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Le Congo n’a presque pas été indépendant depuis 1960 (suite et fin)

Le Congo n’a presque pas été indépendant depuis 1960 (suite et fin)

Le Congo n’a presque pas été indépendant depuis 1960 (suite et fin) 500 481 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

Le Congo actuel est passé de la colonisation belge à la colonisation américaine (pro-occidentale) malgré les textes officiels signés en 1960 et sa reconnaissance comme membre à part entière des Nations-Unis. La gestion de ce passage par ‘’la politique profonde’’ US a échappé à l’étude et à la vigilance de plusieurs d’entre nous. Les intellectuels serviles ne veulent même pas en entendre parler.
Nous en rendre compte pousse automatiquement certains d’entre nous à poser ‘’l’éternelle question’’ : ‘’Que faire’’ ? La dernière partie de cet article va esquisser quelques propositions à titre purement indicatif pour y répondre. Car, nous pensons, à notre humble avis, que toutes les propositions[1] faites jusqu’à ce jour par plusieurs compatriotes au sujet de la véritable indépendance et souveraineté du Congo devraient être soumises à la lecture critique des mouvements patriotes et fronts congolais unifiants, aux ‘’minorités organisées et agissantes’’, aux ‘’think thanks locaux et nationaux’’, etc. et rendues publiques pour les gouvernants du Congo de demain.

Dans la première partie de cet article, nous avons essayé d’émettre une hypothèse à partir des documents déclassifiés US. Ces documents traitant de la politique étrangère de ‘’l’empire global’’ avec le Congo/Zaïre entre les années 1960 et 1968 aident à avoir une idée sur ‘’la politique profonde Yankee’’ des années ayant suivi la deuxième guerre mondiale et l’idéologie qui la sous-tendait : avoir un accès unilatéral aux ressources stratégiques des pays tiers en vue de garantir l’expansion du ‘’Grand Domaine US’’ tout en considérant la démocratie, les droits de l’homme et toute autre forme de participation citoyenne à la gestion de la chose publique comme étant des ‘’objectifs illusoires’’. Toute personne, toute organisation politique ou citoyenne pouvant constituer un obstacle réel ou imaginaire pour ‘’l’empire global’’ dans la réalisation de cet objectif devait être mise hors d’état d’agir. Pour dire les choses autrement, il ne devait pas y avoir une autre voie possible d’accès au bonheur collectif partagé en dehors de celle que ‘’capitalisme du désastre Yankee’’. Les luttes de certaines organisations anglo-saxonnes pour le respect du droit d’autodétermination et de la souveraineté des peuples ont été ‘’dévoyées’’ par ‘’l’empire global’’ au nom de ‘’l’exceptionnalisme américain’’.

Le Congo face à la politique profonde du « Grand Domaine »

Après plus de cinq décennies d’’’ambitions secrètes US’’, les documents déclassifiés susmentionnés viennent affirmer la responsabilité de ‘’l’empire global’’ dans l’assassinat de l’indépendance congolaise en mettant à nu son mode opératoire pour faire de l’ex-colonie belge une colonie américaine gérée par un ‘’agent secret de la CIA’’, aidé, pendant longtemps, par un gouvernement ‘’agencifié’’[2], c’est-à-dire infiltré par Larry Delvin, le chef de la station CIA au Congo et soumis aux programmes d’ajustement structurel de la Banque mondial et du FMI[3].

