Par Jean-Pierre Mbelu
Hier, le 17 mai 1997, des compatriotes ont crié : »Libérés, libérés, libérés, libérés… » sans se soucier, un seul instant, à quelques exceptions près, de l’identité des membres du réseau d’élite transnational de prédation ayant orchestré la guerre de basse intensité dite de »libération », ni de leur mode opératoire sur le temps long. Aujourd’hui, plusieurs estiment que ce passé est passé. Et Herman Cohen vient leur rappeler qu’il y a des passées qui ne passent pas. Sans une (re)mobilisation constante et permanente de la mémoire historique et de l’intelligence (stratégique et) collective, »la guerre contre le terrorisme » pourrait (bientôt) convaincre les plus amnésiques d’entre nous que »la jeune démocratie congolaise » est une illusion.
Des compatriotes ont traduit et partagé les tweet d’Herman Cohen. Dans un premier tweet,voici ce qu’il dit : « «Si l’ancien président Kabila continue à interférer dans la politique de la République Démocratique du Congo, les Nations-Unies pourront autoriser la création d’un tribunal spécial pour les crimes commis entre 1996 et 2019 ». (L’ancien secrétaire d’Etat adjoint et diplomate américain Herman Cohen sur son compte tweeter, mardi, 14 mai 2019). Dans le second, il précise que ce tribunal s’occupera spécialement des violations des droits de l’homme et crimes commis par la famille Kabila pendant ces années, en commençant par le massacre de Tingi-Tingi en 1996.
La question du Pourquoi ?
Ce qu’ Herman Cohen ne dit pas : « Pourquoi les Nations-Unies ont-ils laissé un criminel usurper »la présidence » au Congo-Kinshasa ? Pourquoi la mise sur pied d’un Tribunal Spécial pour les crimes commis entre 1996 et 2019 serait-elle liée à l’interférence d’Alias Kabila dans »la politique (actuelle) de la République (dite) Démocratique du Congo ? »
La question du »pourquoi » est aussi importante pour le Congo-Kinshasa que celle de la relecture régulière de son histoire. Pourquoi ? Le danger de l’enfermement dans »le présent immédiat » est trop grand dans le chef de plusieurs de ses filles et fils au point de les plonger dans une amnésie coupable. Plusieurs de ces filles et fils du pays ont oublié que la guerre perpétuelle de basse intensité et de prédation ayant conduit l’AFDL à Kinshasa le 17 mais 1997 s’inscrit dans »les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique ». Et que ces »puissances » ont dépêché, au Congo-Kinshasa, une mission onusienne en novembre 1999. Pourquoi ? Officiellement, pour »faire la paix ». Officieusement, pour mettre ce pays sous tutelle. Depuis novembre 1999, bientôt vingt ans, l’ONU n’est plus partie du pays de Lumumba. Elle intervient lorsque, Laurent-Désiré Kabila, après avoir mobilisé les Congolais(es), en 1998, pour chasser »ses alliés » -rwandais et ougandais, tous sous-traitants des puissances anglo-saxonnes- de Kinshasa et briser ainsi »leur pacte » contre nature.
Pourquoi les Nations-Unies ont-ils laissé un criminel usurper la présidence au Congo-Kinshasa ? Pourquoi la mise sur pied d’un Tribunal Spécial pour les crimes commis entre 1996 et 2019 serait-elle liée à l’interférence d’Alias Kabila dans la politique (actuelle) de la République (dite) Démocratique du Congo ?
Elle intervient officiellement parmi »les faiseurs de paix » au Congo pour »gérer une crise internationale dans un (non-) Etat sous tutelle ». Une relecture du livre de Jean-Claude Willame dont le titre est paraphrasé jette une grande lumière sur la gestion suffisamment calamiteuse de cette »crise ». Et surtout, sur »le traitement de faveur » dont ont joui des sous-traitants impliqués dans cette guerre de basse intensité. Le réseau d’élite de prédation auquel Alias Joseph Kabila a appartenu a vu plusieurs de ses membres jouir de ce »traitement » malgré ses crimes de guerre, ses crimes contre l’humanité et ses crimes économiques. En d’autres termes, ce réseau d’élite de prédation a bénéficié, en quelque sorte, de la couverture de l’ONU pour perpétrer ses crimes. Cela malgré les multiples rapports des experts cette même organisation à ce sujet. D’ailleurs, la dénomination »réseau d’élite de prédation » est reprise de l’un des rapports de ses experts ; le rapport Kassem de 2002.
