Par Jean-Pierre Mbelu
Ecrire ne signifie pas toujours solliciter en tout et pour tout l’aval des lecteurs. C’est s’adonner à un débat d’idées au service d’un autre monde possible. Souvent, c’est partager des informations ou des convictions et indiquer les sources permettant leur ‘’fabrication’’. Et débattre, ça peut être synonyme d’opposer l’intelligence à l’intelligence dans le respect mutuel en évitant ‘’le massacre réciproque’’.Il peut se faire que ce minimum de règles ne soit pas respecté ou soit soumis à une mauvaise foi manifeste. Cela ne devrait pas conduire ‘’les empêcheurs de penser en rond’’ à croiser les bras. Ils connaissent, eux, la valeur du débat d’idées. Dans le débat sur la balkanisation et l’implosion du Congo-Kinshasa et même de l’Afrique, il semble que le renvoi au livre édité sous la direction de Mbaya Kankwenda n’a pas suffi. Nous allons recourir à certaines données historiques, non pas pour chercher à convaincre ‘’les sceptiques’’ ; mais surtout pour indiquer nos sources.
La sécession katangaise a eu lieu quelques jours après l’indépendance du Congo-Kinshasa du 30 juin 1960. Pourquoi ? « Ce n’était un secret pour personne, écrit Jules Chomé, que les blancs du Katanga formaient depuis des années des plans en vue de rendre leur province indépendante de la métropole et en tout du restant du Congo. [1]» Quelle était leur ‘’stratégie’’ ? « (…) Susciter un parti de noirs, se disant « Katangais authentiques » par opposition aux Baluba que l’administration et les grandes sociétés avaient importés comme main-d’œuvre au cours des décennies précédentes. [2]» Pourquoi cette stratégie a-t-elle était mise en place ? Les colons avaient qu’avant l’indépendance = après l’indépendance. Pour ce faire, ils devaient garder ‘’leur tiroir-caisse’’ katangais et condamner le reste du pays à l’inanition. D’ailleurs, ils ne vont pas s’arrêter au Katanga. Ils vont aussi provoquer la sécession du Sud-Kasaï pour qu’ils soient maîtres de son diamant avec Kalonji Mulopwe comme sous-fifre. Derrière toutes ces manœuvres, il y a le recours au principe du ‘’diviser pour régner’’. Les discours taxant Lumumba de ‘’communiste’’ auront aussi l’application de ce principe comme objectif.
« J’ai découvert, dira Lumumba, chez le chef de l’Etat (Kasavubu) samedi dernier Messieurs Ghel Van Bilsen, l’avocat croquez, bref tout un état-major installé là-bas pour élaborer tous ces plans qui tendent à la balkanisation du Congo ! [3]»
Avant que n’éclate la guerre de l’AFDL, la « somalisation » de l’Afrique centrale fut évoquée dans les universités et les médias anglo-saxons. « Avant la guerre de 1996, Stephen Metz avait communiqué au Pentagone un document de travail consacré au possible démantèlement du pays : certains spécialistes de l’Afrique comme Marine Ottaway abondaient dans le même sens, Zartmann et autres ne voyaient pas d’autre avenir. [4]»
A la même époque, en Grande-Bretagne, les médias abondent dans le même sens. « A lire la presse britannique, soudain frappée par le syndrome de Conrad et qui ne manquaient jamais d’évoquer le « cœur des ténèbres », on avait le sentiment que les Anglais, pas encore guéris de la conférence de Berlin, avaient remis en chantier le vieux rêve de Cecil Rhodes, relier Le Caire au Cap et créer une Zone d’influence passant par l’Ouganda, le Rwanda et l’est du Congo. [5]» Disons que la guerre de 1996 à 1997 pouvait aussi être interprétée « comme la mise en œuvre d’un ambitieux projet régional, sinon comme une tentative pour redessiner la carte de l’Afrique. [6]»
Le remodelage de la carte du monde par « les guerres humanitaires » ne peut pas du tout être considéré comme une vue d’esprit. Il est l’application du vieux principe impérialiste du « diviser pour régner’’ ». Il est mis au service du « chaos constructeur »du « Nouvel Ordre Mondial ».
Plus tard, en 2013, Raf Custers[7], à partir des témoignages recueillis auprès des experts onusiens témoignera de la tentative anglo-saxonne de passer de la protection de l’est du Congo-Kinshasa (Ituri, Sud et Nord-Kivu) au protectorat.
En dehors du Congo-Kinshasa, la Libye fut démantelée au cours de la guerre menée par l’OTAN contre Kadhafi. Le Soudan fut subdivisé en deux parties.
Il est possible qu’à la lecture de tous ces témoignages historiques, il y ait des compatriotes qui continuent à considérer le démantèlement de l’Afrique et du Congo-Kinshasa comme ‘’une vue d’esprit’’. C’est leur droit. Néanmoins, les informations dont nous disposons indiquent que les guerres menées à travers certains pays du monde accompagnent un projet de détricotage des Etats-nations et la naissance de l’Etat transcontinental[8] voulu en tant que tel par ‘’les usurpateurs’’ Ces guerres commencent par produire des ‘’Etats ratés’’ avant de créer des espaces disponibles pour l’Etat transnational. Et sur sa liste des Etats ratés produits par ‘’les guerres humanitaires’’ ou celles visant le changement de régime, Edward Herman[9] cite : l’Afghanistan, le Pakistan, la Somalie, l’Irak, la République Démocratique du Congo et la Libye. Disons donc que le remodelage de la carte du monde par ‘’les guerres humanitaires’’ ne peut pas du tout être considéré comme une vue d’esprit. Il est l’application du vieux principe impérialiste du ‘’diviser pour régner’’. Il est mis au service du ‘’chaos constructeur’’ du ‘’Nouvel Ordre Mondial’’.