Par Jean-Pierre Mbelu
En octobre 2016, une ONG américaine dénommée Enough Project a produit un travail remarquable sur le Congo-Kinshasa, abusivement appelée »République Démocratique du Congo ». Cette étude intitulée »Etat criminel » m’a avait séduit par son sous-titre : »Comprendre et lutter contre le corruption institutionnalisée et la violence en République Démocratique du Congo ». »Comprendre » est un verbe important. Il est difficile de lutter contre un système ou un sous-système sans en comprendre le mode opératoire, les fondements et l’histoire.
Résumant cette étude, Sasha Lezhnev faisait remarquer ceci : »Depuis 130 ans, le pays présente de nombreux indices de kleptocratie violente, un système de captation de l’État au sein duquel des réseaux de dirigeants politiques et leurs partenaires commerciaux détournent les institutions gouvernementales et maintiennent l’impunité aux fins d’extraction des ressources et de sécurisation du régime. Ces réseaux utilisent différents niveaux de violence pour conserver le pouvoir et réprimer les voix dissidentes. Ce système compte sur les efforts du régime actuel visant à miner toute transition démocratique. Le président Joseph Kabila et ses collaborateurs profitent d’une corruption prégnante et s’efforcent par tous les moyens de se maintenir au pouvoir.
L’ambiguïté des rapports sur le Congo
Du roi Léopold II, il y a plus d’un siècle, à Kabila aujourd’hui, les dirigeants congolais ont détourné des milliards de dollars revenant à l’État et au peuple congolais en ayant parfois recours à des actes d’une grande violence pour un objectif clair : conserver la mainmise sur l’État et ses immenses ressources naturelles. » Comme plusieurs études menées par »les ONG internationales », celle d’Enough Project est ambiguë.
En 2016, j’avais écrit un article critique sur cette ambiguïté. Elle donne des informations importantes pouvant permettre de comprendre le fonctionnement des sous-systèmes qui se sont succédé au Congo-Kinshasa jusqu’à Alias Joseph Kabila sans dire »de quoi ils sont les noms » et qui a institutionnalisé, au départ, la corruption et la violence. A mon avis, Léopold II est »le nom des partages de l’Afrique et du Congo-Kinshasa réalisés à Berlin en 1885, sans les Africains et sans les Congolais, sur fond d’une hiérarchisation raciale des populations du monde. Une hiérarchisation au cours de laquelle les Africains et les Congolais sont classifiés parmi les êtres inférieurs ayant besoin d’être civilisés par les êtres supérieurs ayant procédé auxdits partages.
Du roi Léopold II, il y a plus d’un siècle, à Kabila aujourd’hui, les dirigeants congolais ont détourné des milliards de dollars revenant à l’État et au peuple congolais en ayant parfois recours à des actes d’une grande violence pour un objectif clair : conserver la mainmise sur l’État et ses immenses ressources naturelles. » Comme plusieurs études menées par »les ONG internationales », celle d’Enough Project est ambiguë.
Ces êtres inférieurs doivent être considérés comme des »biens-meubles ». » Tel est le paradigme léopoldien sur lequel sont fondés la kleptocratie violente dont souffre le Congo-Kinshasa depuis 130 ans. Depuis 130, les êtres supérieurs veulent conserver le Congo-Kinshasa dans son état de »terra nullius », d’un »espace vague habité par des êtres qui font la honte de l’humanité » et dont l’extermination est souhaitée.
Et pour perpétuer le paradigme léopoldien, les initiateurs des partages à Berlin ont eu plus besoin de »nègres de service », de »vassaux » que des hommes-debout de la stature de Lumumba. Ils se sont organisés pour l’assassiner quelques semaines après son accession au poste de Premier ministre afin d’imposer aux Congolais(es) leurs »négriers néo-coloniaux ».
L’étude d’ Enough Project m’avait séduit dans la mesure où elle alignait Mobutu et les Kabila après Léopold II. Ces derniers l’ont copié comme »modèle ». Quand Mobutu disait aux »forces de sécurité » : « Vous avez des armes, vous n’avez pas besoin de salaire ». Il reproduit le modèle léopoldien des mains coupés et des villages incendiés.
