Par Jean-Pierre Mbelu
Dans un pays où la référence à l’écrit était en train de disparaître, dans un pays où la majorité de compatriotes aime la rumba, Mzee Kabila avait compris que passer un message par le biais de la chanson fut une idée géniale. Mais certains musiciens ayant chanté »Tokufa mpo na Congo », après l’assassinat de Mzee Kabila, ont fait volte-face et sont devenus »les amis de JOKA », Cheval de Troie de Paul Kagame.Un revirement à 180%. Et la diaspora congolaise, une certaine diaspora congolaise, forte de son engagement dans l’émancipation politique de son pays, leur a livré une lutte sans merci. Néanmoins, cette lutte n’est pas répercutée au pays où l’abrutissement et la dégradation des masses populaires par »les mipende » interposées poursuit son petit bonhomme de chemin. Ironie du sort. Les héritiers de Munzihirwa, de Floribert Chebeya, du Père Vincent Mochozi, de Mamadou Ndala, de Kamwina Nsapu et de Lumumba ne baissent pas la garde. Minoritaires, ils réussissent, petit à petit, à déjouer, par le travail d’analyse et de l’intelligence, par leurs capacités organisationnelles, les pièges de l’ennemi.
Chaque société est, à un certain moment de son histoire, guidée et/ou dominée par un ensemble d’idées et de pensées véhiculées par »les minorités organisées et plus écoutées » à travers leurs médias, leurs experts et les conversations populaires. C’est cet ensemble d’idées et de pensées que nous appelons paradigme. (Une allusion lointaine est faite à cette notion telle que développée par Thomas Kuhn.)
Le Congo, ses sommités et son attachement à l’école et à l’Université
Le Congo-Kinshasa des années 1990 a connu, autour et à travers la Conférence Nationale Souveraine, des sommités maîtrisant plusieurs domaines du savoir. Les interventions de Maître Lihau, le Mémorandum de l’ Eglise Catholique et les prises de position de plusieurs membres de l’Union Sacrée de l’opposition à la CNS ainsi que la maîtrise du »contentieux belgo-congolais » par Kamanda wa Kamanda, Pinga Kasenda, Nyimi Mayidika avaient prouvé, tant soit peu, le degré élevé du niveau d’analyse historique et sociétale atteint par l’élite politique, sociale et culturelle du Congo-Kinshasa. Ce niveau était aussi palpable dans certains journaux congolais tels que Le Crognon, le Palmarès, Le Potentiel, Le Phare, etc. Cette montée en puissance politique et intellectuelle fut le produit, au cours de la deuxième République, d’un certain attachement à l’école et à l’université. Malgré tout.
Face aux dégâts socio-économiques et culturels que ces derniers vont provoquer, la grogne populaire va, petit à petit s’intensifier ; sans remettre en question l’école et l’université (malgré leurs fragilités).
Il n’échappe pas à certains historiens attentifs à notre mémoire collective que les conditions de vie au Congo-Kinshasa s’abîment davantage vers les années 1980 à cause de l’imposition des programmes d’ajustement structurel à Mobutu par le FMI et la Banque mondiale. Face aux dégâts socio-économiques et culturels que ces derniers vont provoquer, la grogne populaire va, petit à petit s’intensifier ; sans remettre en question l’école et l’université (malgré leurs fragilités).
Disons que la société congolaise marchant vers la Conférence Nationale Souveraine est composée de trois ou quatre grandes classes (nouant de temps en temps des alliances opportunistes). Il y a d’une part les dinosaures mobutistes chez qui le lait et le miel coulent à flot au point de faire saliver le petit peuple. Il y a une opposition montante entretenant, ne fût-ce qu’occasionnellement, avec ces dinosaures, des relations floues. Il y a des intellectuels du pouvoir et les intellectuels critiques ; plusieurs formés dans les mêmes écoles et universités. Souvent les intellectuels critiques manquent de tout et se confondent avec le petit peuple. Ce dernier envie, comme plusieurs de jeunes orchestres naissant vers les années 1990, le lait et le miel coulant chez les dinosaures mobutistes.
