Par Jean-Pierre Mbelu
« Pour repenser l’Etat à partir de la nature plurinationale des sociétés, il faudrait, à mon avis, revenir à l’alphabétisation et à la scolarisation dans les langues maternelles africaines. »
-Joseph KI-ZERBO
Mise en route
La richesse sémantique des langues maternelles kongolaises est porteuse d’une approche collective de la gestion du pouvoir à redécouvrir.
Lorsqu’au cours de la campagne électoraliste, les candidats sollicitant les suffrages des masses populaires utilisaient le verbe « toyokana », « tusikilizane », « tumvuanganayi », ils s’inscrivaient, sans se l’avouer, dans un long processus de la production d’un « nous » que « les élections » semblent être venues interrompre. Ce refus d’aveu au niveau individuel a poussé plusieurs parmi eux à renoncer à l’usage de ces verbes dès la fin de leur campagne. Ils sont vite passer à autre chose. Tout comme plusieurs compatriotes comptant parmi leurs fanatiques, leurs thuriféraires et leurs applaudisseurs. Pourtant, ce verbe peut être porteur d’un avenir différent.
Tusikilizane
« Toyokana », « tusikilizane », « tumvuanganayi », en plus de signifier écoutons-nous mutuellement, peuvent aussi dire, entre autres, entendons-nous, créons de l’entente entre nous, établissons des liens facilitant l’entente mutuelle, comprenons-nous, réconcilions-nous. Il y a là comme un appel à s’engager dans un début de processus de création collective des espaces politiques d’entente, de reliance, d’une écoute engageant à traduire en actes, le « Diyi », la Parole partagée.
Quand elle n’est pas banalisée, la Parole partagée, le « Diyi » conduit à la signature d’un pacte de non-trahison. Trahir la Parole partagée, le « Diyi » ayant produit un minimum de consensus, marginalisait le traître -le mutompi- et/ou les traîtres.
Quand elle n’est pas banalisée, la Parole partagée, le « Diyi » conduit à la signature d’un pacte de non-trahison. Trahir la Parole partagée, le « Diyi » ayant produit un minimum de consensus, marginalisait le traître -le mutompi- et/ou les traîtres. Manger la nourriture préparée par « les bakaji » (les femmes) pouvait lui (leur) être fatal. Une malédiction pesait sur lui et/ou sur eux. (Tout ceci pour exprimer l’importance de la Parole donnée et partagée.)
Souvent, au moment de l’adversité, le chef pouvait convoquer le « ditunga » (le pays) pour reproduire de la reliance. C’est à ce moment-là que l’on pouvait entendre les appels du genre « ditunga diyi, diyi dimue. Muamba balume, mmuamba bakaji. Muamba bakaji, mmuamba balume ». (Il est vrai que la traduction littérale française ne rend pas le fond de cette invitation. En fait, il s’agit d’un appel au ralliement afin de faire face ensemble à l’adversité ou aux autres actions collectives à mener ensemble, hommes et femmes. Cette différence entre le masculin et le féminin dit leur complémentarité dans l’accomplissement des tâches communes ou dans l’observance du temps de jeûne au moment où l’adversité l’exige.)
La participation maximale des différentes catégories de la population
Cet appel au ralliement était au coeur de la palabre africaine. L’option pour « le fondamentalisme démocratique » ayant fait de la raison « une invention grecque » a foulé au pied « la démocratie des autres » ou l’a limitée à sa formule réductionniste d' »un homme, une voix ». Or en Afrique traditionnelle, « les principales références de la démocratie sont la participation maximale des différentes catégories de la population, la limitation et le partage du pouvoir ainsi que la solidarité. [1]» Et « dans toutes les catégories de l’organisation du pouvoir, avec ou sans Etat visible, il y a en Afrique un effort pour la limitation, le partage du pouvoir, la participation et une certaine solidarité consistant en des dons et des contre-dons. Il y a à la base du système africain une puissante organisation autogestionnaire par les peuples eux-mêmes. [2]»
Cet appel au ralliement était au coeur de la palabre africaine. L’option pour « le fondamentalisme démocratique » ayant fait de la raison « une invention grecque » a foulé au pied « la démocratie des autres » ou l’a limitée à sa formule réductionniste d' »un homme, une voix ».
