L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu expose l’importance des enjeux géostratégiques internationaux et des marchés non régulés régionaux dans les questions de la présidentielle et de la démocratie au Congo, décrypte le piège du projet de révision de la constitution, montre comment ce qui se passe dans la République démocratique du Congo est un reflet de la marche actuelle du monde dictée par les élites dominantes de la communauté internationale et nous invite à relever le défi qui consiste à faire passer le Congo de l’Etat (néo)colonial à l’Etat national.
Sur le parcours politique de Kabila
La donne n’est pas nouvelle. Il y a certaines questions que plusieurs d’entre nous n’arrivent plus à se poser : Comment Kabila est-il venu à la tête de notre pays ? Quelles procédures a-t-il utilisé ? Plusieurs d’entre nous ont oublié qu’après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, c’est Joseph Kabila qui l’a succédé de manière aventureuse. Mais qui l’a propulsé là ?
Ensuite, il y a eu la mascarade électorale de 2006. Charles Onana dans son livre « Europe, crimes et censure au Congo : Les documents qui accusent » montre qu’il y a eu des arrangements de la communauté dite internationale pour que ce monsieur puisse demeurer à la tête du Congo en 2006. Ces documents n’ont jamais été démentis jusqu’à ce jour.
Enfin, il y a eu les tricheries de la présidentielle de 2011.
Quand on analyse le parcours de Joseph Kabila, comment peut-on, en ayant un peu de jugeotte, croire que ce monsieur qui a eu ce parcours chaotique, qui a été maintenu à la tête de la RDC par des forces obscures, puisse un matin se lever et dire : « oui, maintenant que j’ai fait mes deux mandats, je peux laisser le pays à une autre personne ».
Sur la question de l’élection présidentielle et l’enjeu la stabilité régionale
Quand nous analysons la question de l’élection aujourd’hui, au Congo, voire en Afrique et même à travers le monde, il y a la question des équilibres régionaux. Dans notre cas, celle de la stabilité de l’Afrique des Grands Lacs. Ainsi, tant que les armées ougandaises et rwandaises seront utilisées par les maîtres du monde pour assurer ce qu’ils appellent la stabilité de la région qu’ils sont en train de convertir en un marché non régulé, les trois qui sont à la tête des pays des Grands lacs risquent d’être maintenus.
Une bonne partie de l’argent dont le Rwanda se sert pour pouvoir payer ses militaires provient du vol des matières premières au Congo, facilité par les chevaux de Troie installés au Congo.
Si Kabila passe la main à un Congolais digne de ce nom capable de réorganiser le pays de manière à éviter toute sortie frauduleuse des matières premières, le Rwanda et l’Ouganda qui bénéficient de cette prédation risquent d’avoir maille à partir et avec leurs populations et avec leurs armées.
Donc la question de cette stabilité dans la région demande que Kabila puisse être maintenu à la tête du Congo, ne serait-ce que comme figurant.
Sur la maîtrise de notre histoire
Cette majorité de mangeurs est une majorité du statu quo. C’est en maintenant la situation actuelle du Congo que ces gens qui font partie de la majorité présidentielle boivent, mangent et s’amusent. Ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays s’est déjà passé dans les années 1960. Dès qu’un groupe de congolais peut-être corrompu pour qu’il s’achète des motos, des voitures, des maisons et prenne une deuxième voire ou troisième femme, les questions essentielles liées à la souveraineté du pays n’importent peu.
Les acteurs qui opèrent chez nous sous couvert du réseau transnational de prédation ont la maîtrise de notre histoire, alors qu’un grand nombre d’entre nous ne l’a pas. Ces gens là étudient le Congolais et la Congolaise ils les connaissent.
Sur le mode opératoire de la communauté internationale
Aujourd’hui, même dans la fameuse communauté internationale, les élections ne représentent plus rien, parce que cette même communauté internationale est en train de lutter contre la participation des peuples aux décisions qui engagent leurs destinées. Elle s’est engagée dans la lutte contre la démocratie. L’Ukraine, la Libye, l’Irak et la Syrie montrent bien que ce qui importe pour l’élite dominante, c’est l’accès aux ressources, l’accès au pétrole, l’accès aux matières premières stratégiques. Le reste n’a aucune espèce d’importance. Mais nous nous rêvons encore. C’est bien d’avoir des idéaux et de tenir à l’idéal de la démocratie. Mais ayons les yeux suffisamment ouverts pour voir comment opère cette élite dominante de la fameuse communauté internationale.
Depuis les années 1980/1990, les décisions engageant l’avenir des peuples ont été confiées aux entités organiques que l’on appelle multinationales et ces dernières n’engagent pas de débats avec les peuples et ne répondent pas de l’avenir des peuples, comme une démocratie le ferait.
Nous sommes dans un système néolibéral qui conduit à créer des marchés non régulés à travers le monde. Et les questions de la démocratie et de la participation citoyenne passent après coup.
Vous les voyez en Arabie Saoudite, au Qatar, etc. Ils sont prêts à travailler avec des princes, tyrans, des dictateurs, etc tant qu’ils ont accès aux marchés. Voilà pourquoi ils ne peuvent pas facilement tolérer qu’il y ait un Chavez congolais, un Evo Morales congolais ou un Rafael Correa congolais. Parce que le Congo risquerait de ne pas être un marché qui leur profite.
Sur la possibilité de la révision constitutionnelle en RDC
Le piège est le suivant. On va nous faire croire que notre peuple désinformé, mis en marge de tous les débats politiques, a suffisamment de maturité pour pouvoir se prononcer sur une question politique ayant plusieurs ramifications comme celles du changement de certains articles de la constitution.
