Par Jean-Pierre Mbelu
Le Congo-Kinshasa n’est pas une île. Il est un pays au cœur d’un continent et d’un monde en évolution (ou régression ?) permanente. Ses acteurs sociaux et politiques devraient être constamment attentifs à ce qui se passe chez eux et autour d’eux. Ils devraient apprendre à se poser certaines questions bêtes et à y répondre en se livrant à une analyse sérieuse des faits historiques et d’actualité. Prenons un exemple. Comment des pays (avec leur surgeon US) gagnés par ‘’la démocratie du marché’’ et soumis aux diktats des entreprises multinationales aux dépens des intérêts de leurs propres populations torturées par des mesures d’austérité et les inégalités imposées par la troïka (FMI, Commission européenne et Banque Centrale Européenne) et les multinationales peuvent-ils réellement l’aider, sans inversion sémantique, à accéder au ‘’pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple’’ ? Un deuxième exemple. Quelle pourrait être la crédibilité de ces pays pour qui ‘’le vol de l’histoire’’ est un élément essentiel de leur rhétorique sur l’expansion de ‘’la démocratie’’ et de ‘’la liberté’’. Les NTIC peuvent aider les acteurs sociaux, politiques et les journalistes congolais à lutter contre l’inversion sémantique en matière des valeurs universelles en écoutant directement leurs ‘’ stratèges politiques’’. Dans ce texte, l’un d’eux, Jacques Attali, donne, en une minute et une poussière de secondes, l’approche politico-économique dominante en Occident. Dans ce contexte, étudier d’autres ‘’aires de civilisation’’ et travailler à la ‘’déclaration d’interdépendance’’ entre les peuples et les Etats devient une urgence. Elle est indispensable à ‘’la désoccidentoxication’’ de la politique et de la démocratie.
Prendre en compte ‘’la provincialisation de l’Europe’’ (et de son surgeon US) et de son ‘’vol de l’histoire’’ devrait conduire à la promotion de ‘’l’universel pluriel’’ dans un monde de plus en plus polycentré. Cela devrait faire davantage de ce monde un lieu du rendez-vous du ‘’donner et du recevoir’’. Mais ‘’le commencement d’un autre monde’’ exigerait la satisfaction d’un certain nombre de préalables. La prise de conscience des limites et même de la faillite morale et éthique de certaines ‘’aires de civilisation’’ n’ayant plus grand-chose à apporter au monde en dehors de leurs crispations destructrices. Quand ces ‘’aires’’ évoquent la politique et l’économie, elles les réduisent à leur vision darwinienne ou hobesienne privilégiant ‘’la guerre de tous contre tous’’ pour le triomphe cynique du menteur ou du plus fort. Jacques Attali en parle sans ambages en une minute et quelques poussiers de secondes[1]. Quand elles évoquent les valeurs universelles, c’est pour les instrumentaliser dans leur fameuse guerre contre ‘’le terrorisme’’ dont elles sont des pompiers-pyromanes. Le dérèglement du monde enclenché par ces ‘’aires de civilisation’’ risque de se transformer en son ‘’basculement’’ si des choix rationnels ne sont pas faits en faveur d’une «civilisation commune à laquelle chacun puisse s’identifier, soudée par les mêmes valeurs universelles, guidée par une foi puissante en l’aventure humaine, et enrichie de toutes nos diversités culturelles »[2].
A ce point nommé, le recours à la diversité de traditions politico-économique peut être d’un grand secours. Anne-Cécile Robert doit l’avoir compris quand, en 2004, elle publiait ‘’l’Afrique au secours de l’Occident’’. Même si ce livre ne semble pas prendre sérieusement en compte la mesure du travail fait en réseau par l’Occident en Afrique. Ce travail influence énormément le discours de certains acteurs sociaux et politiques ainsi que celui de certains journalistes congolais, adversaires de la promotion de la diversité culturelle. Ils sont, souvent, des porte-paroles du discours dominant, de l’hégémonie culturelle occidentale au point de conduire les masses populaires qu’ils mobilisent de temps en temps à croire dans ‘’la démocratie du marché libéral’’ fondée sur ‘’les élections piège à con’’. Pourtant, certains observateurs attentifs de l’évolution de cette ‘’ démocratie du marché’’ en Europe sont en train de se convaincre qu’elle est en train de tuer ‘’le véritable pouvoir du peuple’’.