La participation maximale des différentes catégories impliquait une communication permanente entre leurs membres. Car « les décisions prises par consensus s’imposaient à tous. Toutes les étapes de la vie étaient marquées par des réunions. C’est pour cela qu’on parlait de débat permanent africain qui était instauré sous les arbres -la palabre- où chacun avait non seulement la liberté d’expression mais l’obligation de parler. [3]»
La multiplicité des formules de participation met en évidence la concertation au niveau des différentes catégories de la population avant qu’elles ne soient invitées sur le lieu de la délibération. « Parfois, la discussion était renvoyée pour permettre d’aller consulter les femmes ou les vieillards à la maison. Une palabre pouvait durer des jours, voire des semaines ou des mois, parce que le principe était d’arriver au consensus maximal. [4]»
Créer un Etat tradicratique
Cette relecture de l’histoire de l’organisation du pouvoir en Afrique traditionnelle ne cherche pas à gommer le fait qu’elle ait connu ses tyrans.
Cette remise en cause du « fondamentalisme démocratique » et de « l’Etat » qu’il fabrique devrait marcher de pair avec le remise en valeur des organisations sociales kongolaises de base telles que la famille, la tribu et l’ethnie dénaturées, déstructurées, dépaysées, déracinées par l’avènement de la ville moderne , de Mammon et par l’introduction forcée dans « la société ouverte », fer de lance des globalistes apatrides.
Aussi faudrait-il souligner que le fait de s’exprimer en groupes tel qu’entretenu par cet organisation du pouvoir, bien que favorisant leur participation n’a pas été émancipateur pour ceux qui étaient au bas de l’échelle comme les esclaves. Néanmoins, prendre en compte, aujourd’hui, cette expression par groupes (d’intérêts) serait une bonne remise en cause du « fondamentalisme démocratique » au service d’une petite caste au Kongo-Kinshasa. Surtout que cette expression par groupes organisée à partir de la base (de la population) inscrit les réunions dans un processus impliquant toutes les étapes importantes de la vie.
Donc, cette remise en cause du « fondamentalisme démocratique » et de « l’Etat » qu’il fabrique devrait marcher de pair avec le remise en valeur des organisations sociales kongolaises de base telles que la famille, la tribu et l’ethnie dénaturées, déstructurées, dépaysées, déracinées par l’avènement de la ville moderne , de Mammon et par l’introduction forcée dans « la société ouverte », fer de lance des globalistes apatrides. Pourquoi ?
D’abord, parce que ces organisations sociales sont des lieux originaires de la politique. Ensuite parce que « la conception nouvelle, moderne qui l’ (l’Etat) accompagne est à l’origine de la création des sociétés économiques qui, dans la violence, déracinent, détachent les hommes de leurs sociétés ethniques, les plongent dans les rapports conflictuels de volonté où le plus fort doit l’emporter, les orientent vers les finalités qui sont matérielles de la consommation et de la jouissance comme finalité ultime. [5]»
Enfin, parce que cet « Etat » est venu casser la dynamique solidaire des dons et des contre-dons en évacuant « la dette sociale » du devenir collectif. En recréer un autre qui soit ouvertement tradicratique est une urgence. Une étude des sociétés africaines anarchistes, des chefferies et des empires traditionnels africains peut être d’un grand apport pour cela. (à suivre)
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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[2] Ibidem.
[3] Ibidem, p. 70
[4] Ibidem, p.79-71.
[5] ELUNGU Pene ELUNGU, Entre ethnie et nation. Ethnicité et nationalité, dans Philosophie et politique en Afrique. Actes des Journées Philosophiques de 1996 à Canisius, Kinshasa, Loyola, 1997, p. 11.