Par Jean-Pierre Mbelu
Le Congo-Kinshasa est un pays multinational. C’est-à-dire qu’il est composé de plusieurs nations ayant fusionné pour répondre à la vision unitariste du pays. Cela ne devrait pas empêcher aux chercheurs placés face aux ‘’petits secrets de la politique congolaise’’ et des intentions malveillantes de JOKA ( »Joseph Kabila ») de questionner l’approche traditionnelle du pouvoir dans ces différentes nations afin de voir comment en tirer parti pour un meilleur avenir du pays. Il nous semble que ce que nous avons appris à l’école ne vaut pas ce que nous avons oublié. L’esclavage volontaire de plusieurs d’entre nous pourrait aussi être une question d’ignorance de nos théories politiques de la pratique du pouvoir.
Plusieurs d’entre nous sont courtisés par le discours des politicards congolais appelant à l’alternance au pouvoir. Rares sont ceux et celles qui questionnent cette alternance. Poser la question de savoir de quoi elle sera faite peut constituer ‘’un crime-de-lèse-changement’’ au Congo-Kinshasa. Six partis politiques congolais partisans de cette alternance peuvent travailler avec les agences de sédition made in USA dans un programme dénommé ‘’Tomikotisa’’ sans cela ne dérange grand monde.
Quand nous disions Mobutu doit partir…
L’essentiel pour plusieurs d’entre nous est que ‘’Kabila akende’’. Il n’est même plus permis de poser des questions du genre : « Avant ‘’Joseph Kabila’’, nous disions : ‘’Mobutu doit partir’’ ; mais comment expliquer que depuis que Mobutu est parti, le Congo-Kinshasa est en guerre permanente ? Qui a fabriqué cette guerre et pourquoi croyons-nous que les Congolais(es) travaillant avec les commanditaires de cette guerre, se faisant photographier au grand jour avec eux de cette guerre pourront être les initiateurs de l’alternance démocratique au Congo-Kinshasa ? » Toutes ces questions ne doivent pas être posées pendant que ‘’les amis des commanditaires de la guerre au Congo-Kinshasa’’ disent lutter aussi pour la liberté d’opinion et d’expression. Non. Il y a quelque chose qui ne va pas sérieusement au sein des élites politiques et intellectuelles congolaises. Tout en prétendant lutter contre la pensée unique, nous sommes plusieurs en être les partisans. C’est grave !
‘’Les maîtres du monde’’ ne semblent plus vouloir de JOKA. Et celui-ci le sait. Il se bat pour avoir d’autres partenaires. Sa présence à la rencontre entre la Chine et l’Afrique n’est pas un fait anodin. Néanmoins, ces ‘’parrains’’ lui cherchent une ‘’sortie honorable’’ après ‘’les nobles services rendus’’.
Revenons aux petits secrets de la politique congolaise. ‘’Les maîtres du monde’’ ne semblent plus vouloir de JOKA. Et celui-ci le sait. Il se bat pour avoir d’autres partenaires. Sa présence à la rencontre entre la Chine et l’Afrique n’est pas un fait anodin. Néanmoins, ces ‘’parrains’’ lui cherchent une ‘’sortie honorable’’ après ‘’les nobles services rendus’’. Cette recherche pourra prendre le temps que ça pourra prendre. Ce n’est pas le jour qu’ils ont lâché Mobutu que celui-ci est parti du pouvoir. Le même schéma est en marche. Et JOKA dit à celui qui voudrait l’entendre qu’il va payer cher son départ. Il avoue n’avoir rien à voir ni avec les Congolais(es) ni avec le parti qui prétend qu’il est son ‘’autorité morale’’, le PPRD.
Il parle ainsi parce qu’il sait qu’il est et restera un officier de l’APR/FPR. Il dépend de Paul Kagame et du soutien dont il bénéficie au sein de ce que les Congolais(es) appellent ‘’la communauté internationale’’. Dans ce cercle vicieux, ce sont les compatriotes de nos villages et cités qui sont pris en otage. Ils sont tués en permanence parce qu’ils doivent abandonner les terres de nos ancêtres pour les abandonner aux marchands de coltan, de cassitérite, d’or et de diamant. Ces compatriotes doivent abandonner nos terres à ceux et celles qui, les sachant fertiles, viennent y organiser leur agriculture et s’accaparer de leurs bois.
Il faudrait revisiter ‘’la sagesse africaine’’
Cette situation est connue de plusieurs compatriotes. Plusieurs ne font que crier pour la dénoncer. Il faudrait peut-être faire autrement. Il faudrait revisiter ‘’la sagesse africaine’’ et réorganiser nos villages et nos cités de façon que nous puissions, collectivement, entrer en politique. Organiser nos communautés de base en ‘’tupangu’’ interconnectés nous semble indispensable. Les ‘’tupangu’’ (en tshiluba) sont des lieux de la parole partagée et des décisions prises volontairement contre un adversaire. ‘’Les tupangu’’ sont liés au ‘’tutunga’’.
Un ‘’katunga’’ est le diminutif du ‘’ditunga’’ (en tshiluba et territoire, pays en français).