Ses liens avec ‘’les véritables centres de pouvoir’’ et de ses experts engendrent ‘’le déni de la démocratie’’, comme le souligne Jacques Sapir dans une lettre ouverte adressée à Jean-Luc Mélenchon et soutenant que l’Europe ne peut se relever de sa mort actuelle qu’en sauvant la souveraineté de ses Etats constitutifs et en promouvant la démocratie en tant que ‘’pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple’’[3].
Soulignons que cette ‘’démocratie du marché’’ est portée par une coalition d’Etats se voulant ‘’gendarmes de la planète’’. Se poser les questions du genre «pourquoi a-t-il fallu une guerre de basse intensité permanente au cœur de l’Afrique pour finalement penser à organiser des élections pour l’émergence d’ ‘’une jeune démocratie du marché’’ ?, quelle est la conception du monde qui sous-tend cette démocratie électoraliste » ne semble pas effleurer leurs esprits mangés par le capitalisme sauvage et la soif des commissions ! Et pourtant, chez ‘’les gendarmes du monde’’ prônant au Congo le respect de la démocratie et la publication du calendrier global des élections, ces dernières ne sont plus considérées comme étant un élément essentiel de la démocratie. De plus en plus, ce sont les critères de la légitimité politique et de son efficacité qui sont évoqués. De plus en plus, des citoyens du Nord s’inscrivent en faux contre les élections et la particratie qu’elles engendrent aux dépens de la participation citoyenne[4].
Répondre aux questions susmentionnées aiderait à faire certains constats amers. Au Congo-Kinshasa, la guerre de basse intensité et de prédation participe de la digestion du ‘’vol de l’histoire’’. Elle créé de la confusion dans les cœurs et dans les esprits. Elle brouille les références historiques et contribue du déni de ‘’la démocratie des autres’’. Elle tient à inscrire dans ces cœurs et ces esprits que ‘’la liberté est une invention de l’Occident’’ ; ce que dément la déconstruction historique telle qu’elle est faite par Jack Goody, Amartya Sen[5], Cheik Anta Diop ou Fweley Diangitukwa dont nous allons bientôt parler.
Elle tient à tout prix à créer la peur dans les têtes et les cœurs de façon à maintenir les possibles candidats aux postes de gouvernement dans l’obéissance aux diktats de ‘’gendarmes de la planète’’ au lieu de les voir tracer ‘’une voie propre à eux’’ pour le bonheur de leur peuple (d’abord). Et l’une des conceptions du monde sous-tendant ‘’la démocratie électoraliste’’ est celle du ‘’nombre’’, de ceux qui comptent et sont comptés. Dans ce monde globalisé, ce sont les objets et les signes monétaires qui circulent beaucoup plus facilement que les corps vivants. Sa matrice organisationnelle a pour fondement la compétitivité et la concurrence supposées garantir la suprématie des richesses et des instruments de la puissance. Dans ce monde où tout est compté, la politique obéit à la loi du nombre. « Et ceux qui ne comptent pas ou sont mal comptés, on leur imposera par la guerre nos lois comptables, écrit Alain Badiou. Et, en outre, si la loi comptable donne un résultat hétérogène aux résultats que nous en attendons, nous imposerons derechef, par la violence policière et la guerre, non seulement le compte, mais le ‘’bon’’ compte, celui qui fait que la démocratie doit élire des démocrates, c’est-à-dire des pro-américains, des clients dociles, et personne d’autre. »[6] A ce sujet, les exemples historiques sont légion. En Palestine, la victoire écrasante du Hamas ne fut pas reconnue par la communauté occidentale.
En Haïti, Jean-Bertrand Aristide fut contraint à l’exil après sa victoire électorale et la guerre qui l’a suivie. Hugo Chavez a connu à coup d’Etat made in USA en 2002, quatre ans après sa victoire aux élections vénézuéliennes. Lumumba fut assassiné le 17 janvier 1961, quelques mois après la victoire de la coalition politique qu’il avait conduite aux élections de 1960.
Dans ce contexte, ‘’désoccidentaliser’’ ou ‘’désoccidentoxiquer’’ la culture et la démocratie pourrait avoir comme l’un de ses préalables le désarmement culturel des ‘’aires de civilisation’’ violentes et de leurs alliées. Une tâche titanesque !
