Par Jean-Pierre Mbelu
Ne pas avoir une bonne maîtrise de son histoire peut participer de l’organisation de la myopie face à la descente de son pays aux enfers. Formatés pendant plus de trois décennies par une idéologie néolibérale ayant fait de l’argent ‘’un dieu’’, plusieurs compatriotes semblent avoir perdu le sens de l’être au profit de l’avoir. Parmi les jeunes, plusieurs sont victimes de l’école buissonnière et des proies faciles entre les mains de ‘’faiseurs des rois’’ dominant plus par l’ignorance que par la force. Comment, avec tout ce beau monde, éviter au Congo de s’engouffrer davantage dans ‘’le chaos constructeur’’ dans les deux années à venir ?
Des sources bien informées, nous apprenons de plus en plus que l’année 2015 pourrait être très décisive pour le Congo-Kinshasa. L’ouragan de l’histoire risque de surprendre ‘’la kabilie’’ et les Congolais(es). Il ne serait pas exclu que des ‘’nègres de service’’ en remplacent d’autres. Comment faire pour changer la donne ? C’est-à-dire, comment faire pour que les acteurs pléniers ne puissent continuer à demeurer les seuls véritables maîtres à bord au Congo-Kinshasa ?
Eviter qu’un conglomérat d’aventuriers ne succède à un conglomérat d’aventuriers
L’entêtement de la ‘’Majorité Présidentielle’’ dans ses efforts de changer ‘’les règles du jeu’’ pour maintenir ‘’le statu quo’’ est de plus en plus suicidaire pour tous les membres de ‘’la kabilie’’. Certaines forces sociales et politiques appelant de tous leurs vœux ‘’l’alternance politique’’ ne donnent pas l’impression d’être prêtes pour une alternative crédible au système de l’avilissement et de l’abrutissement d’une bonne partie des masses populaires congolaises.
Une bonne partie de jeunes, surtout à l’Est du pays et à Kinshasa, voudrait en découdre avec ce système sans qu’elle donne des signaux d’être porteuse d’un projet de société participatif pouvant transformer la partie de masses populaires luttante en démiurge de sa propre destinée. Comment faire pour éviter qu’un ‘’conglomérat d’aventuriers’’ ne succède à ‘’un conglomérat d’aventuriers’’, auteur d’une révolution congolaise de pacotille ?
Si les patriotes congolais tiennent à reprendre l’initiative historique pour une politique émancipatrice du Congo-Kinshasa appréhendé comme un Etat social et souverain, ils devront, sans tarder, créer ou revivifier ‘’un Front Uni pour un Congo libre et prospère’’ déjà ici et maintenant. Les questions de procédure seront étudiées ou approfondies au sein du ‘’Front’’.
Le travail patriotique abattu par ces patriotes pendant les trois dernières décennies leur a permis de se connaître et de s’apprécier à juste titre.
Créer ou revivifier ‘’un Front Uni pour un Congo libre et prospère’’
Que certains d’entre eux prennent leur bâton de pèlerin sans tarder pour mener des démarches synergiques pouvant éviter au pays de Lumumba de désagréables surprises. Oui. Si le proche avenir leur échappe dans les deux ou les quatre prochaines années, il leur pourrait être difficile d’éviter au Congo-Kinshasa de disparaître de la carte de l’Afrique et du monde.
Depuis les années 1960 (et même un peu plus tôt), les acteurs pléniers de la tragédie congolaise ont décidé de l’occuper sans aucune considération morale, juridique ou éthique.
Vivant du et dans le déni de l’altérité, ils sont prêts aux ‘’guerres’’ et ‘’maladies humanitaires’’ pour atteindre leur objectif majeur. Ils ne pensent pas se convertir en pompiers dans un proche avenir. Le texte qui suit celui-ci en dit long.
A bon entendeur, un seul mot suffit !
Mbelu Babanya Kabudi
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MON DIALOGUE AVEC GUY SPITAELS
L’hyperconsommation américaine, les immenses ressources de l’Afrique, les nombreuses guerres, les pillages et les 15 millions de morts africains.
Je vous ai fait parvenir récemment la conclusion du livre de Guy Spitaels « Obama président. La méprise ». Vous en avez probablement retenu la dernière phrase : « En un mot, il sera exceptionnaliste et guerrier ». Cela peut se constater tous les jours pour qui veut le voir. Ce livre est sorti de presse en novembre 2008 et Guy Spitaels est venu le présenter à la librairie Molière vers la fin 2009. Je suis allé l’écouter. La présentation terminée fit place aux quelques questions habituelles, puis je me suis levé et je lui ai dit ce qui suit :
Monsieur Spitaels, dans l’un de vos précédents livres L’improbable équilibre. Géopolitique du désordre mondial. (2003, ndlr), vous avez écrit ce qui suit : « Les Etats-Unis règnent sans partage. L’or noir inspire la guerre et les conflits au Moyen-Orient et ailleurs, l’embrasement yougoslave installe durablement les Américains dans les Balkans, en Bosnie, au Kosovo et dans les pays voisins. Washington, dans un nouveau roll-back encercle la Russie en Europe de l’Est, dans le Sud-Caucase et en Asie centrale. La nouvelle OTAN sert ses ambitions. L’ONU est démonétisée. La cible terroriste tend à se confondre avec l’arc arabo-musulman et les USA, portés par l’unilatéralisme, annihilent les traités internationaux les uns après les autres ».
