Par Jean-Pierre Mbelu
Il est intéressant de lire l’intervention de Vital Kamerhe au 15ème anniversaire de la Monusco. A notre avis, elle peut susciter un débat d’idées sérieux sur la lecture et la relecture de l’histoire de l’Afrique des Grands Lacs de ces cinquante dernières décennies. Une lecture attentive de VK révèle qu’il dresse un bilan complètement négatif de la Monusco au Congo-Kinshasa. Mais les remarques conclusives et les recommandations qu’il formule nous semblent très peu courageuses. Pourquoi ? Est-ce sa stratégie de lutte politique ? Nous voulons questionner son texte pour en savoir un peu plus.
L’UNC, parti cher à Vital Kamerhe (VK), a une Cellule de communication. Celle-ci se charge de mettre à la disposition des Internautes les informations émanant du Congo-Kinshasa. Souvent, elle rend compte de différentes activités du parti et de son Président.
Le 05 décembre, elle a transmis aux Internautes, l’intervention de Vital Kamerhe au 15ème anniversaire de la Monusco. Nous voudrions, dans les lignes qui suivent, nous livrer à une lecture critique de cette intervention. Pour dire les choses autrement, nous voudrions en relever les points forts et les points faibles en vue d’inviter les minorités congolaises organisées et agissantes à la vigilance au sujet de la lecture et de la réécriture de l’histoire des pays des Grands Lacs Africains de ces cinq dernières décennies.
Vital Kamerhe et l’histoire de la mission de l’ONU
Dans son intervention, VK essaie de retracer l’histoire de la mission de l’ONU telle qu’elle s’est déroulé au Congo-Kinshasa après ‘’le génocide rwandais’’. Il fait allusion à plusieurs Résolutions prises par le Conseil de sécurité pour que la Monuc (devenue plus tard la Monusco) établisse la paix dans la sous-région des Grands Lacs africains. Il en vient à quelques remarques conclusives selon lesquelles cette organisation de l’ONU n’a pas réussi comme il se doit se mission. Il en veut pour preuve les millions de morts congolais.
Néanmoins, il estime que ces morts sont le produit de la limitation du mandat de la Monuc au Congo-Kinshasa tel qu’il est détaillé dans la Résolution 1279. La Monuc (ou Monusco) devait observer et non imposer la paix entre les belligérants.
Une autre preuve que la réussite de la Monusco n’a pas été totale au Congo-Kinshasa est sa constitution en Etat parallèle par rapport au gouvernement congolais là où devrait exister la concorde et la symbiose entre les deux. Cette situation favorise l’instrumentalisation (du peuple ?) du côté du gouvernement congolais en vue de discréditer la mission onusienne. Aux yeux de VK, cela constitue un handicap à la lutte concertée contre ‘’les forces du mal’’.
Pourquoi VK, malgré toute cette documentation disponible, reconduit-il ‘’la version officielle’’ de ‘’l’impérialisme intelligent’’ ayant orchestré cette guerre de prédation et de basse intensité ? Il dit avoir été ‘’témoin’’. Mais de quoi ? De la fabrication de cette ‘’version officielle’’ impuissantant la mission de l’ONU au Congo-Kinshasa ou de la stratégie de conquête de l’Afrique des Grands Lacs montée par l’Etat profond anglo-saxon ?
Le Président de l’UNC remarque que la Monusco n’a pas été capable d’appliquer la Résolution 1304 demandant le retrait sans condition de l’Ouganda et du Rwanda du Congo-Kinshasa et la démilitarisation de Kisangani après leur affrontement dans cette province. La Monusco n’a pas non plus appliqué la Résolution 2098 exigeant l’intervention de sa Brigade pour désarmer les groupes armés semant la mort et la terreur à l’Est du Congo-Kinshasa. Elle n’a pas contribué au début du dialogue prévu par la point 14 b 2098 accordant au Représentant Spécial du Secrétaire général de l’ONU, Martin Kobler, d’y jouer le rôle de bons offices. Bref, pour VK, « dans sa configuration actuelle, la MONUSCO est chargée de la stabilisation et de la consolidation de la paix.
Mais on ne voit pas de grands projets de développement à l’Est, tout comme on ne voit pas après l’échec de Umoja Wetu, Kimya I, Kimya II et Sokola, un plan réaliste et volontariste concocté avec les FARDC et l’implication de tous les autres acteurs nationaux concernés pour mettre fin aux FDLR, ADF-NALU, FNL et groupes armés nationaux. » Pour VK, la Monusco est ‘’complaisante’. Voici ce qu’il écrit : « Surle plan de droit de l’homme, on s’étonne qu’après un bilan macabre de 7 millions des morts et des viols massifs, il n’y ait pas des mandats lancés contre les auteurs identifiés dans les différents rapports des Experts aussi bien au Congo, au Rwanda et en Ouganda. Complaisance ! On ne voit pas le soutien de la MONUSCO à l’instauration des cours spéciales de justice à l’Est. »
Les recommandations de Vital Kamerhe
Elle n’offre, jusqu’à ce jour, aucune perspective de justice et de paix. » Que faut-il faire ? Aux yeux de VK, il y a « la nécessité de redéfinir et de renforcer le mandat de la mission des Nations Unies en RDC par une nouvelle Résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour confier à la MONUSCO la mission d’imposition de la paix. »
Qu’est-ce qui pousserait VK a croire qu’un mandat de plus, une Résolution de plus rendrait la Monusco plus performante ? Pourquoi VK ne se pose-t-il pas des questions sur la nature de l’impuissance de cette mission de l’ONU au Congo-Kinshasa ? Pourquoi quand VK se rend compte que la Monusco se comporte comme un Etat dans un Etat au Congo-Kinshasa, il n’en tire pas toutes les conséquences qu’il faut ? Pourquoi n’en vient-il pas à conclure que la Monusco est une mission de mise sous tutelle du Congo-Kinshasa, que c’est une force d’occupation de ce pays par ‘’la communauté occidentale’’ ?
