Par Jean-Pierre Mbelu
Au Sud, le cas du Congo-Kinshasa, l’empire de la bêtise a atteint des proportions inimaginables. La faillite du système éducatif en particulier et du système culturel en général rend plusieurs compatriotes insensibles à leurs propres contradictions et autres absurdités. Plusieurs sont par exemple d’avis que le pays va très mal ; qu’il est en tout et pour tout détruit. Néanmoins, ils ne se gênent pas d’applaudir et de danser pour »les négriers des temps modernes » l’ayant détruit par action, par omission ou par procuration. Et des »professeurs d’université » sont sur le point de faire de l’un d’eux »un Docteur Honoris Causa ». Le comble de la bêtise !
La destruction du système éducatif congolais ne date pas d’hier. Elle a été aggravée par l’application des programmes d’ajustement structurel prônés par le FMI et la Banque mondiale vers les années 1986. Des compatriotes ayant échappé à ce système éducatif fortement néocolonialisé et qui ont eu »la chance » d’étudier ailleurs qu’au Congo-Kinshasa même n’ont échappé, à quelques exceptions près, à la narration néolibérale du monde enseignée dans plusieurs écoles et universités par par »les experts » en »théologie universelle capitaliste ».
L’imposition de la culture capitaliste et néolibérale
Ailleurs, comme au Congo-Kinshasa, l’imposition de la culture capitaliste (d’abord) et néolibérale (ensuite) a utilisé l’école, l’université et l’église comme canaux de prédilection. (A l’église, l’évangile de la prospérité individuelle interprétée comme »une bénédiction du ciel » en est le signe.) Cette culture hégémonique a fini par mangé les cœurs et les esprits dans plusieurs parties du monde au point de »légitimer » la guerre de tous contre tous et de la banaliser.
Sa manducation des cœurs et des esprits fut consécutive, entre autres, à la lutte contre l’incursion des citoyens et des citoyennes dans l’arène politique (au Nord) dans les années 1960. Mais aussi au projet d’unification des pays du Sud et de l’Est dans un courant d’émancipation politique dénommé »La Tricontinentale » (Lire S. BOUAMAMA, La Tricontinentale. Les peuples du tiers-monde à l’assaut du ciel, Paris, Syllepse, 2016).
Ailleurs, comme au Congo-Kinshasa, l’imposition de la culture capitaliste (d’abord) et néolibérale (ensuite) a utilisé l’école, l’université et l’église comme canaux de prédilection. Cette culture hégémonique a fini par mangé les cœurs et les esprits dans plusieurs parties du monde au point de « légitimer » la guerre de tous contre tous et de la banaliser.
Au Nord, lutter contre la politisation des citoyennes et des citoyens pour les rendre apathiques fut l’initiative des »minorités organisées » au sein de la Trilatérale (USA, Europe et Japon) (Lire N. CHOMSKY, Deux heures de lucidité. Entretiens avec Denis Robert et Weronika Zarachowicz, Paris, les arènes, 2001, et P. DE VILLIERS, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Paris, Albin Michel, 2015)
Cependant, au Nord, les critiques de la pensée unique et/ou unidimensionnelle ont, tant bien que mal, créé »des écoles ». La théorie critique de l’Ecole de Francfort peut être citée comme exemple. Ses lecteurs et ses critiques s’y intéressent encore.( Lire par exemple E. RENAULT et Y. SINTOMER (sous la direction de), Où en est la théorie critique ?, Paris, La découverte, 2003) Des universitaires refusant de penser en rond ont écrit des ouvrages remarquables remettant en question »la sorcellerie capitaliste ». Je cite en passant C. ARNSPERGER, (Critique de l’existence capitaliste. Pour une éthique existentielle de l’économie, Paris, Cerf, 2005), Jacques GENEREUX, La dissociété, Paris, Seuil, 2006 et La déconomie. Quand l’empire de la bêtise surpasse celui de l’argent, Paris, Seuil, 2016) et PH. PIGNARRE et I. STENGERS (La sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoûtement, Paris, La découverte, 2005)
Critiques de la pensée dominante
Ces avancées critiques de la pensée dominante capitalo-néolibérale peinent à gagner les cœurs et les esprits. Au Nord comme au Sud. Au Sud un peu plus qu’au Nord. Les espaces de liberté acquis des luttes passées permettent encore, au Nord, des pensées risquées. Malgré les résistances. Pourquoi ? L’une des réponses est donnée par le sous-titre de »La déconomie » : »L’empire de la bêtise est en train de surpasser celui de l’argent » dans »un monde sans esprit » ayant relégué »la culture recivilisatrice » au second plan au nom du »pragmatisme ».