Les voies pour y arriver peuvent être diverses et diversifiées. Plusieurs pays du Sud ont compris qu’ils pouvaient procéder par intégration politique, économique et sécuritaire afin de constituer de grands ensembles capables de peser dans la balance des ‘’maîtres du monde’’. Le 14 et le 15 juin, à Santa Cruz, en Bolivie, une rencontre du G 77 plus la Chine a été organisée. Les pays ayant participé à cette rencontre doivent avoir compris que leur rassemblement et leur rapprochement de l’axe des BRICS et de l’organisation de la coopération du Shanghai peuvent constituer, à moyen ou long terme, une avancée dans la recherche du désarmement culturel du ‘’belliqueux Nord’’.
Un ‘’prophète du Nord’’, Raimon Panikkar, propose une autre voie. Elle est un peu plus ‘’morale et éthique’’. Elle consiste à vaincre la haine et la violence en soi (personnel et collectif). A son avis, celui qui veut la paix ne prépare pas la guerre, il se prépare soi-même (‘’Si vis pacem, para te ipsum’’) et dialogue. A ses yeux, « le problème n’est pas l’ennemi mais de pas pouvoir vouloir s’entendre avec lui. L’interruption du dialogue aboutit au solipsisme et à la mort parce que la vie même est dialogue dialogal constant. »[7] Et ce dialogue suppose la reconnaissance du fait que «je ne suis pas la seule fenêtre par laquelle on peut voir ; et je n’existe pas non plus sans un ‘’tu’’ et toute la gamme des pronoms personnels. »[8] Ce dialogue en tant qu’art présuppose la connaissance de soi et de l’autre. Celle-ci n’est jamais exhaustive. Elle advient au bout d’un processus éducationnel assidu au cours duquel la façon de penser, de parler et de raisonner est constamment revue, corrigée et portée par un constant besoin de sagesse entendue comme « cet art qui transforme les tensions destructrices en polarités créatrices non par la stratégie, dont le but est ‘’d’avoir le dessus’’, mais parce que cette polarité constitue l’essence même de la réalité. »[9]
A notre humble avis, pour que la voie du dialogue et de la sagesse prônée par Panikkar puisse être porteuse d’un monde véritablement métissé, elle devrait être portée par quelques principes convivialistes. Et ceux-ci devraient être fondés sur des traités de reconnaissance de dépendance réciproque (entre les peuples et les Etats). Une sorte de ‘’déclaration universelle d’interdépendance’’[10] imposable à tous les membres de l’ONU serait une sorte de garantie internationale de la mise en pratique de ces principes convivialistes. (Le G 77 plus la Chine et les BRICS semblent être, à nos yeux, une sérieuse avancée sur cette lancée.)
Une pareille ‘’déclaration’’ lierait la légitimité des politiques appliquées par les membres de l’ONU à leur capacité de respecter le principe de commune humanité, de commune socialité, d’individuation et d’opposition maîtrisée.
Reconnaître que les différences de race, de langue, de richesse, de religion, de sexe, de nationalité et d’orientation sexuelle n’excluent aucun être humain de la commune humanité et que celle-ci doit être respectée dans chacun de ses membres contribuerait à faire avancer le dialogue prôné par Panikkar. Ce principe de commune humanité est solidaire d’un autre. Celui de la commune socialité. Celui-ci soutient que les êtres humains, dans leur diversité, ont une grande richesse : leurs rapports sociaux. Ils les humanisent. Si et seulement s’ils sont capables d’accepter une opposition maîtrisée. C’est-à-dire d’une gestion rationnelle des conflits liés à la singularité des membres de cette commune humanité de façon à ne pas faire exploser le cadre de commune socialité. Tel est le principe d’opposition maîtrisée. Il est complémentaire de celui de l’individuation. Celui-ci soutient que « la politique légitime est celle qui permet à chacun d’affirmer au mieux son individualité singulière en devenir, en développant ses capabilités, sa puissance d’être et d’agir sans nuire à celle des autres dans la perspective d’une égale liberté. »[11]
Dès lors, logées à une même enseigne, les peuples et les Etats de la terre peuvent développer des ‘’duologues’’ ou des ‘’multilogues’’ à travers lesquels ils s’enrichissement mutuellement et forgent leur humanité en considérant leurs divergences comme étant des désaccords fondateurs d’autres ‘’duologues’’ et multilogues’’.
Des acteurs sociaux et politiques, des journalistes congolais inscrits dans cette logique d’interdépendance respectueuse des principes convivialistes peuvent finalement comprendre que l’invention du ‘’Congo de l’intelligence pour une société du bonheur solidaire’’[12] n’est pas au bout de la reconduction docile et servile de ‘’la démocratie du marché’’ décriée actuellement par les peuples européens à cause de ses mesures d’austérité mortifères. Ils peuvent aller puiser dans leur riche tradition ancestrale, tout en restant en dialogue avec les autres peuples et surtout ceux du Sud, les principes de la palabre africaine pour se départir de l’illusion démocratique dans laquelle le Congo s’empêtre de plus en plus.
