A chaque fois que le nom de Lumumba est prononcé c’est l’idée de courage qui est réactivé. C’est là que réside la puissance, non d’un homme, mais d’une idée…
J’entends parfois dire, 62 ans après, à propos de Patrice Emery Lumumba qu’il aurait mis à mal notre indépendance. En tant qu’homme et politicien, des défauts, des parts d’ombre, il en a eu certainement. Dire qu’il n’aurait jamais du prononcer son discours du 30 juin 1960, qu’il aurait dû être moins impulsif, et reprenant par là la rhétorique des charognards, c’est l’accuser de sa propre mort. Il l’a bien cherché, au fond face au colon, l’hypocrisie aurait mieux valu.
L’histoire parfois impose son propre récit
Reprendre le récit pour n’en raconter que les aspérités et ne pas être taxé de subjectivité est le contraire même du devoir d’histoire. Si c’est l’objectivité historique que l’on recherche, alors celle-ci ne souffre d’aucun faux semblant, elle ne peut dérouler des procès à charge contre un, pour cacher les insuffisances, les calculs, les ambitions, l’opportunisme voir les regrets tardifs des autres acteurs historiques du moment. Il faut être prêt à prendre la vérité en pleine face.
Ce que d’autres en dehors de nous ont compris, en observant cet homme, il me semble, c’est que l’histoire parfois impose son propre récit.
Ce que d’autres en dehors de nous ont compris, en observant cet homme, il me semble, c’est que l’histoire parfois impose son propre récit. Face aux enjeux, les besoins du moment, des hommes ou des femmes échappent au cloisonnement de celle-ci et deviennent une mémoire.
Ainsi, à chaque fois que le nom de Lumumba est prononcé c’est l’idée de courage qui est réactivé. C’est là que réside la puissance, non d’un homme, mais d’une idée. Il est le passeur d’une histoire africaine qui ne commence pas avec la colonisation mais qui s’inscrit dans la lignée de nos récits des temps premiers peuplés de figures héroïques.
Le courage d’être noir
Il défie l’hubris, à savoir la démesure de l’oppresseur pour d’abord dire la souffrance commune noire et ensuite exposer la violence subie à la face du monde. Il est cette parole du refus de l’assujettissement, conscient que sa liberté ne saurait tolérer les chaînes que l’on voudrait toujours le voir porter tout en lui disant: mais vous êtes indépendant maintenant.
Il est cette parole du refus de l’assujettissement, conscient que sa liberté ne saurait tolérer les chaînes que l’on voudrait toujours le voir porter tout en lui disant: mais vous êtes indépendant maintenant.
Son énergie devient créatrice, en cela qu’elle façonne l’imaginaire pour lui dire les possibles, dépasser le gouffre et enfin convoquer l’action, l’offensive d’où un monde peut surgir. C’est cela que Nkrumah, Fanon, Malcom X, Andrée Blouin, Maya Angelou et tant d’autres ont vu et compris de cette vie. Dans un monde qui nécessitait tant de courage d’être noir, Africain, Lumumba l’a revendiqué pour lui, le Congo et l’Afrique.
Aujourd’hui la lâcheté a pris le pouvoir. A cette idée de courage et de dignité, elle oppose l’argent, le luxe, sa présence dans les salons du concert des nations, c’est-à-dire du blanc, achetée au prix du sang et de l’humiliation des Congolais. Aussi, combien de temps encore allons-nous continuer à tolérer que ceux qui bafouent notre dignité nous racontent au monde quand quelqu’un nous a invités à comprendre qui nous étions? Quand cette personne par le récit de sa vie, par-delà la mort, ne cesse de nous dire que nous sommes des grands « quelqu’un » au cœur de l’Afrique, non pour ce que nous avons mais par le courage qui ne nous a jamais été étranger.
Bénédicte Kumbi Ndjoko