Il y a une relation de réciprocité entre les ‘’tutunga’’ et les ‘’tupangu’’. Un adage en tshiluba dit : « Badi ne kabu katunga, badi ne kabu kapangu. ». Traduisons : ceux qui ont leur petit pays, leur petit territoire, ont leur lieu de la parole partagée, leur lieu de la délibération où la parole partagée est transformé en une norme pour la conduite de ce territoire.)
L’essentiel est de permettre ‘’au peuple-tout-un-chacun’’ de participer à la construction du pays, de ‘’kotonga mboka’’ (en lingala) par la parole partagée à tous les niveaux de l’organisation sociétal et par les normes fabriquées ensemble.
Qui dit ‘’ditunga’’ (territoire, pays) dit ce qui est fabriqué, construit, à partir de la parole partagée et des normes qui en sont issues. ‘’Kutunga’’(en tshiluba), ‘’kotonga’’ (en lingala) signifie bâtir, construire. Et bâtir, construire est un art dont les règles s’apprennent et sont partagées dans ‘’les tupangu’’. Le Congo-Kinshasa de demain aurait intérêt à se reconstruire à partir de la base ; d’une base organisée en des petites entités où tout le monde connaît tout le monde et participe activement aux débats conduisant aux prises des décisions engageant le collectif et à la proposition des normes pouvant être ‘’constitutionnalisées’’ pour un meilleure vivre ensemble.
Des ‘’tupangu’’ et des ‘’tutunga’’ interconnectés pourraient avoir leurs ‘’propres représentants’’ au niveau national et même créé une ‘’assemblée propre à eux’’ afin que leur participation à l’édification de la nation ne se fasse pas par des personnes interposées.
L’essentiel ici n’est pas de reconnaître le statut des ‘’représentants de la base’’ comme les chefs traditionnels au niveau national. Non. C’est de permettre ‘’au peuple-tout-un-chacun’’ de participer à la construction du pays, de ‘’kotonga mboka’’ (en lingala) par la parole partagée à tous les niveaux de l’organisation sociétal et par les normes fabriquées ensemble. En d’autres termes, ‘’les tutunga’’ et ‘’les tupangu’’ interconnectés au niveau du pays (ditunga) pourraient participer à ‘’la palabre’’ participant de son édification.
Pour une insurrection culturelle
Pour parler de la palabre en tshiluba, on dit : ‘’Masambakanyi’’. Dans les temps pas très anciens, quand le chef du village convoquait ‘’la palabre’’ (les masambakanyi), en dehors de ses ‘’kapitas (conseillers ou politiciens professionnels), tous les autres membres du village pouvaient y participer sans discrimination. Pourquoi ? Parce qu’il avait été instruit et il savait que ‘’le pouvoir (le bukalenge) se mange avec ses sujets’’ et leur union. Il savait lui que ‘’bakalenge budi tshinsangasanga, bakulu bakuate, bakunyi bakuate’’ (le pouvoir est le lieu de l’union des aînés et des plus jeunes). La palabre, ‘’les masambakanyi’’ (rassemblement) témoignaient de cette approche du pouvoir. Il n’était pas géré par un seul individu avec ses proches. Non. Et il y avait même, en dehors de la palabre, des mécanismes de contre-pouvoir : la reine-mère, les griots et les autres sorciers assumaient ces rôle.
Le griot pouvait venir rappeler au chef que ‘’bukalenge mbuimpe wa budia ne bantu ; kubudia nkayebe wabuyanga’’ (le pouvoir est meilleur (ou est de meilleure qualité) quand il est partagé avec les bantu (sujets ??) ; le manger seul, c’est le gâcher.)
L’alternative politique au Congo-Kinshasa ne nous exige-t-il pas cette ‘insurrection culturelle’’ nous poussant à fouiner dans nos traditions de la gestion de pouvoir pour en tirer le meilleur parti ?
Où est passé cet héritage de la gestion du pouvoir ? Ce que nous avons appris à l’école et des théories néolibérales vaut-il ce que nous avons oublié ? Comment faire pour ressusciter celle mémoire collective et éviter d’être ‘’les nègres de service’’ pour les concepteurs du ‘’Consensus de Washington’’ ? Pourquoi, depuis 2006, nos politicards préfèrent-ils les élections présidentielles et législatives aux élections locales, à l’organisation des ‘’tutunga’’ et des ‘tupangu’’ ? L’alternative politique au Congo-Kinshasa ne nous exige-t-il pas cette ‘insurrection culturelle’’ nous poussant à fouiner dans nos traditions de la gestion de pouvoir pour en tirer le meilleur parti ?
L’avenir du Congo-Kinshasa sera riche des apports de sa multinationalité à l’édification d’une approche du pouvoir intégrant ‘’les tutunga’’, les ‘’tupangu’’ et ‘’les massambakanyi’’.
Les ‘’tutunga’’ interconnectés peuvent s’ouvrir à des espaces de sécurité et de protection de leurs terres en se concertant mutuellement. Plus ils seront proches les uns des autres, plus cela vaudra.
Mbelu Babanya Kabudi