Cette démarche peut porter ses fruits s’ils commencent par une analyse historique sérieuse et profonde des causes de la perte de l’initiative historique au Congo par les Pères et les Mères fondateurs de son indépendance formelle ; s’ils maîtrisent les mécanismes et les stratégies utilisés par les différentes forces du statu quo (auquel ils participent inconsciemment ou consciemment) et s’apprêtent à travailler avec les masses populaires en créant des structures sociales et économiques portée par ‘’la démocratie palabrique’’.
Sur ce point, l’étude faite dernièrement par le Professeur Fweley Diangitukwa mérite d’être mentionnée. Elle vient tordre le cou au ‘’vol de l’histoire’’. Fweley Diangitukwa restitue une vérité historique en indiquant l’antériorité de la palabre africaine par rapport à la démocratie grecque en indiquant que la construction des biens publics comme les pyramides de l’ancienne Egypte a bénéficié de l’apport de la palabre. Comment définit-il la palabre ? « La palabre est, écrit-il, ce lieu traditionnel de rassemblement à l’ombre duquel les citoyens s’expriment librement sur la vie en société, sur les problèmes du village, sur la politique à mener et sur l’avenir. C’est un mode ancestral de résolution et de règlement de litiges. C’est aussi une école de la vie, car les enfants viennent écouter des histoires racontées par un ancien du village. Les sociétés traditionnelles africaines puristes reposaient très largement sur la palabre comme mode de gouvernance ou de gestion des affaires publiques. Les acteurs venaient de différents horizons, et ils représentaient différents secteurs de la vie. »[13]
Avant l’écriture, la palabre a fait usage de ce qui fait de l’homme un être social et politique : la parole. « C’est la parole qui établissait le lien social et qui était mise en exergue pour résoudre les conflits sociaux. La parole, celle du plus âgé de la classe d’âge, du griot ou du héraut, avait un pouvoir magique, celui de dire, de savoir dire et de pouvoir dire. C’est la parole qui était mise au centre de la palabre dans sa forme spécifique de médiation sociale institutionnalisée. » Ce recours à la parole veut instituer un dialogue permanent entre tous les membres et toutes les sphères de la société. « La palabre se manifeste sous la forme extraordinaire d’un dialogue permanent ou d’un débat sous l’arbre à palabres : une forme d’Assemblée où les décideurs politiques, les citoyens ordinaires et les associations paysannes débattent en commun les problèmes de la communauté et où ils prennent ensemble les décisions les plus importantes concernant les « politiques publiques » de la Cité. C’est dans la palabre que se règlent les conflits entre personnes, entre villages et communautés, et c’est dans ce lieu de rencontre que la sagesse africaine se manifeste dans sa grandeur et dans sa splendeur en mettant, au centre des préoccupations de la communauté humaine, le principe du dialogue, de la concertation et de la décision prise de commun accord (consensus) ».
