Par Jean-Pierre Mbelu
Les lignes maîtresses de la conférence du 18 mars 2014 à Bruxelles.
Il y a une multitude de multinationales opérant dans notre pays depuis la guerre de l’AFDL jusqu’à ce jour. Plusieurs ont accompagné et financé cette guerre d’agression et de basse intensité. Il est important de savoir que ces oligopoles travaillent en réseau avec les institutions financières internationales, les banques, les gouvernements des pays puissants du monde et leurs Etats profonds. Elles font partie des lieux où sont prises les décisions politiques ayant des incidences sérieuses sur la vie sociale, économique, politique, environnementale et culturelle des peuples sans que ceux-ci aient souvent leur mot à dire. En d’autres mots, elles sont des ‘’centres privés de pouvoir’’ arraché aux peuples et au secteur public, obéissant au principe selon lequel les droits des entités organiques ont de la prépondérance sur ceux des citoyens. Ce transfert de pouvoir du peuple aux entreprises privées est ce qu’on nomme généralement ‘’le néolibéralisme’’[1].
Cette privatisation du secteur public porte atteinte aux institutions démocratiques et conduit à la violation de la souveraineté économique, culturelle et politique des pays. Elle favorise l’enrichissement des oligarques d’argent, creuse les inégalités, nuit sérieusement à la croissance et à l’emploi[2], engendre l’appauvrissement et la misère. Dans les pays puissants et néolibéraux, elle opère sur fond de ‘’la guerre de tous contre tous’’ aux dépens de la promotion de la vie sous toutes ses formes et pour le profit maximal.
Là où les Etats sont encore souverains –citons l’exemple de la Bolivie, le Venezuela ou de l’Equateur-, ce sont eux qui décident de la répartition des revenus issus de la production. En Bolivie, l’Etat prend 82% de ces revenus et laissent 18% aux entreprises privées. Il y est arrivé en effectuant le passage de l’Etat colonial à l’Etat national[3]. Il est redevenu maître de ses richesses et de sa terre. Il a, tout en restant ouvert aux investisseurs privés, nationalisé les entreprises publiques et mis les revenus récoltés au service de l’éducation, de la santé, de l’emploi citoyen et des infrastructures, malgré les coups qu’il reçoit de ceux qui ont toujours considéré l’Amérique Latine comme leur arrière-cour.
L’ouverture de la RDC au néolibéralisme en a fait un vaste marché fondé sur la dérèglementation, la privatisation (sauvage) et la libéralisation sur fond d’un Etat manqué. D’où la ruée de tous les vautours du monde pour la dépiécer en travaillant en réseau avec les nègres de service de tous bords opérant dans les différentes institutions agencifiées, avec l’ONU et les ONG internationales liées aux services secrets des pays dominants. (Ici il y a un problème sérieux d’inversion sémantique !)
L’exemple de l’APP (Alliance Public Privé) signée au mois de novembre 2011 est le plus proche de nous. Sa mise en œuvre risque de conduire à la véritable balkanisation économique de la RDC. Sous prétexte de l’aider à protéger l’exploitation de ses matières premières, les parties impliquées dans cette APP risquent d’arracher à la RDC son droit de regard sur certaines régions de sa partie orientale : le Sud et le Nord-Kivu, l’Ituri et le Katanga .
Que faire ? La grande question est celle de savoir comment redonner au secteur public son pouvoir classique de boussole pour les peuples. Que faire ? Savoir ce qui se passe et rester en permanence en attitude d’apprentissage. Mener quelques actions à court, moyen et long terme en ayant la souveraineté du Congo comme objectif majeur. (Car, savoir où l’on va permet d’avancer même de quelques millimètres dans ce monde où les grands changements souvent moléculaire.) En voici quelques-unes à titre indicatif. (Le gros du boulot devant être débattu au sein des organisations citoyennes et partis politiques).Travailler, à partir des lieux de la pensée, au passage de l’Etat manqué actuel à l’Etat national, souverain, garantissant l’égalité des chances, la justice sociale la protection des droits et libertés fondamentales. Il faut refonder la République en prenant appui sur les masses populaires transformées petit à petit en masses critiques et en mettant à plat ou en convertissant les forces du statu quo en contre-pouvoir citoyen efficace. Créer des organisations disciplinées, pluriethniques et multipartites, interconnectées et capables de mobiliser des ressources et des alliés dignes pour la lutte d’émancipation politique en RDC.
La RDC n’est pas le seul pays à disposer des terres riches en ressources minérales. D’où la nécessité d’étudier comment les peuples qui se tirent plus ou moins bien d’affaire procèdent.
Accorder une place de choix à l’éducation, à la formation et à l’information afin d’éveiller les consciences, de créer la volonté politique, de lutter contre l’ignorance, le manque d’information et la désinformation. Recréer une armée et une police patriotes.
Internationaliser la lutte congolaise tout en repensant régulièrement la politique, la résistance et le panafricanisme des peuples à partir d’une relecture assidue de Jomo Kenyatta, Amir Cabral, Fantz Fanon, Kwame Nkumah, Thomas Sankara et Patrice Lumumba[5], etc. (L’Afropolitanisme d’Achille Mbembe[6] mériterait aussi de l’attention.) Seuls les peuples ayant renoncé à la logique de l’impuissance et regroupés en de grands ensembles pluriels, géopolitiquement et géostratégiquement soudés et forts pourraient assurer un ‘’bien vivre-ensemble’’ en leur sein et résister tant soit peu face aux bourrasques du ‘’tout marché’’ promoteur du « nouveau désordre mondial ».
Jean-Pierre Mbelu