Par Bénédicte Kumbi Ndjoko
J’ai été appelée par Al-Jazeera pour parler de ce qui se passe en ce moment au Congo. Avant d’accepter, j’ai eu un petit temps d’arrêt. Quand on dit les choses depuis si longtemps, il y a de plus en plus l’exigence de trouver toutes les manières possibles de nous dire à nous-mêmes ce qui nous arrive. Et je me suis demandée si je saurais vous dire durant ces deux minutes qui m’ont été accordées, ce qui nous arrive.
Continuer de porter la flemme. Il y a en nous peut-être une tristesse de voir le monde se détourner ainsi de nous, fermer les yeux et les oreilles. Cependant qu’il fait ça, il nous oblige également à nous regarder les uns les autres, à chercher par tous les moyens ceux avec qui l’on peut se donner la main, nous soutenir les uns les autres, être ces inaudibles pour les sourds mais qui se parlent, qui savent qu’ils existent. Nous avons choisi d’ouvrir les yeux et de ne pas les baisser devant l’étendue du désastre qu’est notre pays. Ils nous ont fait atteindre le fond, et nous l’avons vu.
Dans cette obscurité, il y a pourtant ces cris de révolte qui nous parviennent. On se dit dit alors qu’il faut les servir au mieux car cela veut dire que la vie n’est pas finie, que notre humanité dérangeante, celle qui ne fait pas solidarité ne capitule pas. On nous oblige à nous regarder nous-mêmes comme des inutiles. Le spectacle joué par les animateurs de leur fiction Congo est grotesque. Il nous est dit que nous sommes ces hommes et ces femmes-là. Tout est fait pour que le cynisme triomphe, pour qu’il n’existe plus rien même pas un peu de morale. Des frères ont accepté cette histoire là. Et le mensonge a un certain attrait, surtout lorsque son apparente légèreté est exacerbée par un sentiment d’urgence que nous éprouvons tous, celui de se maintenir en vie à tout prix.
Dire Béni c’est la révolte, c’est le cri qui refuse de se mettre à genoux, c’est comprendre que nous sommes notre plus grande force et l’utiliser. On ne sait pas si ce cri va durer, mais il a le mérite d’être là. Il nous tend les mains pour que celui qui entend le porte plus loin, le fasse entendre dans toutes les interstices qui nous sont données, non pour éduquer les millions de téléspectateurs d’une chaîne donnée mais dire aux Congolais: hé, nous sommes encore là.
Chercher à sortir son épingle du jeu, en se persuadant que l’on travaille pour tous, tout en les écrasant, en les faisant taire de peur que les monstres nous rayent de la surface de la terre, est devenu un commerce pour beaucoup d’entre nous. Ce n’est que lorsqu’ils sont éconduits par les marionnettes squelettiques et cupides, qu’ils butent devant leur veulerie, qu’ils reviennent à nous pour nous dire dépités qu’ils sont des bons à rien.
Nous, nous le savons depuis le commencement et c’est ce qui fait que nous avons pris le parti de résister, d’ouvrir nos oreilles pour n’écouter que ce coeur qui bat encore au centre de l’Afrique. Dire Béni c’est la révolte, c’est le cri qui refuse de se mettre à genoux, c’est comprendre que nous sommes notre plus grande force et l’utiliser. On ne sait pas si ce cri va durer, mais il a le mérite d’être là. Il nous tend les mains pour que celui qui entend le porte plus loin, le fasse entendre dans toutes les interstices qui nous sont données, non pour éduquer les millions de téléspectateurs d’une chaîne donnée mais dire aux Congolais: hé, nous sommes encore là.
Nous gagnerons cette guerre même si l’on ne veut pas nous laisser de répit, même si l’on veut que le désespoir nous habite face aux tueries qui s’intensifient. Nous pleurerons nos morts, nous enterrerons nos morts mais tant que nous aurons le souffle nous dirons ce qu’il se passe au Congo.
Bénédicte Kumbi Ndjoko