Par Jean-Pierre Mbelu
« Au sujet des convictions ancrées, il y a , entre autres, la confusion consciemment entretenue selon laquelle « la démocratie » égale au « processus électoraliste », que tout « gouvernement » représentatif est une « démocratie », que « l’assemblée nationale » dans un contexte néocolonial et néolibéral représente « le peuple », que « les masses populaires » sont « le peuple », que « la majorité » a toujours raison, que « la foul » pense, etc. »
– Babanya
Mise en route : Retour sur certaines questions liées au processus électoraliste
Le processus électoraliste est en train de toucher à sa fin au Kongo-Kinshasa. Les esprits des masses fanatisées semblent s’apaiser dans plusieurs provinces du pays. Les artisans et les partisans de l’hédonisme nihiliste refusent toujours de renoncer à la violence et à la guerre. Les patriotes résistants et leurs alliés essaient de se battre pour qu’un seul millimètre de la terre kongolaise ne soit cédé aux proxys des globalistes apatrides. Et entre-temps, « les politicards » ouvrent un front intérieur d’une lutte prêtant main forte à leurs parrains qui, dans les coulisses, tiennent au plan de la balkanisation et de l’implosion du pays.
Pourquoi y a-t-il soudainement un silence sur « le beau » projet sur « la fin de la faim », « la fin de la guerre » et « la fin des vices » ? Ce projet était-il électoraliste ou existentiel pour le Kongo-Kinshasa ? Le fait que « la majorité » n’y ait pas adhéré serait-il une raison suffisante pour renoncer à la lutte existentielle qu’il induit ?
L’accalmie relative que plusieurs provinces du pays (et les réseaux sociaux) connaissent peut être un moment propice au retour sur certaines questions liées au processus électoraliste initié au Kongo-Kinshasa.
Pourquoi, depuis le début de « l’imposture démocratique » en 2006 par les « faiseurs de paix »[1], « le débat démocratique » entre les candidats à « la présidentielle » n’a-t-il jamais eu lieu ? Pourquoi le pays est-il passé d’une « présidentielle » à deux tours à celle d’un seul tour ? Pourquoi « le parlement » a-t-il voté des lois avalisant cette procédure ? Pourquoi, en 2023, « les démocrates » kongolais à la « présidentielle » ont-ils fui le débat ? Pourquoi une « union sacralisée » hier est-elle en train d’être « profanée » aujourd’hui à coup des subterfuges et des prétextes ? Pourquoi y a-t-il soudainement un silence sur « le beau » projet sur « la fin de la faim », « la fin de la guerre » et « la fin des vices » ? Ce projet était-il électoraliste ou existentiel pour le Kongo-Kinshasa ? Le fait que « la majorité » n’y ait pas adhéré serait-il une raison suffisante pour renoncer à la lutte existentielle qu’il induit ? A la dernière « investiture » de « Fatshi », un pasteur priant a dit ceci : « Nous sommes fatigués des voleurs , nous sommes fatigués des détournements. Donne à cet homme la sagesse de choisir des hommes justes pour diriger ce pays. » Quels sont les moyens que les pasteurs présents à cette cérémonies vont-ils se donner pour vérifier que « cet homme » fera des choix sages ?
Répondre à toutes ces questions peut prendre un temps fou. Pourtant, il le faut. Il faut même esquisser certaines hypothèses à soumettre aux compatriotes qui ont les mêmes préoccupations pour une compréhension élargie de ce qui se passe politiquement au Kongo-Kinshasa.
La question des acteurs est toujours d’actualité
Dans un Etat sous tutelle et/ou raté-manqué, les acteurs apparents ne sont pas « les véritables faiseurs de paix » et de « démocratie ». Souvent, ils sont les « lieux-tenants » des acteurs pléniers tapis dans l’ombre et dans les coulisses de l’histoire du Kongo-Kinshasa. En costume et en cravate, les acteurs apparents friment et impressionnent les masses populaires au sujet d’un pouvoir dont la réalité est ailleurs. Ils s’inscrivent dans la logique du « gouvernement représentatif » pour masquer leur forfaiture.
En costume et en cravate, les acteurs apparents friment et impressionnent les masses populaires au sujet d’un pouvoir dont la réalité est ailleurs. Ils s’inscrivent dans la logique du « gouvernement représentatif » pour masquer leur forfaiture. Ils renoncent au débat public pour éviter de dévoiler leur secret partagé : ils dépendent tous (ou presque) des acteurs pléniers et de leurs agences de contrôle. Ils peuvent encore s’agiter sur des questions secondaires en se livrant à une radio et/ou à un média en ligne. Mais sur des questions essentielles comme celle de passer d’un Etat raté néocolonial à un Etat souverain chamboulant le système néocolonial et néolibéral, ils ne se risqueraient pas.