Les explications partiales de cette ‘’agencification’’ la lie à l’appel que Lumumba aurait lancé aux Russes pour qu’ils l’aident à mater des sécessions kasaïenne et katangaise après le refus des américains. Ils font fi de l’orientation de ‘’la politique profonde US’’ du ‘’Grand Domaine’’. En voici un exemple que plusieurs d’entre nous ont gobé depuis notre tendre enfance à l’école et à l’université occidentale : « Confronté au problème des sécessions de ses deux plus riches provinces, il (Lumumba) va s’y attaquer en réclamant successivement l’aide de l’ONU, des Américains puis des Russes. Dès cet instant, son sort était scellé. Car les Etats-Unis ne pouvaient se permettre de voir le Congo tomber dans l’orbite soviétique. Après l’appel fait par Lumumba, les techniciens soviétiques commencèrent à arriver, dans la plus grande discrétion. S’ils arrivaient à le contrôler, ils utiliseraient le pays pour infiltrer et étendre leur influence sur les neufs pays, tous d’anciennes colonies, qui l’entouraient, ce qui aurait constitué une base de pouvoir extraordinaire en Afrique. »[4] Lu calmement, ce texte pose entre autres la question du contrôle du Congo et de ses politiciens. Qui doit les contrôler ? Les Américains ou les Russes ? Qui doit prendre la décision de ce contrôle ? Les Congolais ou les Américains ? Apparemment, ce texte est cohérent et pertinent. Il tient compte de la realpolitik. Lumumba aurait été ‘’un petit idéaliste’’, ‘’un immature politique’’ ne comprenant rien à la realpolitik.

Une analyse contextuelle liée à l’histoire immédiate trouverait cette critique correcte. Or, ‘’la politique profonde’’ du ‘’Grand Domaine’’ ne date pas des années 1960. Elle date des années 1948. De 1948 à 1960 (et même plus tard au chili en 1973), elle a été appliquée dans plusieurs pays. L’assassinat de Lumumba comme celui du Président chilien Allende sont les conséquences de l’application de cette politique ; sans état d’âme et non du dépassement de quelque ligne rouge que ce soit par Lumumba. Il y a dans cet assassinat la négation de l’humanité du Congolais (représenté par Lumumba et son gouvernement) dans sa capacité d’être maître de son pays. ‘’La politique profonde’’ du ‘’Grand Domaine’’ obéit donc à sa propre logique. Donnons quelques autres exemples de son application.

Quand Georges W. Bush attaque l’Irak ou quand, avec l’appui de Bill Clinton, le Rwanda et l’Ouganda envahissent le Congo, tuent ses populations, pillent ses ressources stratégiques ou les livrent aux multinationales, ils recourent tous à ‘’la politique profonde’’. « Présentée au Congrès, écrit Noam Chomsky, la doctrine Clinton stipulait que les Etats-Unis avaient le droit d’’’exercer leur puissance militaire de manière unilatérale’’ pour garantir leur ‘’accès aux marchés clés, à l’énergie et aux ressources stratégiques. Clinton faisait lui aussi écho à une vieille rengaine. »[5] Républicains ou Démocrates, les Présidents Américains soumis au pouvoir économico-financier des banques et aux multinationales, partisans de ‘’l’exceptionnalisme américain’’, appliquent depuis longtemps ‘’la politique profonde’’ du ‘’Grand Domaine’’ ; sans étant d’âme. Qui dit ‘’politique profonde’’ dit (entre autres) institutions et structures parallèles aux institutions et structures officielles chargées de répandre rhétoriquement ‘’la bonne nouvelle’’ de la démocratie et de la liberté dont se moque éperdument ‘’le gouvernement parallèle’’.

Dix jours après le 11 septembre 2001, ce ‘’gouvernement parallèle’’ a pris la grave décision d’envahir sept (7) pays sans justifier cela au préalable. L’Irak, la Syrie, le Liban, la Lybie, la Somalie, le Soudan et l’Iran était dans sa ligne de mire. C’est l’un des membres de ce ‘’gouvernement parallèle’’ qui révéla cela au général Wesley Clark[6]. (Les autres membres de ce ‘’gouvernement’’ sont abondamment cités par Peter Dale Scott[7]. Ce dernier a l’avantage d’étudier ce phénomène sur les cinquante dernières années.)

L’ignorance, la méconnaissance ou le manque de maîtrise de ce mode opératoire US incite plusieurs d’entre nous à devenir des intellectuels serviles de ‘’l’empire global’’, des ‘’missionnaires de la doctrine des bonnes intentions US’’ ; c’est-à-dire des propagateurs sans modération de sa rhétorique (hypocrite) sur respect de la démocratie et de la liberté. D’autres, décervelés par les médias mainstream, tombent carrément dans le syndrome du larbin en devenant les défenseurs des ‘’guerres humanitaires US’’ au nom de la realpolitik. D’autres encore estiment qu’au nom de leurs intérêts, les USA peuvent, tout en disant qu’ils défendent la démocratie et la liberté, violer le droit des peuples à l’autodétermination et le droit international sans aucun problème de conscience.