Au Congo-Kinshasa « l’empire de la bêtise est en train de surpasser celui de l’argent ». Des hommes supposés mûrs, sans revolver sur la trempe, « profs d’université » sont sur le point de dire à nos enfants et à nos jeunes que tuer, violer, voler, exterminer des paisibles citoyen(ne)s, etc. sont des actes de bravoure pouvant être récompensés par « un titre académique » !
Au Sud, le cas du Congo-Kinshasa peut être cité en exemple. L’empire de la bêtise y a atteint des proportions inimaginables. La faillite du système éducatif en particulier et du système culturel en général rend plusieurs compatriotes insensibles à leurs propres contradictions et autres absurdités.
Plusieurs sont par exemple d’avis que le pays va très mal ; qu’il est en tout et pour tout détruit. Néanmoins, ils ne se gênent pas d’applaudir et de danser pour »les négriers des temps modernes » l’ayant détruit par action, par omission ou par procuration. Et des »professeurs d’université » sont sur le point de faire de l’un d’eux »un Docteur Honoris Causa ». Le comble de la bêtise !
Au Nord, en Belgique, cette tentative a échoué lorsque des ex-Docteurs Honoris Causa ont menacé de renoncer à ce titre si jamais l’Académie militaire osait faire de l’un des »génocidaires des congolais » »leur collègue ». Ils ont eu gain de cause.
Au Congo-Kinshasa »l’empire de la bêtise est en train de surpasser celui de l’argent ». Des hommes supposés mûrs, sans revolver sur la trempe, »profs d’université » sont sur le point de dire à nos enfants et à nos jeunes que tuer, violer, voler, exterminer des paisibles citoyen(ne)s, etc. sont des actes de bravoure pouvant être récompensés par »un titre académique » ! Et ce »négrier des temps modernes » est devenu une référence pour certains prétendants au poste de la »présidence-mercenariat ». Le comble de la bêtise et de l’absurdité ! Tout en sachant qu’il a été imposé à Thabo Mbeki l’imposer aux Congolais(es) (dixit Mubake) sans que ses études aient été prises en compte, des compatriotes sont de plus en plus convaincus que les études ne servent plus à rien au Congo-Kinshasa. Et n’importe qui peut diriger ce pays.
Il faut être pragmatique?
Ignorant et/ou négligeant la force impuissantante de l’hégémonie culturelle susmentionnée, celle de la bêtise et de la complaisance de plusieurs diplômés congolais ayant étudié sur place ou ailleurs, ces compatriotes soutiennent fanatiquement que »leurs gourous » peuvent »gouverner le Congo-Kinshasa » sans des compétences académiques et universitaires.
Je n’exagère rien. Les diplômes sans un minimum d’éthique humaniste et humanisante, sans sagesse, sans un minimum de »Ubuntu » ne signifient rien. Il y a de bons autodidactes chez tous les peuples. Néanmoins, se mettre à négliger la connaissance, le savoir, les compétences académiques et universitaires dans un monde devenu complexe comme le nôtre me semble être une grave erreur.
