
Sur le sursaut patriotique
Il n’y aura pas de sursaut de dernière minute, si l’histoire est mise entre parenthèses. Parce que la mise en parenthèse de l’histoire ne nous aidera pas à comprendre ce qui est en train de se passer. Si nous mettons l’histoire entre parenthèses, nous ne comprendrons pas que, à travers toutes ces manigances, c’est la guerre d’usure qui se poursuit à travers les seigneurs de la guerre interposée, qui comptent sur l’économie de guerre qu’ils ne cessent d’alimenter au quotidien. Voilà pourquoi il faut, tout en lançant des appels à nos populations, ne pas rompre avec une étude approfondie de l’histoire.
Sur Kabila
Comment voulez-vous demander à un seigneur de la guerre de ne pas faire la guerre ? S’il ne fait pas la guerre, vous allez l’arrêter comme criminel. Kabila fait partie du groupe de criminels de guerre, criminels économiques et criminels contre l’humanité. Il y a un effort permanent de Kabila de soumettre les congolais et d’en faire des gens apathiques, en faire des lécheurs de bottes. Il y en a qui le devancent. Et qui vont lécher les bottes d’un tueur à gages, d’un criminel contre l’humanité. C’est cela qui est grave. Et ceux qui estiment qu’il faut implorer les grâces d’un tueur pour qu’il ne tue plus sont à côté de la plaque. S’ils ne tuent plus, vous allez l’arrêter !
Nous souhaitons tous que le sang congolais ne coule plus. Mais qui fait couler le sang au Congo ? Pourquoi ne pas initier une autre démarche pour qu’il soit arrêté et mis hors d’Etat d’agir ?
Surtout que Kabila n’a aucune initiative, c’est une marionnette des puissances occidentales.
Sur la constitution congolaise
Est-ce qu’il est normal qu’un pays qui se respecte puisse avoir comme constitution un texte produit par autrui ? Quand, c’est un texte produit par autrui, autrui, c’est pourquoi il l’a produit. Mais faire le travail d’approfondissement de la connaissance de la constitution, comme le fait le professeur Mbata, pourrait conduire au déclassement de cette constitution pour produire une nouvelle constitution nous-même, en faisant participer des collectifs citoyens.
Nous devons pouvoir, à partir du travail que fait le professeur Mbata, aller au-delà de la simple analyse des textes. Nous devons pouvoir produire des textes qui nous engagent nous, en tant que citoyens. Pour cela, il faudrait d’abord résoudre, prioritairement, la question de la gouvernance.