La guerre raciste de prédation et le changement de paradigme
Les Shégues en font partie. De temps en temps, ils ramassent les dollars jetés par l’un des fils du Maréchal, Nkongolu, dénommé »Saddam Hussein ». Tel est le contexte dans lequel ils commencent à croire que »tout est question de chance » et non de mérite, d’un travail bien fait, d’une organisation sociétale ayant la solidarité, la coopération et le conflit non-meurtrier comme matrice, etc. Vers la fin de la deuxième République, le paradigme de »chance eloko pamba » fut le condensé des idées et pensées véhiculées par les bénéficiaires de la gestion patrimonialiste et clientéliste du pays encensant la médiocrité,le mensonge, l’injustice, le favoritisme, la facilité ; c’est-à-dire des anti-valeurs corrompant les cœurs et les esprits. Ce paradigme a créé un espace mental collectif à même d’accepter n’importe quel marché lucratif ; même la vente de son pays aux mercenaires.
La guerre raciste et de prédation faite par les proxys ougando-rwandais interposés va contribuer à l’enracinement de ce paradigme dans les cœurs et les esprits de plusieurs compatriotes congolais.
De temps en temps, les shégués ramassent les dollars jetés par l’un des fils du Maréchal, Nkongolo, dénommé »Saddam Hussein ». Tel est le contexte dans lequel ils commencent à croire que »tout est question de chance » et non de mérite, d’un travail bien fait, d’une organisation sociétale ayant la solidarité, la coopération et le conflit non-meurtrier comme matrice, etc.
»Un conglomérat d’aventuriers » sans un passé intellectuel et politique bien connu va être mis au pouvoir-os au Congo-Kinshasa. Les efforts déployés par Laurent-Désiré Kabila à partir du début du mois d’août 1998 pour le mettre hors d’état d’agir vont être anéantis dans le sang. Lui-même est assassiné. Et quand JOKA le remplace, il n’a ni passé politique, ni intellectuel connu. L’un de ses amis va essayer de lui inventer un diplôme d’une université américaine ; sans succès.
Des caisses de résonance de la médiocratie vont être créées à partir d’un faux processus de démocratisation du pays. Ces caisses de résonance dénommées »Parlement » et »Gouvernement » de notre Etat failli vont être prise en otage par un nombre important de médiocres ne jurant que par le paradigme »chance eloko pamba ».
Ces médiocres vont se construire un nombre impressionnant de maisons, s’acheter des voitures et des costumes et cravates sans que le sort du petit peuple fasse partie de leurs préoccupations. Une critique récente de cet état des choses est faite par un membre d’un parti politique considéré officiellement comme étant »nationaliste ».
Voici ce qu’il écrit :
« Notre parti a récolté les fruits de notre adhésion lors des élections organisées et a, curieusement, permis au perdant Kabila et son PPRD de gagner. En vous compromettant avec ces tricheurs, vous avez trahi tous les militants de base qui se sont saignés pour vous élire.Grâce à cette compromission, vous vous êtes jetés à corps perdus vers l’enrichissement en acquérant, en peu de temps, maisons, villas et biens de toutes sortes. La corruption, que nous avons décriée pendant nos années de combat est devenue un leitmotiv pour vous. Vous nous avez humiliés, nous du Palu, parti du peuple et un parti de gauche, par vos convoitises éhontées et votre statut ostentatoire de nouveaux riches. » Et il ajoute : « Vous avez instrumentalisé le PALU et ses militants de base. Ces malheureux fortement idéalisés par l’adoration de Gizenga vous ont servis de tremplin et de paillasson pour l’enrichissement personnel. Quant à eux, ils sont demeurés toujours aussi pauvres, aussi mal logés, aussi mal nourris, aussi malades, marchant toujours à pied depuis leurs quartiers populaires pour venir vous soutenir, parfois jusqu’au sacrifice suprême. » (http://lesignalducontinent.over-blog.com/2016/08/cri-du-coeur-d-un-ancien-membre-du-palu-repentez-vous-avant-qu-il-ne-soit-tard-car-la-colere-du-peuple-est-impittoyable.html)
La clochardisation de l’intellectuel
Ce qui est dit du Palu peut l’être de plusieurs partis politiques congolais convertis en »agents du »statu quo », ignorants de notre histoire collective et corruptibles à souhait.