En même temps que je parlais, je constatais qu’il m’écoutait avec beaucoup d’attention. J’ai donc continué : « Aux pages 99 et 100, vous parlez des guerres en Afrique, des seigneurs de guerre, des mercenaires et des entreprises de taille mondiale, des déportations massives, des hécatombes meurtrières, de l’indifférence et de la lâcheté des pays occidentaux. Vous citez une liste de pays : Rwanda, Burundi, Congo-Kinshasa, Soudan, Ethiopie, Erythrée, Sierra Leone, Liberia, Somalie, Congo-Brazza, Angola et Algérie, non exhaustive, dites-vous. Et vous écrivez que pour la seule décennie nonante, le nombre de victimes s’élèverait à huit millions pour l’ensemble de ces pays, en terminant comme suit : On demeure interdit, révolté par l’ampleur du drame le plus souvent occulté qui saigne l’Afrique de tous côtés, écoeuré aussi par l’hypocrisie du monde des riches qui ne semble agir que lorsque ses intérêts sont en cause. » Il m’écoutait de plus en plus attentivement (la salle aussi d’ailleurs) et il opinait de la tête. J’étais étonné qu’on me laissât parler aussi longtemps et je continuais donc de plus belle.
« Scandalisés nous aussi par la tragédie africaine depuis la fin de la Guerre Froide, nous avons constitué une petite équipe d’anciens d’Afrique centrale, dont un Ingénieur des Mines de Lubumbashi, afin d’essayer d’y voir plus clair : qui tirait les ficelles ? Et c’est grâce à deux ouvrages de chercheurs américains que nous avons découvert le chaînon manquant entre vos deux descriptions : les Etats-Unis étaient également derrière les guerres et les massacres en Afrique. Le contraire eût d’ailleurs été étonnant, puisque le continent africain regorge lui aussi de pétrole et de matières premières. Spécialement le Congo.
Ces livres s’intitulent Guerres pour les Ressources. Le nouveau paysage du conflit global et Génocides et Opérations clandestines en Afrique, 1993-1999. Le premier est de Michael Klare, directeur de recherches sur la Paix dans un Collège du Massachusetts. Il écrit notamment ceci : ‘Toutes ces guerres que l’on appelle ethniques, civiles ou religieuses sont en réalité suscitées par la CIA pour servir de paravent à l’offensive des Etats-Unis pour le contrôle des ressources de la Planète’. Quant au second, il est de Wayne Madsen, ancien de la NSA et journaliste d’investigation. Il décrit certaines de ces guerres, dont celles du Rwanda et du Congo, et nous montre que l’Ouganda fut la tête de pont de l’Amérique en Afrique et que le Rwanda fut le chemin vers le Zaïre.
La CIA et les Forces spéciales US encadraient leurs différents mercenaires. Et l’argent de leurs multinationales minières permettait de financer l’armement et la logistique.
On pourrait se demander pour quelles raisons les Etats-Unis ont besoin de faire des guerres pour les ressources. Il y en a plusieurs : ils consomment à eux seuls 36% des ressources globales de la Planète alors qu’ils ne représentent que 4,5% de la population mondiale. Ils consomment donc 8 fois plus que la norme et comme ils ne possèdent pas toutes ces ressources chez eux, pétrole et minerais rares notamment, il faut bien qu’ils aillent les chercher ailleurs. Il y a également le fait que les pays émergents consomment eux aussi de plus en plus de ressources et s’ils veulent conserver leur « confort intérieur » et leur hégémonie mondiale, les USA doivent contrôler un maximum de ressources pour pouvoir développer leurs recherches technologiques et militaires. Tout ce qui est pour eux n’est pas pour les autres, puisque plusieurs ressources sont en voie de raréfaction. Cela permet enfin aux actionnaires de leurs multinationales de continuer à engranger les plus grands bénéfices. »
J’ai terminé en disant ceci : « Nos recherches nous ont également permis de constater que votre chiffre de 8 millions de morts doit être multiplié par deux. Il y a aussi de nombreux handicapés et de nombreuses destructions. » Puis je me suis assis.
Guy Spitaels a gardé le silence pendant quelques instants et puis, s’adressant à moi directement, il m’a dit : « Monsieur, je constate que vous êtes fort bien renseigné, vous avez entièrement raison ». Il a ensuite embrayé en direction de l’assemblée et expliqué que les Etats-Unis s’intéressaient depuis fort longtemps au Congo ; il a même décrit une de leurs bases militaires au Katanga. L’assistance était médusée et beaucoup de personnes sont venu me trouver pour me demander quelques informations complémentaires ou me pousser à écrire un livre sur le sujet. Je leur ai répondu qu’un livre de plus ne changerait pas grand-chose à ce qui se passe, et qu’il fallait penser à d’autres solutions.
Lorsque Guy Spitaels eût terminé d’effectuer ses dédicaces, il est allé s’asseoir sur le côté gauche de la salle. Je suis allé discuter encore un peu avec lui. Il m’a demandé avec qui je travaillais. Je lui ai répondu : avec Ernest Glinne. Il m’a dit : c’est très bien ça ! Cette réponse étonnera peut-être certaines personnes car il faut dire qu’ils n’ont pas toujours été bons amis. Ils suivaient en effet des lignes politiques différentes et avaient été concurrents pour la présidence du PS, mais ils s’étaient réconciliés tout récemment ! En ce qui concerne le troisième homme, Pierre Baracyetse, je vous ai déjà fait parvenir sa liste impressionnante des immenses ressources du Congo (centrale d’Inga, pétrole, minerais, eau, forêts, pâturages, …). Il a également écrit « Enjeu géopolitique des transnationales minières au Congo ».
Pierre Delmotte, Citoyen du Monde.