Ils renoncent au débat public pour éviter de dévoiler leur secret partagé : ils dépendent tous (ou presque) des acteurs pléniers et de leurs agences de contrôle. Ils peuvent encore s’agiter sur des questions secondaires en se livrant à une radio et/ou à un média en ligne. Mais sur des questions essentielles comme celle de passer d’un Etat raté néocolonial à un Etat souverain chamboulant le système néocolonial et néolibéral, ils ne se risqueraient pas. Ils sont les « kapita médaillés » de ce système. Souvent, ils ne le nomment pas. Comment est-ce imaginable qu’ils puissent couper la branche sur laquelle ils sont tous assis ? Donc, le parlementarisme qu’ils promeuvent est au service de ce même système. Un débat public entre le premier et le deuxième tour de la présidentiel les mettrait en danger face aux journalistes et à un public avertis. Ceux-ci pourraient les pousser à aborder certaines questions « dangereuses ». C’est d’un. De deux, « les élections-pièges-à-cons » servent à avaliser le choix opéré préalablement par des acteurs pléniers. A quelques surprises près.
Le partage du « pouvoir-os » est une menace permanente contre la cohésion sociale et nationale
Le partage du « pouvoir-os » est une menace permanente contre la cohésion sociale et nationale. Plusieurs de ses clients, en bonnes marionnettes et en bons larbins, privilégient leurs intérêts immédiats. Leurs narratifs officiels cachent leur adhésion à la politique du « diviser pour régner ». Ils représentent leurs intérêts immédiats et ceux de leurs parrains. L’usage du mot « notre peuple » dans leurs bouches relève du baratin des masses populaires fanatisées, assujetties, avilies , appauvries et dépolitisées.
Ils ont beau dire que les énergies sont indispensables à l’industrialisation du pays, mais ils peinent à affecter les moyens et les compétences qu’il faut à la mise en pratique de cette ritournelle. Ils ont beau soutenir que l’agriculture est la priorité des priorités, mais les routes de desserte agricole et le soutien public aux cultivateurs manquent énormément. Ils peuvent quémander des emprunts insignifiants auprès des institutions néocolonisatrices pendant que des sommes importantes d’argent sont détournées par des copains et des coquins.
Fanatiques du « gouvernement représentatif » qu’ils qualifient de « démocratique », ils sont, pour plusieurs d’entre eux, aux affaires depuis les années 2000. Depuis plus de deux décennies, ils se constituent en une caste se partageant une grosse part du budget modique du pays. Et ce pays se meurt ainsi que la majorité de sa population. Eux, toujours les mêmes (ou presque), font bombance.
Ils ont beau dire que les énergies sont indispensables à l’industrialisation du pays, mais ils peinent à affecter les moyens et les compétences qu’il faut à la mise en pratique de cette ritournelle. Ils ont beau soutenir que l’agriculture est la priorité des priorités, mais les routes de desserte agricole et le soutien public aux cultivateurs manquent énormément. Ils peuvent quémander des emprunts insignifiants auprès des institutions néocolonisatrices pendant que des sommes importantes d’argent sont détournées par des copains et des coquins. A une certaine période de l’histoire du pays, certains parmi eux, pouvaient avoir accès au compte du « trésor public » dans n’importe quel coin du monde. Leurs femmes et enfants, mêmement.
Donc, depuis plus de deux décennies, le pays est pris en otage par une petite caste de copains et de coquins au dépens des intérêts du plus grand nombre. Quelle est donc cette « démocratie » où « une oligarchie-ploutocrate » jouit seule du fruit d’un labeur collectif sans solidarité et sans justice sociale ? Quelle est cette « démocratie » où « le souverain » supposé être « primaire » est relégué au dernier plan ? Et malheureusement, ce « souverain supposé primaire », à quelques exceptions près, a maille à partir avec l’idée d’un engagement citoyen pour la sauvegarde de ses propres intérêts.
Une petite conclusion : La « tradicratie ouverte »
Constater que « le fondamentalisme démocratique », au Kongo-Kinshasa, est fondamentalement une promotion d’un « gouvernement représentatif » au service d’une caste abusant de la bonne volonté de certains de ses membres ; et que le parlementarisme qu’il produit joue le rôle d’une caisse de résonance des intérêts immédiats de cette caste et de ceux de ses parrains, cela devrait conduire à repenser en profondeur le système politique du pays sans renoncer à l’idée du débat, de la participation citoyenne, de la délibération et de la prise des décisions collectives.
Cela implique une permanente éducation citoyenne du « peuple » à la connaissance consciente et courageuse de ses droits et de ses devoirs. Et à la production de l’intelligence collective indispensable à la défense des intérêts des citoyens se structurant et s’organisant à la base pour s’imposer dans la balance des rapports de force comme véritable souverain primaire. La « tradicratie ouverte » peut être une voie prometteuse…Elle peut délivrer de l’infantilisation, du paternalisme, de l’attentisme et de la bêtise dans lesquels « le fondamentalisme démocratique » a plongé les masses populaires kongolaises pendant plus de deux décennies.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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[1] Lire J.-C. WILLAME, Les « faiseurs de paix ». Gestion d’une crise internationale dans un Etat sous tutelle, Bruxelles, Complexe, 2007.