La reproduction du modèle Léopoldien
Quand Alias Joseph Kabila envoie ses »escadrons de la mort » à Beni, au Bas-Congo ou au Kasaï , il reproduit le modèle léopoldien. Le dernier rapport des « Experts Internationaux » en témoigne. Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis contre les populations civiles s’inscrivent dans la logique des mains coupées et des villages incendiés. La reproduction du modèle léopoldien par Joseph Kabila peut être compréhensible si une esquisse réponse à la question de savoir de quoi il est le nom est osée (https://www.ingeta.com/de-quoi-joseph-kabila-est-il-le-nom/).
Comment peut-on parler de pouvoir là où les êtres humains réduits au rang des vassaux tuent leurs congénères pour servir les multi et les transnationales et les élites anglo-saxonnes depuis plus 130 ans ?
Au sujet de Mobutu, du »Groupe de Binza » et des »Commissaires Généraux », Ludo De Witte et Jules Chomé, entre autres, ont fait un bon travail en publiant »L’ascension de Mobutu. Comment la Belgique et les USA ont installé une dictature » et »L’ascension de Mobutu. Du sergent Joseph Désiré au général Sese Seko ». Mobutu et les dinosaures qui l’ont accompagné dans ses œuvres pendant 32 ans avaient vendu leur âme aux forces hégémoniques du Nord. Ils ont été des »nègres de service ». Sans une relecture conséquente de cette histoire, la reproduction du discours officiel parlant de »pouvoir », de »gouvernement et des institutions gouvernementales », de »forces de sécurité », de »maintien au pouvoir » induit en erreur les luttants pour l’émancipation politique du Congo-Kinshasa.
Les lexiques du discours officiel sont une épine dans leur pied. Ils freinent leur avancée. Comment peut-on parler de pouvoir là où les êtres humains réduits au rang des vassaux tuent leurs congénères pour servir les multi et les transnationales et les élites anglo-saxonnes depuis plus 130 ans ? Comment peut-on parler d’un Etat là où la guerre perpétuelle a produit »un Etat raté », un »Etat manqué » dont les institutions sont vides de contenu ? Comment peut-on parler des »forces de sécurité » là où »les escadrons de la mort » sèment l’horreur ?
Penser à des institutions alternatives
Les lexiques des tricheurs et la propagande officielle aggravent »la crise de sens » dans laquelle le Congo-Kinshasa est plongé depuis plus de 130 ans. Remettre les cerveaux à l’endroit prend du temps et beaucoup de temps. Les 130 ans d’assujettissement, d’abâtardissement, de répression et d’oppression, etc. ont produit une régression anthropologique dont les pathologies tels que le syndrome de Stockholm et le larbinisme sont les conséquences.
Remettre les cerveaux à l’endroit prend du temps et beaucoup de temps. Les 130 ans d’assujettissement, d’abâtardissement, de répression et d’oppression, etc. ont produit une régression anthropologique dont les pathologies tels que le syndrome de Stockholm et le larbinisme sont les conséquences.
Il ne sera pas étonnant que parmi les Congolais(es) qui en sont victimes, il y ait des applaudisseurs, des tambourinaires et des thuriféraires de différentes branches du MPR et de l’AFDL théâtralisant, dans l’impunité la plus totale, »une opposition de façade » pour les élections-pièges-à-cons. Comprendre n’est pas synonyme de justifier…130 ans, c’est trop. On ne sort pas indemne d’une traite et d’un esclavage perpétuels, comme dirait Evariste Pini-Pini.
Dieu merci, »le petit reste » résiste contre le paradigme léopoldien. Il invente les mots de sa lutte. Il sait que les mots sont des armes. Il crée son lexique (« Ingeta. Dictionnaire citoyen pour une insurrection des consciences« ). Il travaille au renversement de ce paradigme dans les cœurs et dans les esprits. Il pense de plus en plus aux »institutions alternatives ». A court, moyen et long terme. Il doit être toujours prêt à passer le relais. C’est une question de responsabilité patriotique et citoyenne.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961