La palabre cherche avant tout à préserver les relations sociales. Le consensus auquel elle aboutit profite à tous ceux qui y participent. « Avec la palabre, les projets ne peuvent être réalisés matériellement qu’après un large débat auquel doivent participer tous les partenaires concernés, notamment les comités de développement de villages, de district et de région. Le recours au dialogue est le pivot de la gouvernance, mais il est aussi le pivot de l’arbre à palabres, c’est-à-dire de la démocratie consensuelle à l’africaine. Au cours des palabres, les opinions sont confrontées et un terrain d’entente – c’est-à-dire un compromis – est trouvé. Au cours des débats, les experts (qui ne manquaient pas dans la société traditionnelle) côtoient ceux qui détiennent le savoir du terroir. Ils échangent côte à côte pour l’intérêt général. » Le cadre de la palabre privilégie la paix et exclut toute forme d’arrogance et de domination. Si les différends persistent, le recours aux sages, ces dépositaires de l’histoire communautaire, permet de les régler. Disons que « La palabre est une véritable mise en scène de la délibération pendant laquelle la parole se libère au cours des interactions humaines pour une mise en ordre du lien social rompu. Pendant cette phase, chaque partie peut avoir recours aux services d’un nzonzi, l’équivalent d’un avocat en droit européen. Ce sont des gens intègres et suffisamment bien connus par les parties qu’il est difficile de mettre en cause leur défense ou leur plaidoirie. Ceux-ci entreprennent des démarches avant la palabre elle-même pour obtenir des informations des deux côtés. Pendant le duel, qui met plaignants et accusés aux prises, tout se dit devant les spectateurs qui assistent au débat. La sentence est prononcée après les joutes oratoires, c’est-à-dire après une longue délibération. »
La libération de la parole conduit les citoyens à poser des questions aux gouvernants au cours de la palabre. Un dialogue franc et direct s’installe entre les gouvernants et les gouvernés. Le chef intervient à l’issue de la palabre qu’il a pris soin d’écouter comme les simples citoyens. Il la conclut en en donnant les points saillants et en en tirant des leçons pour la vie de la cité. S’il est absent, un sage ou un juge peut le remplacer. S’il y a des torts commis, la sanction consistera à les réparer pour promouvoir la cohésion sociale et le mieux-vivre-ensemble. Mentionnons aussi que la palabre avait une fonction thérapeutique importante. « Dans la palabre, le juge ne se limite pas à dire le droit, mais il va
plus loin en rappelant ce que dit l’éthique pour assurer un meilleur vivre-ensemble. Cette manière de procéder favorise l’expulsion de la violence au sein des sociétés traditionnelles africaines. La palabre rappelle les us et coutumes et permet aux parties concernées de s’accorder sur une décision qui doit satisfaire tout le monde sans avoir recours à un tribunal ou au monopole de la violence physique légitime (Weber 2003) ».
La traite négrière, la colonisation et le néocolonialisme ont sensiblement affaibli les procédures de la palabre africaine en imposant en Afrique le droit écrit et en détruisant l’organisation sociétale traditionnelle. (De là à prétendre que l’Afrique traditionnelle était le meilleur des mondes, il y a un pas qu’il faudrait se garder de franchir. Nous disons simplement qu’elle avait ses institutions, son mode de gouvernement et de gestion de la cité que ‘’les maîtres du monde’’ ont détruit.)
Et l’une ou l’autre remarque que nous formulions à l’endroit de Panikkar peut aussi s’appliquer à Fweley. Sans une ‘’déclaration d’interdépendance’’ fondée sur des principes convivialistes, le recours à ‘la démocratie palabrique’’ risque de demeurer un vœu pieux, vue l’ascendance de l’hégémonie culturelle occidentale sur certains acteurs sociaux, politiques et journalistes congolais. D’ailleurs, à quelques exceptions près, ils font tous partie de la ‘’nomenklatura’’ travaillant en réseau pour la disparition pure et simple du Congo de la carte du monde.
Au niveau du Congo et de l’Afrique, l’un des préalables serait une révolution politico-culturelle semblable à celle de Mao en Chine (à l’exception de ses excès), de Fidel Castro au Cuba, d’Hugo Chavez Venezuela ou d’Isaias Afwerki en Érythrée. Sans un minimum de fierté d’être soi et un sens aigu de la dignité et de la liberté, le recours aux richesses culturelles de l’Afrique-Mère risque de demeurer simplement un vieux pieux. Sans une sécurité intérieure garantie, sans une intégration politique et sécuritaire au niveau des sous-régions africaines en proie à la guerre des ‘’Eléphants’’ tenant à tout prix à avoir un accès libre et gratuit aux matières premières stratégiques dont l’Afrique regorge, la mise en pratique de la démocratique palabrique risque d’être toujours renvoyée aux calendes grecques.
Encore faudrait-il que tout cet héritage sur la palabre soit intégré dans le processus d’éducation et de formation de futurs dirigeants du Congo-Kinshasa. Il devrait faire partie du processus d’individuation du Congolais et de la Congolaise. Il devra, donc, relevé des choix politiques émancipateurs devant aider le Congo-Kinshasa a passé de l’Etat néocolonial qu’il est actuellement à un Etat de droit national et social. Comment arriver à opérer ce passage ? Les minorités éveillées, organisées et agissantes doivent, à différents niveaux de leurs mouvements unifiants, initier des ‘’palabres’’ avec les masses populaires, créer leurs Castro, leurs Chavez, leurs Isaias Afwerki, leurs Poutin et leurs ‘’ Lumumba renés ’’ ; avec une dose suffisante de courage, de persévérance et d’esprit d’abnégation tout en restant ouvertes à ce qui se passent en Afrique et partout dans le monde.
Mbelu Babanya Kabudi