Quelques propositions d’actions à mener

Souvent, quand ce monde opératoire est mis à nu, la question qui est rapidement posée est la suivante : « Que faut-il faire ? » Comme si tous les articles devraient absolument aboutir à la description des modes d’actions d’action à mener illico presto. L’exclusion des articles à but informatif semble devenir, dans certains milieux de lecteurs, une plaie ; une lutte contre une division rationnelle du travail accordant aux uns la possibilité d’informer, aux autres celle d’indiquer les modes d’actions à mener à partir des informations recueillies et bien sourcées, aux autres encore de combiner les deux au sein des cercles de savoir coordonnés. Soit !

Pour le cas précis du Congo, quelles sont des propositions d’actions à mener pour que ses filles et fils récupèrent l’initiative historique pour une gestion véritablement indépendante et souveraine de cet espace africain ?
Premièrement, il nous semble indispensable de réétudier leur histoire collective afin de mieux la réécrire. Cette étude et cette réécriture doivent être le fait des ‘’intellectuels subversifs’’ en union avec les masses populaires. A ce point nommé, il y a un défi culturel de taille à relever ; il y a une révolution culturelle à conduire (ensemble) pour une connaissance approfondie du ‘’bomoto’’, du ‘’bumuntu’’ à partir de certains exemples historiques de ‘’Grands Congolais’’. Cette révolution culturelle à opérer au niveau des lieux structurant la personnalité des Congolais(es) (tels que la famille, l’école, l’université, les communautés de base, l’église, etc.) devrait prendre en compte certaines valeurs de civilisation (décrites par notre compatriote Fumu) comme le ‘’Bolingo’’ (amour), le ‘’Bondeko’’ (unité familiale), le ‘’Bosalisani (solidarité), le ‘’Lokumu (dignité) et le ‘’Bwanya’’ (esprit d’entreprise).

La visée de cette entreprise serait la levée des masses critiques au cœur de l’Afrique ; des masses critiques qui deviennent ‘’les démiurges ‘’ de leur propre destinée sur fond d’une éthique humaniste.
Deuxièmement, il nous semble nécessaire de réexaminer la question de la souveraineté et de la légitimité politique au Congo à partir des documents US dernièrement déclassifiés et de la reconnaissance de la Belgique de sa responsabilité morale dans l’assassinat de Patrice Lumumba. ‘’Des intellectuels, des politiques subversifs’’ et patriotes devraient penser à la mise effective sur pied d’une Commission Justice, Vérité et Réconciliation à caractère plus ou moins permanent. Au nom de la continuité de l’Etat et surtout des ‘’gouvernements parallèles US’’, il serait symboliquement important qu’un Tribunal Africain (ou Congolais) soit créé et qu’un jugement soit rendu sur l’assassinat de l’indépendance et de la souveraineté congolaise dont les USA, à travers leurs documents déclassifiés reconnaissent la responsabilité pour un partenariat fondés sur des bases saines. Faire cette Vérité serait un acte historique pouvant permettre aux ‘’larbins’’ de s’engager sur la voie d’une bonne thérapie collective et aux dignes filles et fils du Congo de se réconcilier avec l’histoire de leurs héros tels que Kimpa Vita, Kimbangu, Lumumba, etc.