En publiant ce rapport, le Réseau Voltaire note ceci : « L’ONU publie la version définitive de son rapport sur le pillage des ressources naturelles du Congo. La Commission d’enquête, présidée par Mahmoud Kassem, met en cause nommément de nombreuses personnalités congolaises, rwandaises, burundaises et zimbabwéennes. Elle publie également une liste des sociétés commerciales africaines et occidentales impliquées dans ce trafic. » (Il a oublié les personnalités ougandaises.)
Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique
Toutes ces personnalités ainsi que plusieurs responsables des sociétés commerciales citées font partie dudit »réseau d’élite de prédation ». Ce réseau est transnational. Il dit la nature »internationale » de »la crise ». Ce rapport est suivi de biens d’autres. Le rapport Mapping de 2010 est l’un des meilleurs. Il a recommandé la mise sur pied des Tribunaux Spéciaux pour juger les membres de ce »réseau d’élite » impliqué dans »le génocide congolais ». Sans suite jusqu’à ce jour. Tous »ces crimes organisés » et »ce génocide congolais » font partie »des guerres secrètes des grandes puissances en Afrique ». Pourquoi sont-ils restés impunis ? L’une des raisons est que ces »guerres secrètes » sont aussi celles de la politique et de la justice (dites) internationales. La »justice internationale » refuse de se tirer une balle dans le pied.
Florence Hartman, porte-parole de Carla Del Ponte au TPIY (Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie) explique cela dans un livre magnifique intitulé : »Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales. » Une autre raison est que plusieurs compatriotes Congolais sont déjà passés à autre chose. Ils disent que »le non-Etat » congolais est devenu »une jeune démocratie ». Ils ont perdu de vue, par habitude, que »ce non-pays » est encore sous la tutelle de l’ONU.
Tous « ces crimes organisés » et « ce génocide congolais » font partie « des guerres secrètes des grandes puissances en Afrique ». Pourquoi sont-ils restés impunis ? L’une des raisons est que ces « guerres secrètes » sont aussi celles de la politique et de la justice (dites) internationales.
Contrairement aux Sud-Africains ayant organisé une Commission Vérité et Réconciliation afin de nommer les crimes commis sous l’apartheid et d’en panser les plaies en vue de recréer une mémoire collective historique et responsable ; contrairement aux Tunisiens qui viennent d’organiser une Commission Dignité et Vérité en vue de passer au crible de la justice les abus du parti-Etat et de sa police, »la jeune démocratie congolaise » s’est engagée dans un processus électoral vicieux et vicié depuis 2005 et prétend éviter »la chasse aux sorcières » en organisant »une réconciliation » sans vérité historique et sans justice !
Une troisième raison est que l’ONU cherche, sur le temps long, à dédouaner »la partie internationale » du »réseau d’élite de prédation » et à maintenir le Congo-Kinshasa dans son statut de »néocolonie », en instrumentalisant les sous-traitants congolais et africains et en les rendant interchangeables. Pour ce faire, leurs crimes connus et archivés sont comme une épée de Damoclès sur leurs têtes. Et Rome ne payant pas toujours ses traîtres !
Les faux jeux de pouvoir opposant les congolais entre eux
Donc, l’ONU fait le jeu de cette partie »internationale » du »réseau d’élite de prédation ». Pour preuve, elle est intervenue dernièrement dans la mascarade électorale congolaise du 30 décembre 2018. Une jeune dame congolaise, Marie-Jeanne Meta, en rend compte en relisant un article de La Libre Afrique. Voici comment elle procède : »Il est curieux que même des compatriotes supposés avoir de la jugeote commencent à encenser »la toute-puissance » de »la kabilie » et de »son autorité morale » en oubliant leur histoire et celle du pays.