Rappelons que vers les années 1990, plusieurs jeunes orchestres sont nés. Citons entre autres le Wenge BCBG. Certains de ses musiciens, étudiants ou ex-étudiants de certains Instituts Supérieurs congolais ont essayé de chanter la situation sociale prédominante avant la CNS. Ils disaient ceci : « Basusu liboso ya kolinga moto, bakomi kotuna o tangaka wapi, ofanda wapi. Biso tovanda na malueka. Nali a kolinga biso ee. Tika tokosa ata kokosa, ngai nazila gradué, ngai nazali licencié, ngai nazali ingénieur (…). » (Il y en a qui, avant d’aimer quelqu ‘un commencent par demander où étudies-tu, où habites-tu. Nous, nous habitons Malueka. Laissez-nous mentir que moi je suis gradué, licencié, ingénieur (…). »
La promotion de ce genre de musique est allé de pair avec la clochardisation de l’intellectuel. Et surtout de l’intellectuel critique. Au point de faire croire aux jeunes aimant le travail de la recherche et de l’intelligence que les études ne servent à rien quand elles ne sont mises au service de la prédation et de l’enrichissement facile.
Dans cet extrait d’une des chansons de Wenge BCBG, mentir permet d’avoir accès aux filles aimant les garçons ou les hommes ayant étudié ou ressortissants des familles habitants les quartiers huppés de Kinshasa. Le paradigme de »chance eloko pamba » opte (pour) ou adopte l’inversion des valeurs dans laquelle le pays est tombé. Il discrimine les compatriotes attachés aux valeurs humanistes. Il les classifie parmi »batu ya logique » et plusieurs jeunes rejettent ces »gens de la logique ».
La naissance de cette musique a coïncidé avec ce qui est dénommé »les mabanga ». Ces jeunes musiciens ont essayé de s’attirer les faveurs des hommes d’affaires et des grandes familles en évoquant leurs noms en chantant. Le phénomène »mabanga » a permis à certains d’entre eux d’être soutenu financièrement par ces hommes et familles riches. Pourquoi ? D’une part, les »mabanga » flattent l’ego de ces »dinosaures » ou »nouveaux riches ». D’autre part, en donnant ostensiblement leur argent à leurs flatteurs, ils font d’une pierre deux coups. Ils prouvent qu’ils sont effectivement riches et sont capables de gaspiller le fruit de leur enrichissement sans cause en le partageant avec leurs clients.
Ces jeunes musiciens ont prouvé que »chance eza eloko pamba » en ayant accès à la richesse clientélisée sans terminer leurs études universitaires. Ironie du sort.
Beaucoup d’intellectuels congolais ayant terminé leurs études au pays et y travaillant (en essayant d’être le plus corrects possible) n’ont pas autant d’argent que certains musiciens congolais. Plusieurs d’entre ces derniers habitent, comme les nouveaux prédateurs, les quartiers les plus huppés de Kinshasa. Disons que la promotion de ce genre de musique est allée de pair avec la clochardisation de l’intellectuel. Et surtout de l’intellectuel critique. Au point de faire croire aux jeunes aimant le travail de la recherche et de l’intelligence que les études ne servent à rien quand elles ne sont mises au service de la prédation et de l’enrichissement facile. (Cette conviction enracinée a corrompu, dans les cœurs et les esprits de plusieurs jeunes (et même adultes) le goût de l’étude et de la recherche bien faite.
Mzee Kabila et l’orientation culturelle du Congo
Ces jeunes musiciens ont aussi beaucoup contribué au commerce des multinationales brassicoles, à l’abrutissement, à la dégradation des masses populaires chassées des terres rurales vendues par »les vieux dinosaures » et »les nouveaux prédateurs » et habitant les bidonvilles du Congo-Kinshasa.
Cette situation a conduit les proxys anglo-saxons menant »la guerre par morceaux » au Congo-Kinshasa à réduire les Congolais(es) aux BMW (Bier, Money, Woman) pour les génocider sans remords. Et au cours de cette guerre, chaque fois que »le petit reste » d’intellectuels critiques s’est levé pour en dévoiler les en-dessous, il a été soit chassé des lieux où il peut avoir accès aux ressources matérielles ou tué. Munzihirwa, Floribert Chebeya, Mamadou Ndala, le Père Vincent Machozi, le chef coutumier Kamwipa Nsapu, etc. sont les victimes de ce système soutenant le paradigme de »chance éloko pamba ». (Nous y reviendrons dans un autre article)
Pourtant, cette même musique a servi, à quelques rares occasions, à passer le message de la lutte pour les terres congolaises dans l’unité. Au cours du »morceau de la guerre » du 02/05/1996, une chanson intitulée »Tokufa mpo na Congo » a réussi à mobiliser tout un pays pour faire échec aux proxys anglo-saxons avant que l’ONU ne vienne casser cette dynamique au mois de novembre 1999. Cette chanson, d’à peu près sept minutes, réussit à résumer, tant soit peu, toute l’histoire du Congo-Kinshasa. Elle décrit »le baiser de Juda » reçu des proxys et dit la justesse de la cause défendue par les Congolais(es).