Pour répondre à ce question, il faut relire calmement et posément l’intervention du Président de l’UNC au 15ème anniversaire de la Monusco. Elle met entre parenthèse le rôle de premier plan joué par les anglo-saxons dans la guerre de prédation et de basse intensité menée contre la région des Grands Lacs africains.
VK voudrait nous faire croire que c’est Mzee Kabila qui a pris la décision de débarrasser le Congo-Kinshasa de Mobutu. Ceci n’est pas vrai. Mzee a été utilisé comme marionnette avant son revirement. Il y a de plus en plus de documents qui attestent aujourd’hui que le coup d’Etat ourdi contre Milton Obote en Ouganda en 1986 et la guerre menée contre le Rwanda à partir des années 1990 avaient pour objectif final la mise en coupe réglée du Congo-Kinshasa pour faire main basse sur ses matières premières stratégiques. Mzee Kabila, Kaguta Museveni et Paul Kagame ont servi comme ‘’nègres de service’’ dans cette guerre anglo-saxonne.
Il est temps qu’un débat sérieux soit engagé dans l’Afrique des Grands Lacs sur ces questions liées à l’incapacitation de la mission de l’ONU, sa mise sous tutelle du Congo-Kinshasa et ‘’la lecture officielle’’ de la guerre de Bill Clinton dans cette partie de l’Afrique. Du choc des idées jaillit la lumière, dit-on. Sans un débat contradictoire sérieux, des pans entiers des populations africaines risquent d’être pris en otage par ‘’l’impérialisme intelligent’’ et les reconducteurs de ses thèses ‘’officielles’’ sur ‘’la démocratie’’ et ‘’la liberté’’.
Deux documents récents explicitant cette thèse sont consultables du Internet : le documentaire de la BBC intitulé Rwanda’s untold story et un long article de l’avocat de la défense du TPIR, Christopher Black, sur la criminalisation de la justice par les anglo-saxons. Plusieurs livres les ayant précédés et soutenant la même thèse sont aujourd’hui disponibles. Le plus récent est celui de Patrick Mbeko et Honoré Ngbanda intitulé ‘’Stratégie du chaos et du mensonge. Poker menteur en Afrique des Grands Lacs’’. Certains proches de Paul Kagame abondent dans le même sens. Leurs témoignages peuvent être suivis sur You Tube.
Le peu de courage de Vital Kamerhe
Pourquoi VK, malgré toute cette documentation disponible, reconduit-il ‘’la version officielle’’ de ‘’l’impérialisme intelligent’’ ayant orchestré cette guerre de prédation et de basse intensité ? Il dit avoir été ‘’témoin’’. Mais de quoi ? De la fabrication de cette ‘’version officielle’’ impuissantant la mission de l’ONU au Congo-Kinshasa ou de la stratégie de conquête de l’Afrique des Grands Lacs montée par l’Etat profond anglo-saxon ?
Il est temps qu’un débat sérieux soit engagé dans l’Afrique des Grands Lacs sur ces questions liées à l’incapacitation de la mission de l’ONU, sa mise sous tutelle du Congo-Kinshasa et ‘’la lecture officielle’’ de la guerre de Bill Clinton dans cette partie de l’Afrique. Du choc des idées jaillit la lumière, dit-on. Sans un débat contradictoire sérieux, des pans entiers des populations africaines risquent d’être pris en otage par ‘’l’impérialisme intelligent’’ et les reconducteurs de ses thèses ‘’officielles’’ sur ‘’la démocratie’’ et ‘’la liberté’’.
Pour revenir à la Monusco au Congo-Kinshasa, son impuissance peut être lue comme une incapacitation voulue et acceptée pour le besoin de la cause. Elle est au service de l’Etat profond anglo-saxon depuis la nuit des temps. Frantz Fanon avait vu vrai quand il écrivait ceci : « Il n’est pas vrai de dire que l’ONU échoue parce que les causes sont difficiles. En réalité, l’ONU est la carte juridique qu’utilisent les intérêts impérialistes quand la carte de la force brute échoue. Les partages, les commissions mixtes contrôlées, les mises sous tutelle sont des moyens légaux internationaux de torturer, de briser la volonté d’indépendance des peuples, de cultiver l’anarchie, le banditisme et la misère. »[1]
En lisant l’intervention de VK au 15ème anniversaire de la Monusco au Congo-Kinshasa, il y a lieu de dire qu’il en dresse un bilan complètement négatif. Mais il en tire une conclusion qui nous semble peu courageuse. Comment expliquer cela ? Est-ce sa stratégie de lutte politique ? Pourquoi ses références historiques sont-elles limitées aux années 1990 ? Pourquoi ne va-t-il pas jusqu’aux années 1960 pour replacer cette mission onusienne dans une histoire où ‘’le machin’’ a été instrumentalisé pour la neutralisation de la réelle indépendance du Congo-Kinshasa ? (à suivre)