Après avoir appauvri le peuple, après l’avoir désinformé, après l’avoir laissé pendant très longtemps évolué dans l’ignorance et la propagande, on va lui dire voilà tu es souverain, tu peux maintenant te prononcer sur le mode de scrutin pour ton avenir. On prend nos populations pour des imbéciles.
On prend nos masses pour le peuple. Un peuple est celui qui a cultivé un sens assez aigu de ses droits et devoirs et qui est attaché à ses libertés fondamentales. Or quand nous voyons comment notre peuple est traîné dans la boue, comment il est entraîné dans des guerres à répétition, comment il est appauvri de manière anthropologique, on ne peut pas croire que nous avons affaire à des masses responsables qui sachent se prononcer en connaissance de cause lors d’un référendum engageant notre vivre ensemble. C’est cette confusion que les faucons de la majorité présidentielle sont en train d’entretenir.
Réduire les élections au niveau de l’assemblée nationale, c’est savoir d’abord que beaucoup de ces députés là, sont facilement achetables et pourront être achetés. Et celui qui sera capable, après détourné les deniers publics pendant des années, celui qui sera capable de les corrompre, se maintiendra au pouvoir le plus qu’il le pourra.
Ils ont fait l’expérience qu’un peuple bien mobilisé comme il l’a été en 2011 peut les surprendre. Alors, ils sont en train de chercher des tuyaux par lesquels passer pour qu’ils jouissent tant soit peu d’une certaine légitimité. Alors ils multiplient leurs stratégies de communication. Un jour, c’est Lambert Mende qui dit une chose. Un autre jour, c’est Claude Mashala qui dit le contraire. Et restent à l’écoute de la capacité de réaction de la population. Ils devraient à un certain moment avoir honte d’être le jouet de Kabila.
Sur le rôle de la CPI et des ONGs au Congo
La présence du procureur de la CPI Mme Bensouda à Kinshasa est une mise en scène. Quel rôle joue la CPI ? Combien d’assassins autres que les noirs africains se retrouvent à la CPI ?
La CPI semble être une boîte formée de toute pièce par cette fameuse communauté internationale pour pouvoir coffrer les africains qui pourraient essayer de sortir des chemins battus.
En donnant de l’importance à la CPI, nous sommes en train de donner une image de la justice dite internationale qui ne colle pas à nos réalités. Ces institutions de la justice internationale travaillent main dans la main avec ceux qui orchestrent les guerres secrètes contre l’Afrique.
Le Congo a plus de 200 ONG qui sont financées par les services secrets des pays qui détruisent le Congo. Les pays sérieux ont réduit le nombre de leurs ONGs, même des droits de l’homme, et certaines ONGs internationales soutenant des ONGs locales ont été chassées. Prenez l’exemple de la Russie, celui de la Bolivie, ou encore celui du Venezuela.
Ce que nous ne comprenons pas, c’est que ces ONGs fonctionnent avec l’argent des organisations non gouvernementales qui sont les pendants civils des services secrets des faiseurs de rois des pays qui font la guerre au Congo.
Sur le défi à relever par les Congolais
Nous analysons, nous critiquons. C’est déjà bien. Mais sommes-nous plusieurs à nous mettre ensemble pour fixer des objectifs à atteindre demain ou après-demain, tout en restant attentifs à ce qui se passe ?
Quelles sont nos alternatives ? Comment faisons-nous dans notre immense majorité pour atteindre nos objectifs de manière résolus ?
Voilà des questions qui semblent essentielles. Eux font leur boulot, ils ont le réseau transnational de prédation. Avons-nous aussi des réseaux alternatifs ? Pouvons-nous être capables aujourd’hui majoritairement de monter un contre-pouvoir qui fonctionne pour que dans deux, trois, quatre voire cinq ans, le Congo puisse passer de l’Etat colonial à l’Etat national. Voilà un défi ! Comment travailler aujourd’hui majoritairement en réseau interconnecté pour que le Congo passe de l’Etat (néo)colonial à l’Etat national afin que le pays jouisse de sa souveraineté, qu’il puisse avoir Etat qui gère ses terres de manière souveraine, qui organise son économie de manière souveraine et sa culture de manière souveraine. Qu’avons-nous comme alternative dans notre immense majorité ?
Sur le cas Diomi Ndongala
Diomi Ndongala est le symbole de tous ces congolais et congolaises qui essaient de lutter à visage découvert pour que le pays sorte des chemins battus.
Le mettre en prison, organiser un procès politique contre lui. C’est une façon de dire à ces congolais et ces congolaises, vous voyez le sort qu’il pourrait vous attendre si vous vous entêtez à résister contre l’ordre néocolonial au Congo.
Ne perdons pas de vue que Diomi résume en lui le sort réservé aux résistants congolais, le sort réservé aux patriotes congolais, le sort réservé à tous les dignes filles et fils du Congo qui oseraient dire de manière ostentatoire , « le Congo nous appartient ».
Intéressants, édifiants et informatifs sont vos articles que je lis régulièrement.
Par ailleurs, pourquoi l’absence des réactions très actives en faveur de la libération de M. Diomi Ndongala ni de la communauté internationale ni de l’opposition encore moins de la diaspora alors que M. Kamhere bénéficie facilement de soutien et défense de la communauté internationale? M. Tshisekedi est resté cloitré dans sa résidence pendant plus d’une année également sans véritable réaction pour la levée de ce siège.