L’orientation culturelle d’un pays dépend du projet de société ou du programme de société que ses gouvernants lui donnent. Mzee Kabila doit avoir senti, malgré sa compromission avec le loup introduit dans la bergerie, que la musique pouvait servir d’élément culturel de mobilisation populaire.
Et à ce point nommé, il y a lieu d’avancer une hypothèse : »L’orientation culturelle d’un pays dépend du projet de société ou du programme de société que ses gouvernants lui donnent ». Mzee Kabila doit avoir senti, malgré sa compromission avec le loup introduit dans la bergerie, que la musique pouvait servir d’élément culturel de mobilisation populaire.
En effet, dans un pays où la référence à l’écrit était en train de disparaître, dans un pays où la majorité de compatriotes aime la rumba, passer un message patriotique par le biais de la chanson fut une idée géniale. Mais certains musiciens ayant chanté »Tokufa mpo na Congo », après l’assassinat de Mzee Kabila, ont fait volte-face et sont devenus »les amis de JOKA », Cheval de Troie de Paul Kagame.
Pour la création d’un Congo-Kinshasa libre et prospère
Un revirement à 180%. Et la diaspora congolaise, une certaine diaspora congolaise, forte de son engagement dans l’émancipation politique de son pays, leur a livré une lutte sans merci. Néanmoins, cette lutte n’est pas répercutée au pays où l’abrutissement et la dégradation des masses populaires par »les mipende » interposées poursuit son petit bonhomme de chemin.
Les héritiers de Munzihirwa, de Floribert Chebeya, du Père Vincent Mochozi, de Mamadou Ndala, de Kamwina Nsapu et de Lumumba ne baissent pas la garde. Minoritaires, ils réussissent, petit à petit, à déjouer, par le travail d’analyse et de l’intelligence, par leurs capacités organisationnelles, les pièges de l’ennemi.
Cet abrutissement et cette dégradation semblent atteindre des milieux dits politiques et intellectuels. Ces derniers se laissent à la fois dominés par le paradigme du »chance eloko pamba » et par celui du néolibéralisme au nom duquel se mène »la guerre par morceaux » pour l’argent, l’or, le cobalt, le coltan, le pétrole, les terres rares, la forêt, l’eau, etc.
Ironie du sort. Les héritiers de Munzihirwa, de Floribert Chebeya, du Père Vincent Mochozi, de Mamadou Ndala, de Kamwina Nsapu et de Lumumba ne baissent pas la garde. Minoritaires, ils réussissent, petit à petit, à déjouer, par le travail d’analyse et de l’intelligence, par leurs capacités organisationnelles, les pièges de l’ennemi. Pas plus tard que dimanche 21 août, ils ont pris l’ennemi et ses complices la main dans le sac comme en témoigne cet article :http://benilubero.com/les-egorgeurs-islamistes-terroristes-de-beni-et-le-gouvernement-pris-les-mains-dans-le-sac-a-butembo/.
Ayant démasqué les tactiques et les stratégies de l’ennemi et de ses complices, ces héritiers sont en train de tisser leurs réseaux transnationaux pour résister à la mort et contribuer à la création d’un Congo-Kinshasa libre et prospère. Ils ne croient presque pas dans »la chance ». Ils croient dans le travail, dans l’organisation, dans l’éveil des consciences, dans l’entretien de la mémoire historique collective, dans les archives et les livres l’ayant conservée. Ils travaillent à remplacer le paradigme de »chance eloko pamba » et celui du néolibéralisme par celui du travail organisé et du solidarisme panafricain et transnational. Ils ont même découvert que le paradigme de »chance eloko pamba » est, dans une certaine mesure, un déni d’une partie importante du travail artistique auquel s’adonnent certains musiciens et de la sueur du front dépensée par certains compatriotes qui, bien qu’aimant la rumba, aiment aussi le travail bien fait.
Mbelu Babanya Kabudi