Faire cette Vérité pourrait avoir des répercutions sur certaines orientations actuelles d’une certaine élite politique congolaise. Elle l’aiderait à rompre avec les sentiers battus menant aux ambassades et aux autres services secrets des ‘’agencificateurs ‘’ de nos gouvernements. Les contrevenants à cette règle – à partir des faits- pourraient être considérés comme des ennemis de la République.
Ces deux premières propositions ne peuvent aboutir que si les masses critiques, ‘’les intellectuels et les politiques subversifs’’ et les autres patriotes résistants congolais coalisent au sein des fronts et mouvements unificateurs pour résoudre prioritairement la question de ‘’la direction’’ au Congo. (Elle se pose depuis l’assassinat de Lumumba et pas seulement après la mascarade électorale de 2011.)
Trouver ensemble une réponse à la question de ‘’la direction’’ serait notre troisième proposition. Ces coalitions pourraient se faire sur fond des valeurs génériques (par-delà le biologique et l’ethnique ou les identités meurtrières).
Leur expansion pourrait être facilitée par une ouverture en leur sein au débat, à la participation citoyenne, à la critique et au conflit ‘’maîtrisé’’, c’est-à-dire celui qui fait du désaccord un nouveau point de départ pour le débat et non d’un massacre réciproque. Telle est notre quatrième proposition.

La cinquième est un appel aux ‘’minorités organisées et agissantes’’ à ne pas rompre avec le travail qu’elles abattent déjà pour un panafricanisme des peuples. Une intégration politique, économique, culturelle, sociale et sécuritaire des peuples d’Afrique et surtout des neuf voisins du Congo participerait de la véritable émancipation politique de ce dernier. La politique du ‘’diviser pour régner’’ appliquée par ‘’les négriers d’hier et d’aujourd’hui’’ constitue une grande fragilité pour l’Afrique. Travailler au panafricanisme des peuples pourrait être, à la longue, un ressort pour le Fonds monétaire africain, maillon important de la souveraineté économique africaine. Avant d’en arriver là ou concomitamment à cela, un audit sur la dette odieuse du Congo (entretenue par les IFI) devrait être organisée. Il l’aiderait à payer la partie de la dette mise réellement au service de nos populations et à rejeter celle gaspillée par ‘’les élites compradores’’. Cela serait une initiative courageuse que ne peut assumer qu’un Etat social planifiant une économie nationale différente de la coloniale sous laquelle gît le Congo actuel. (Elle vante une croissance liée à l’exportation des matières premières brutes, favorise l’évasion des capitaux et est incapable d’une juste redistribution sociale.)

En fin de compte, tout devrait être fait pour que le Congo s’engage sur un autre mode de régulation politico-sociale[8] afin que le bonheur collectif soit dans la mesure du possible enfin partagé par ses filles et ses fils. Telle est notre dernière proposition.

 

Mbelu Babanya Kabudu

[1] Il y a lieu de lire avec intérêt A. MAVINGA TSAFUNGA,  Les 100 propositions pour la renaissance du Grand Congo au XXIème siècle, Paris, Ceprocon-Afrique, 2013. On peut aussi lire   KASSA-KASSA BOKAMBA, Réformes, Révolution et indépendance pour le Congo meilleur, Luxembourg, Lokole ASBL, 2010.
[2] Le phénomène d’agencification perdure au Congo jusqu’à ce jour. Il est très bien étudié par Emmanuel Kabongo Malu au onzième chapitre du livre de  KANKWENDA MBAYA et MUKOKA NSENDA (sous la direction de), La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion, Kinshasa, Icredes, 2013.
[3] Lire E. TOUSSAINT, Procès d’un homme exemplaire. Jacques de Groote, directeur exécutif au FMI et à la  Banque  mondiale pendant 20 ans, Liège, Al Dante, 2013.
[4] J. BRAIBANT, Congo. L’histoire d’un gâchis et d’un pari stupide, Bruxelles, Jourdan, 2014, p. 225.
[5] N. CHOMSKY, Futurs proches. Liberté, indépendance et impérialisme au XXIe siècle, Paris, Lux, 2010, p.36.
[7] Lire P. D. SCOTT, La machine de guerre américaine. La politique profonde, la CIA, la drogue, l’Afghanistan,… Paris, Demi-Lune, 2012.
[8] Lire à ce propos F. DIANGUITUKWA, Gouvernance, action publique et démocratie participative. Chemins vers  de nouveaux modes de régulation sociale,  Saint-Légier (Suisse),  Afrique Nouvelle, 2011.

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