Les diplômes sans un minimum d’éthique humaniste et humanisante, sans sagesse, sans un minimum de « Ubuntu » ne signifient rien. Il y a de bons autodidactes chez tous les peuples. Néanmoins, se mettre à négliger la connaissance, le savoir, les compétences académiques et universitaires dans un monde devenu complexe comme le nôtre me semble être une grave erreur.
Aimant discuter avec mes compatriotes, j’en ai entendu me dire ceci : »Nous savons que depuis les indépendances, nous sommes gouvernés par des négriers choisis par »les faiseurs de rois ». Mais ces négriers sont toujours entourés des intellectuels. Qu’est-ce que ceux-ci ont fait ? Où en est le pays aujourd’hui ? Ce sont des intellectuels qui ont tué ce pays. Que »les faiseurs de rois » poursuivent leur travail, cela, nous le savons. Cela se fait partout. Ce sont des intellectuels qui ont tué ce pays. »
Quand ces compatriotes disent : »Cela, nous le savons », ils ajoutent : »Il faut être pragmatiques ». Ils éludent les questions liées au fonctionnement des systèmes fondamentalement corrompus dans leur matrice organisationnelle et la force de leur pesanteur.
Et si tu leur dis que »le pragmatisme peut (aussi) être l’art d’être attentif aux conséquences » des choix opérés, ils ne te suivent plus. Si tu soutiens que quand ils disent : »Cela nous le savons », il devraient tirer les conséquences de ce »savoir », des conséquences pour une vie sensée, pour un minimum de bonheur partagé, ils refusent de te suivre. Ils s’énervent. Ils crient.
Assumer les contradictions et les absurdités
Il y a quelque chose d’un peu fou dans le petit partage susmentionné. Savoir que »les négriers des temps modernes » sont prioritairement le choix des »faiseurs de rois » et ne se limiter qu’à la responsabilité de ces sous-fifres, de ces marionnettes dans »la crise anthropologique » et »la crise de sens » que travers le Congo-Kinshasa, c’est (aussi) refuser de questionner le sens de ces expressions et ces mots-ci : »négriers des temps modernes », »faiseurs de rois », »sous-fifres », »marionnettes ». C’est refuser de questionner le sens de ces mots à partir des conséquences concrètes que ceux et celles les ont endossés ont produites au pays de Lumumba. Parler de responsabilité partagée par les uns et les autres est en train d’être évacué de l’histoire immédiate du Congo-Kinshasa. Mawa !
Savoir que « les négriers des temps modernes » sont prioritairement le choix des « faiseurs de rois » et ne se limiter qu’à la responsabilité de ces sous-fifres, de ces marionnettes dans « la crise anthropologique » et « la crise de sens » que travers le Congo-Kinshasa, c’est (aussi) refuser de questionner le sens de ces expressions et ces mots-ci : « négriers des temps modernes », « faiseurs de rois », « sous-fifres », « marionnettes ».
Ce discours contradictoire et de temps en temps absurde des compatriotes trahit (aussi) une profonde crise de la culture. Il pose, entre autres la question de savoir la nature de la culture qui porte les discours que nous proférons. A partir d’où parlons-nous ? Qui parle en nous ? Qu’est-ce qui parle en nous ? Quels sont les référents anthropologiques et culturels de nos discours ?
Dans un contexte où le système éducatif et culturel connaît une faillite généralisée, les imaginaires colonisés constituent des forces nécessaires au statu quo. Au Nord comme au Sud. Le retour aux choses de l’esprit dans des contextes interculturels me semble être l’une des pistes à exploiter pour une bonne révolution culturelle.
Engagées sur cette voie, »les minorités engagées et éveillées » devraient affronter et assumer les contradictions et les absurdités des uns et des autres. Et les leurs propres. Oui, la pensée éveillée porte sa part d’errance. Elle doit rester vigilante vis-à-vis de ses ombres dans un débat d’idées toujours recommencé. Je leur recommande de lire »Un monde sans esprit. La fabrique des terrorismes » de Roland Gori.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961