Comment cela peut-il s’expliquer ? Que parmi ces compatriotes, plusieurs aient oublié que les parrains de »l’autorité morale de la kabilie » lui avaient demandé de se trouver un dauphin avant la mascarade électorale du 30 décembre 2018 et qu’ils ne trouvaient aucun inconvénient à sa tricherie ? Pourquoi ces compatriotes passent-ils sous silence l’appel que cette »autorité morale » a lancé à la cheffe de la Monusco au Congo-Kinshasa pour qu’elle assure la médiation entre elle et Martin Fayulu ? »Le 4 janvier, écrit Hubert Leclerq, Kabila contacte Mme Zerrougui, la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies et cheffe de la Monusco. Il l’envoie rencontrer Martin Fayulu. » Elle ajoute : »Le lundi 7, Martin Fayulu doit revoir Mme Zerrougui, chez lui, à l’ombre de la tour du Pullman, l’ancien Grand Hôtel de Kinshasa. La dame de l’Onu a rendez-vous avec Joseph Kabila à 11 heures du matin. Quand elle rencontre Fayulu, celui-ci comprend que le pouvoir en place a fait un choix. La “patronne” des casques bleus, qui est largement sortie de son rôle lors de cette semaine cruciale, va expliquer au candidat de Lamuka que Kabila “a un problème avec Katumbi et Bemba”. C’est le dernier contact dans ce cadre entre Leila Zerrougui et Martin Fayulu. » (Lire Hubert Leclerq, RDC : la semaine où Kabila a choisi »son » président)
Ce « faux jeu de pouvoir » est un jeu trouble. Il se moque de l’intelligence collective des Congolais en faisant croire à « la toute-puissance de la kabilie ». Et les Congolais, même ceux qui sont supposés avoir de la jugeote, mordent la poussière.
Ce texte lu attentivement et historiquement jette une bonne lumière sur »la fausse toute-puissance de »la kabilie » Qu’une représentante spéciale du secrétaire générale des Nations unies s’implique dans »la passation du pouvoir » entre Kabila, Fayulu et Tshisekedi, cela est un signal clair ! Contrairement à ce qu’écrit Hubert Leclerq, Mme Zerrougui ne sort pas de son rôle. Elle joue son véritable rôle dans les coulisses de la gestion d’un pays mis sous tutelle par l’ONU depuis novembre 1999.
En fait, cette tutelle se poursuit sous »un faux jeu de pouvoir » opposant les Congolais entre eux et les Congolais au »Cheval de Troie » des occupants de leur pays. Ce »faux jeu de pouvoir » est un jeu trouble. Il se moque de l’intelligence collective des Congolais en faisant croire à »la toute-puissance de la kabilie ». Et les Congolais, même ceux qui sont supposés avoir de la jugeote, mordent la poussière. Eza pasi ! »
L’amnésie collective a causé des dégâts
La présence de la mission onusienne au Congo-Kinshasa a réussi »un miracle » : la conversion d’un Cheval de Troie , marionnette des sociétés commerciales africaines et occidentales, en »Président de la République » et l’imposition de ce »miracle » à l’imaginaire populaire. Ce »miracle » a des corollaires: l’oubli de la partie »internationale » du »réseau d’élite » de prédation et de son rôle déterminant dans »ses guerres secrètes » et dans »sa lutte contre le terrorisme » ; et aussi la manipulation des masses congolaises par »les copains et les coquins » afin qu’elles leur servent de tremplin pour jouer le même rôle que ce »Cheval de Troie ».
Ceci semble marcher. L’amnésie collective a causé des dégâts énormes dans plusieurs esprits et plusieurs cœurs congolais. La peur du livre aussi. Le refus de relire l’histoire, la volonté de l’ignorer, l’enfouissement dans l’inculture et la normalisation de la bêtise ont joué un grand rôle dans ce »viol de l’imaginaire ».
La présence de la mission onusienne au Congo-Kinshasa a réussi « un miracle » : la conversion d’un Cheval de Troie , marionnette des sociétés commerciales africaines et occidentales, en « Président de la République » et l’imposition de ce « miracle » à l’imaginaire populaire.
Il ne serait pas exclu que le départ de l’ONU du Congo-Kinshasa coïncide avec »l’intensification de la guerre contre le terrorisme » au Congo-Kinshasa. « Un gars comme les anglo-saxons les aiment » a été aperçu, il n’y a pas longtemps, au cours de la visite de l’Emir du Qatar chez lui, à côté d’un individu accusé de financer le terrorisme.
Les derniers tweet d’Herman Cohen contient des messages à décrypter et un renvoi à une histoire qui ne passe pas : celle des »guerres secrètes des grandes puissances en Afrique », de l’abrutissement des masses populaires, de la confiscation des terres, de l’assujettissement et de la soumission des Congolais, de la destruction de leur dignité et de leur conversion en des »non-personnes ». »Le petit reste » serait complice de cette déshumanisation s’il dormait et sommeillait. Or, il veille…
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961